Si l’on s’en tient qu’à l’espace français, l’air du temps a le moral bien bas. Angoisse, peur, incertitude, agressivité. Le citoyen français semble avoir perdu sa joie; il ne se porte pas bien. Son pessimisme coutumier a trouvé de quoi se nourrir et ne se gêne pas pour l’exprimer publiquement. Les médias dressent un tableau du monde de plus en plus inquiétant. Ce qui n’arrange rien.
La guerre en Ukraine a suivi de peu la pandémie du Covid. Deux années difficiles qui ont marqué la vie de millions de personnes. Et la guerre n’est pas terminée.
La précarité, le pouvoir d’achat réduit, la nouvelle pauvreté, tout augmente dans des proportions impitoyables. Les grèves se suivent et se ressemblent. La vie quotidienne est pénible. L’administration est au bout du fil. Aucune voix humaine n’est là pour vous répondre et résoudre votre problème. On vous balade de numéro en numéro jusqu’à la lassitude.
Quelques jours passés en Italie m’ont donné un autre son de cloche. Pourtant, non seulement l’extrême-droite est déjà au pouvoir avec Georgia Meloni et son ministre Salvini, mais les Italiens ont eux aussi connu la crise de la pandémie puis ne savent pas s’ils pourront se chauffer l’hiver prochain. Ils ne cachent pas qu’ils sont obligés de ménager le régime algérien pour avoir du gaz. Ils disent «les Marocains sont sympas, mais nos intérêts passent avant!».
Pourtant, les gens sont heureux, du moins apparemment. Les restaurants sont pleins, les cafés et bars aussi. Les amis organisent des dîners entre eux. Pour eux «la crise, connais pas!». Ils vivent, rigolent et travaillent. Les touristes affluent de partout. Rome, la ville éternelle, est tout le temps en fête.
C’est un tempérament bien méditerranéen. Ils prennent la vie du bon côté et pensent que l’arrivée d’une nostalgique de l’époque fasciste n’est pas bien grave.
Ils attendent que le gouvernement tombe comme cela arrive une fois sur deux.
Ils traitent la chose politique avec une certaine légèreté. Ils ont raison.
Cependant, à regarder les informations tous les soirs, à suivre des débats sur la guerre et le risque nucléaire, on attrape des insomnies.
Et si Poutine, acculé dans la défaite, se dit «après moi le déluge» et accomplit l’irréparable, l’impensable, le crime nucléaire, alors on perd la patience et la sagesse et on sombre dans une dépression collective.
Cela nous concerne aussi. La guerre en Ukraine a eu des effets importants sur les réserves énergétiques du Maroc. Les prix de l’essence et du gasoil sont quasiment les mêmes qu’en Europe dont le pouvoir d’achat est bien supérieur à celui des Marocains. Ce n’est pas logique et même ce n’est pas moral.
Les yeux rivés sur le ciel, nous attendons tous la pluie. Au moins, cela pourrait sauver la saison agraire. `
On craint aussi une crise du blé.
Cependant l’économie d’un pays émergent comme le Maroc ne doit pas dépendre que de la météo.
Besoin d’imagination et de préparation du futur. Il y a certes les barrages, encore faut-il inculquer aux citoyens le réflexe ne plus gaspiller l’eau, de se sentir concernés par le développement et la quête de la prospérité dans un esprit démocratique. Cesser par exemple d’arroser les terrains de golf, le temps que la pluie revienne.
L’air du temps est à la gravité, un peu partout. Restons optimistes et mettons-nous au travail.
P.S. Le fait que Michel Houellebecq ait annulé ses conférences prévues à Rabat et à Casa est désolant. C’est un écrivain important. J’ai lu presque tous ses livres. Je ne suis pas d’accord avec l’idéologie anti-islam de ses livres, mais je suis sûr qu’il aurait été très intéressant de parler avec lui de tout, y compris de sa détestation de l’Islam. Cette fois-ci, ce sont les autorités françaises qui, pour des raisons de sécurité je suppose, lui ont demandé de ne pas se rendre au Maroc. Elles ont eu tort, car s’il y a un domaine qui fonctionne très bien chez nous, c’est celui de la sécurité. Dommage.