En 1963 Gamal Abdel Nasser envoya 70.000 soldats se battre au Yémen. C’est le conflit opposant les royalistes soutenus par l’Arabie Saoudite aux républicains soutenus par l’Egypte. Une guerre inutile et criminelle, car l’armée égyptienne avait utilisé des armes chimiques. 26.000 Egyptiens sont morts ainsi que 1.000 Saoudiens. Quant aux morts yéménites, on n’en connaît pas le nombre. L’Egypte n’avait rien à faire dans cette galère. Elle en payera le prix quatre ans plus tard, quand éclatera la guerre éclair avec Israël, inscrivant ainsi dans la mémoire arabe, la fameuse catastrophe, début de la décadence du nationalisme arabe.
En 1970, l’Arabie Saoudite reconnaît le gouvernement républicain. Quarante cinq ans plus tard, en mars 2015, cette même Arabie Saoudite déclenche une guerre incompréhensible contre les shiites du Yémen (les houthistes, branche du chiisme). Une guerre très coûteuse en pertes humaines et en argent. Soutenus par l’Iran, les houtistes se battent dans une guerre qu’on leur a imposée.
Tout le monde a oublié la désastreuse aventure de Nasser au Yémen. Aujourd’hui, les médias relatent peu ce qui se passe dans ce pays déserté par la paix depuis longtemps. Tout ce qu’on sait c’est que l’aviation saoudienne bombarde huit fois plus le Yémen que les territoires tenus par Daech. Comme si ces bombardements ne suffisaient pas, voilà qu’une épidémie terrible et fulgurante du choléra se répand sans faire de distinction entre les houtistes et les sunnites. 65.041 cas ont été recensés en quelques jours. 532 morts ont été dénombrés. A cela il faut ajouter la famine, l’absence d’eau potable et autres nécessités pour survivre.
Forte de l’appui de Donald Trump, l’Arabie Saoudite ne lésine pas sur les moyens pour mater la rébellion houtiste. Elle vient d’acheter pour 110 milliards de dollars des armes américaines pour poursuivre cette guerre insensée.
Voilà que Ryad accuse le Qatar de financer le terrorisme djihadiste, rompt avec ce pays entrainant dans son sillage d’autres pays arabes, une façon de rester cohérent quand il s’agit de division. Heureusement que le Maroc a tenu à rester à l’écart, observant une neutralité qui l’honore.
Ce n’est un secret pour personne : Daech a été financé au début de sa création par des fortunes privées aussi bien qataries que saoudiennes. Aujourd’hui on montre du doigt le Qatar. Cela arrive à peine deux semaines après la visite en Arabie Saoudite de Donald Trump. C’est triste et lamentable. Ce qui est visé derrière cette rupture avec le Qatar, c’est l’Iran, ennemi légendaire des Saoudiens. On aurait aimé murmurer dans l’oreille de celui qui a pris cette décision d’accentuer la division au sein du monde arabe, lequel ressemble de plus en plus à une fiction ou un champ de bataille après la défaite, que l’Iran est une grande puissance, une civilisation, une culture profonde que la révolution islamique n’a pas réussi à abîmer. De toute façon la guerre entre sunnites et shiites est mal partie. Est-elle nécessaire, surtout en ce moment? Est-elle utile? On se pose ces questions sans évidemment sous estimer l’ambition iranienne qui conteste aux Saoudiens le fait d’être les seuls gardiens des lieux saints. Même si les Iraniens agissent par troupes interposées notamment au Liban et en Syrie, commettant des crimes odieux, ce n’est pas une raison pour déclencher les hostilités en divisant le monde arabe.
Le plus incompréhensible dans cette affaire est que Daech suit la même idéologie religieuse que l’Arabie Saoudite et le Qatar, le wahabbisme, lecture rigoriste et rétrograde de l’islam. Comme a écrit Kamel Daoud, «l’Arabie Saoudite c’est un Daech qui aurait réussi».
Or nous savons à quoi ressemble le mode de vie de cette organisation qui sème la terreur un peu partout dans le monde. Une façon plus efficace de lutter contre Daech serait de changer de rite, faire une auto critique, abandonner le wahabbisme et lire les textes sacrés selon une méthode intelligente, culturelle, symbolique et ouverte sur le monde. Cela s’appelle une révolution. Mais ce n’est pas dans les traditions de ce pays.
Plutôt que de bombarder le pauvre peuple yéménite, pourquoi ne pas intensifier la lutte contre le pseudo «Etat islamique» et par ailleurs aider les Palestiniens qui résistent à l’occupation et aux divers embargos qui les empêchent de respirer et de vivre. Mais là c’est une autre affaire apparemment pas prévue dans les projets saoudiens ni dans ceux de leurs amis américains.