En arrivant hier soir à Tanger, j’ai respiré un bon coup. L’air marin de l’Atlantique a des vertus inouïes. Retrouver la terre natale a toujours quelque chose d’émouvant. C’est sans doute de l’ordre du symbole, mais cela compte.
Un ami m’a fait remarquer que mes chroniques ne sont pas tendres avec la France, l’autre pays où je vis. Je n’oppose pas les deux pays. En revanche, quand on aime un pays qui vous a si bien accueilli, on ne peut qu’être vache.
C’est parce que la pandémie a été (et continue) d’être une grande perturbation de la vie quotidienne, que les Français sont en général de mauvaise humeur. C’est surtout vrai des Parisiens, car Paris est devenue une ville dure, sale, mal gérée, inhospitalière. Et sa maire se prépare pour se présenter aux élections présidentielles! Rien ne va plus.
Depuis quelques temps, une violence à divers niveaux s’est installée en France et en particulier à Paris. Le long épisode des Gilets Jaunes, il y a deux ans, a été un début de ces manifestations où les lois basiques de la démocratie ont été piétinées. L’Etat a été surpris et surtout a manqué d’autorité. Les samedis étaient devenus le cauchemar des commerçants se trouvant sur le trajet des manifestants. La police fut souvent débordée; des coups ont été échangés de part et d’autre. Des biens privés ont été incendiés. Un brouillon d’une petite guerre civile se présentait à nos yeux ébahis, ne sachant comment expliquer ce phénomène qui ne ressemblait à rien de connu dans le pays.
Cette violence a laissé des traces dans les mentalités et aussi dans les institutions. Macron improvisait une politique de débats et de dialogue. Ça ne rimait à rien. La fracture était profonde et l’arrivée de la pandémie allait l’accentuer malgré les aides de l’Etat.
Aujourd’hui, les relations humaines sont pour la plupart empreintes de cette violence qui se traduit par de l’intolérance, du racisme à plusieurs niveaux, par la banalité des règlements de compte entre adolescents se soldant par des meurtres dont on n’avait pas l’habitude.
Une morosité doublée d’agressivité existe dans la rue, entre voisins, entre passants.
Les débats à la télé ont pris parfois des allures où la vulgarité l’a disputé à l’absence de pensée. Tous les jours de la semaine, la parole est donnée durant une heure à Eric Zemmour qui ne cesse de rappeler que «Marine Le Pen est de gauche, parce qu’elle privilégie le social à l’identité», qu’«une femme voilée est une mosquée ambulante» et qu’il n’y a «strictement aucune différence entre islam et islamisme».
Ces provocations sont suivies complaisamment par, paraît-il, au moins un million de téléspectateurs. De là, la rumeur que ce polémiste, cultivé et intelligent, qui manie la mauvaise foi avec brio, pourrait se présenter aux élections présidentielles. Des voix du Rassemblement National ne cessent de lui demander de les rejoindre. Mais, il trouve que ce parti n’est pas assez à droite.
Une députée du parti Les Républicains, n’a rien trouvé de mieux que de dénoncer les mariés qui fêtent leur union à la mairie en poussant des youyous, en dansant à l’orientale ou en exhibant le drapeau de leur pays d’origine. Heureusement que le ministre de la Justice lui a répondu: «quand je vois des gens danser, je suis heureux»!
L’autre violence s’est exprimée durant les élections régionales et départementales. La grande abstention est un message terrifiant lancé aux hommes politiques de ce pays. Ils ne sont plus crédibles. Leur discours tombe à plat. Leurs promesses ne sont pas prises au sérieux. Pendant ce temps-là, un ancien président de la République est condamné à la prison ferme. On verra la suite avec l’appel.
La pandémie et ses contraintes sanitaires et économiques ont provoqué des perturbations psychiques chez nombre de personnes. Les repères se sont effondrés. L’avenir s’est obscurci. Les relations inter-familiales ont été traversées par des courants dérangeants. Là, des hommes et des femmes ont retourné la violence contre leur propre destin. Les violences conjugales augmentent aussi. La famille d’une femme, qui s’est donnée la mort, vient de déposer plainte contre son mari pour «suicide forcé».
A peine sorti d’une longue attente, avec couvre-feu et diverses restrictions, que des syndicats ont repris leurs vieilles bonnes habitudes: faire grève juste au moment où les Français s’apprêtent à voyager. La grève aux aéroports de Paris, annoncée du 1er au 5 juillet, pénalise les citoyens qui ont choisi de partir en vacances. C’est une violence traditionnelle. La grève est tout à fait légitime. Les revendications des salariés sont justes et méritent d’être prises en considération. Mais pourquoi les syndicats tiennent-ils à se mettre à dos une partie des citoyens? Pourquoi manquent-ils tant d’imagination pour atteindre leurs objectifs? Cela relève d’une haine de plus en plus banale et assez répandue. Elle s’exprime par des gestes et des actions qui brisent l’harmonie sociale tant espérée.
Les partis politiques ne parlent plus de guerre civile, mais ne savent plus proposer au peuple des solutions crédibles et raisonnables pour sortir de la crise et du malaise. Malgré tout, il paraît que la reprise économique est bien lancée. La bourse se porte plutôt bien. Le télétravail est une manne pour certaines entreprises. Mais le pays n’a pas bonne mine. Macron n’a pas su raconter une histoire au peuple français. Il a bougé beaucoup, mais il n’a pas su emporter dans son élan la ferveur d’un peuple qui aime qu’on lui donne des raisons d’espérer. De Gaulle a su parler au peuple. Mitterrand aussi. Mais Macron, non. Il n’a pas assez vécu. De la vie, il ne connaît qu’un aspect, celui d’une réussite rapide sans épreuves, sans fatigues, sans désespoir. Et pourtant il veut absolument qu’on lui refasse confiance, cinq ans durant. Difficile d’y céder, à moins que le scénario catastrophe ne se reproduise de nouveau. Là, j’en connais qui seront très embarrassés.
La violence ambiante est accompagnée par une sorte d’arrogance muette. Le pathétique échec de l’équipe de France face à l’équipe suisse est une illustration de cette situation. Je ne suis pas spécialiste de football, mais je suis certain que si les Bleus devaient affronter une grande équipe, comme celle de l’Allemagne ou de l’Angleterre, leur jeu aurait été différent et ils auraient probablement remporté une victoire. Dans l’inconscient collectif de cette équipe, par ailleurs formidable, il y a quelques préjugés qui se sont installés avec le temps. Ainsi, il est des équipes qu’on peut facilement battre. La Suisse devait faire partie de cette configuration.
Leur échec a été vécu comme une violence supplémentaire, car l’attachement du peuple français à son équipe est non seulement fort, mais de plus en plus ambigu.
Le match de lundi dernier a raconté la France d’aujourd’hui. Une France qui a besoin de nouvelles espérances. Les politiques ne semblent pas être capables de les lui proposer.
Telle est la France de ce début d’été. Morose, fatiguée et désabusée. La violence rôde et les citoyens cherchent un lieu en France pour quelques vacances.
Ils pourraient venir au Maroc. Il faudra juste rester vigilant et savoir que le virus et ses variants ne nous ont pas encore lâchés.