Pegasus, ou Le Petit Marocain vs la culotte menstruelle de Madame O.

F. Pomel

ChroniqueOù j’entends remettre quelques pendules à l’heure d’un certain Maroc, clairement méconnu.

Le 31/07/2021 à 06h18

Lippe dédaigneuse: «mais comment? Des Marocains qui nous écoutent?! Allons bon…».

Petit regard par en dessous: «ah ben il ne manquait plus que cela, être espionnés par ces sous-dev’!».

Air hautement condescendant: «des Marocains?!! Mais vous n’y pensez pas!».

En plein pseudo-scandale planétaire de l’affaire Pegasus, la petite bonne femme distraite et pas du tout calculatrice qui vous écrit ces lignes dans un état de véritable rage froide, n’a pas eu besoin de se souvenir que son cycle menstruel touchait à sa fin: mon fil Facebook est venu très à-propos rappeler à mon bon souvenir, avec une publicité, la venue imminente de mes ragnagnas, que jamais ô grand jamais, malgré bien des audaces et bien des folies, je n’ai évoqués auprès de mes contacts, ceux qui forment mon réseau.

J’en ai parlé il y a un certain temps, peut-être à ma fille, ou peut-être en me sermonnant à voix haute… L’algorithme de Facebook a cela d’étrange qu’il «capte» aussi ces trucs-là… Et voilà, tous les mois, à point nommé, Facebook vient me rappeler à quel point la culotte menstruelle de Madame OlympeTM (pub gratuite, de rien) pourrait me faciliter la vie.

Une culotte menstruelle, écolo, de fabrication marocaine, que je prendrais sans doute plaisir à porter (c’est en tout cas la promesse marketing du site promotionnel) et ensuite à nettoyer, dans ma nouvelle et toute petite machine à laver semi-automatique, Made in Morocco, trois litres d’eau seulement par cycle, n’y fourrez pas trop de fringues, elle se débrouille parfaitement, et fait le job, bravo.

J’ai pris Facebook comme exemple, ç’aurait aussi bien pu être Twitter, ou tout autre réseau social.

Profilée.

Epiée.

Par de stricts inconnus?

Par le calcul savant de machines?

Je n’en sais strictement rien. 

Autre occurrence, plutôt zarbi: il m’a suffi d’avoir, voici un peu plus de deux mois, une conversation avec encore une fois ma fille, cette fois-ci sur ses goûts en shopping, pour qu’une pub de la boutique en ligne qu’elle avait évoquée avec moi, dans cette conversation à deux dans mon ancien appartement de Marrakech, apparaisse comme par magie dans mon «fil d’actualités» sur Facebook…

L’affaire Pegasus? Rien que de très normal, dans cette société de l’information dans laquelle nous sommes noyés, où absolument tout le monde écoute tout le monde, et où je t’espionne et tu me contre-espionnes. L’arroseur arrosé, l’attrapeur attrapé… Touché? Haha. Coulé.

C’est surtout ce ton condescendant, qui suintait phrase après phrase dans ce que j’ai pu lire comme articles accusateurs envers le Maroc, ou pu entendre comme déclarations sur des plateaux de télévision, qui a irrésistiblement évoqué, pour moi, un objet dont comme tant d’autres je me suis débarrassée à grands coups de pieds, peu avant de larguer les amarres et de quitter Casablanca.

C’est d’ailleurs le premier truc, avant que les brocanteurs ne débarquent, que je suis allée décrocher d’un mur des toilettes où il était exposé: la Une encadrée d’un numéro d’un quotidien en français datant du Protectorat, Le Petit Marocain, qui, dans les années quarante-cinquante du siècle dernier, abreuvait nos cerveaux colonisés de ses expressions condescendantes, puisque ses journalistes étaient persuadés de leur grande supériorité.

Un cadeau de mariage, celui d’une union révolue, que j’avais récupéré à notre heureux divorce, et que je traînais depuis tel un boulet. Je l’avais fichu aux chiottes, le boulet. La vision du monde que Le Petit Marocain proposait ne pouvait s’assortir que de mes déjections et de celles de mes hôtes -parmi ceux-ci, un Français avait eu la bonne idée de s’excuser, certes à demi-mots, de ce qu’avait commis sa patrie envers la mienne, juste après le popo et la lecture édifiante qu’il fit là.

Je les regarde, les Edwy Plenel et consorts, et je me dis qu’ils n’en sont toujours pas guéris, du syndrome du «Petit Marocain». Un Marocain, ça doit savoir se tenir à sa place. Ils ont ouï dire qu’ils avancent, ces Marocains, qu’ils progressent, qu’ils évoluent? Mais il n’en est tout simplement pas question! La machine à contrer, à tabasser, à tenter de casser du «Petit Marocain» se met immédiatement en branle. 

Peu importe, après tout, si Karen, née au Maroc, magnifie de son œil de photographe les savoir-faire parisiens, et pose un regard sublimement poétique sur le monde qui l’entoure…

Peu importe, si Wanis, né au Maroc, a su théoriser, dans un admirable élan où l’intuition le dispute à la science, la circulation des grandes métropoles…

Et oui, peu importe encore, si Yoram, né au Maroc, et tout aussi très en avance sur son temps, a inventé une carte de visite digne du XXIIe siècle, avant de créer un régime révolutionnaire, qui bouscule tous les codes, et fait remettre leurs vieux jean’s à des hommes et des femmes, par dizaines, qui étaient gavés de malbouffe, et qui le sont toujours d’infobésité.

Car oui, nous sommes à l’ère de l’information, à celle des fake news, aussi. Nous sommes également à une ère où une certaine élite d’une Europe sclérosée, d’un Occident qui peine à se réinventer, regarde de haut un pays, notre Maroc à multiples vitesses, et réfute l’évidence: que vous le vouliez ou non, vos matières grises valent bien certaines des nôtres.

Nous vous égalons? L’idée vous fait frémir?

Oh que non, nous ne nous contentons pas de vous égaler: sachez simplement que certains d’entre nous, vous dépassent déjà.

Et je n’ai fait que regarder juste là, devant mon nez: ces trois admirables Marocains que je viens de citer ont obtenu leur bac en même temps que moi, dans mon lycée casablancais.

Oui, vraiment, à bas cette condescendance qui pue la naphtaline.

Je serais ravie de voir Edwy Plenel & Co s’attaquer au décidément très étrange algorithme de Facebook. Mais ça, c’est bien trop énorme pour eux, jugent-ils en toute couardise, tout en faisant semblant de n’avoir rien vu.

«Le Petit Marocain», par contre, pouahaha, c’est facile, «on va le casser».

Vous rêvez. Et vous êtes très en retard par rapport à certains d’entre nous.

Par Mouna Lahrech
Le 31/07/2021 à 06h18

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Bravo MADAME (en majuscules SVP) ! Vous portez bien votre nom (LAHRECH) qui veut dire en arabe le dur, le ferme ... bref celui qui n’aime pas qu’on lui marche sur les pieds. Et par ce magnifique article, vous en faites la preuve aussi bien pour vous-même que pour toute une génération. Mille mercis pour cet écrit qui traite au pire d’égal à égal ceux qui prétendent nous donner des leçons et peu importe le domaine de leurs interventions. Chapeau bas et maintes révérences !

Il y a une grande différence entre l'utilisation d'algorithmes résultant de votre activité volontaire sur les réseaux sociaux et la surveillance de vos conversations personnelles...

A part les nationalistes marocains, l'affaire "Pegasus" lié au Maroc n'irrite personne. Depuis Snowden, on sait très bien que tous les Etats s’espionnent entre eux. C'est de bonne guerre comme dise les militaires. LA seule règle est de ne pas se faire chopper. C'est aussi pour ça que le gouvernement français ne réagit pas. D'une part, parce qu'il fait la même chose et d'autres part parce qu'il a de très bon rapport avec le roi du Maroc. Pour mediapart, il est vrai qu'ils en font une affaire d'Etat mais n'est ce pas leur travail?

C'est vrai que manier ainsi la langue du colon pour tenter de se décoloniser, c'est une véritable gageure, bravo Madame et merci de remettre les pédales à l'heure

Bravo très chère amie et sœur intime de combat (je me permets cette formule, l'émotion étant trop grande pour en choisir une plus mesurée) pour cette admirable démonstration sociologico-féministo-nationalisto-antiracisto-politique ! Puissant !

Parfaite comme toujours. Edwy plumé, a ça de particulier, hait le Maroc en ai une vertu pour lui, encore plus parceque c'est une monarchie, il l'ombre rouge d'un temps révolu, d'ailleurs il cherche à fracturer la France aussi. A la solde de l'Allemagne socialiste et avant fachiste il reste un adepte de tout ce qui ramène les peuples à la merci d'hommes visionnaire détenteur de vérité et de vertu, voyez vous il est fidèle à Jules Ferry qui a dis un jour que les races supérieurs ont un devoir envers les autres races. O saint edwy guide nous vers la lumière comme un certain Dieudonné aurait dit.

Bravo chère Mounia, je vous admire car vous avez su courageusement dépasser votre complexe d'infériorité et le clamer haut et fort à la face du monde, avec un brillant argumentaire à l'appui. Stop au colonialisme et à ses dégâts économiques, culturels, éducatifs et technologiques sur la société marocaine ! Plus jamais ça !

Toujours un immense plaisir de vous lire... Je suis fan de votre style, vous arrivez à traiter des sujets sérieux avec légèreté et dérision en transmettant un message à prendre en considération. Encore une fois bravo dans l'attente de votre prochain article...

Pareil, je trépigne d'impatience à l'idée de connaître l'efficacité de la culotte menstruelle made in Morocco, c'est avec ce type d'initiative que notre pays saura égaler voire dépasser la puissance industrielle de l'Occident

Toujours sympa de mettre en avant des génies visionnaires et méconnus comme le sont les 3 camarades de promotion que vous citez dans votre magnifique texte, j'imagine que le talent et le mérite hissés à ce niveau créent des liens à l'international.

Merci pour cette belle et très juste analyse

Oui madame bravo vous les surpassez et de loin.

De la littérature de haute volée que vous nous proposez là Mme Lahrech, je me régale toujours plus de votre écrits avertis et puissants. Merci infiniment de nous offrir ces quelques lignes tout à fait indispensables. Au plaisir de vous lire et vous relire.

Bravo Mouna. Style corsé et analyse pertinente. Cela me rappelle Caliban dans La Tempête de Shakespeare où Caliban dit à son maître " Tu m'as appris ta langue et bien maintenant je peux t'insulter." Très heureuse de voir la jeunesse marocaine se libère de la pensée coloniale, prendre les rênes de la pensée et l'exprimer avec verve.

C'est vrai que la comparaison avec Shakespeare est tout à fait appropriée, tant sur le fond que sur la forme. Brillantissime Mouna, on en redemande ! Personnellement, je n'apprends pas une langue étrangère avec pour objectif d'insulter mon prochain, mais ça peut toujours servir, en effet.

Bravo Madame , avec tout mon respect . Votre plume est percutante , claire , forte par un style limpide

Comme toujours, une analyse nécessaire, profonde et inspirée des enjeux socio-politiques du moment. Merci de nous éclairer de vos lumières chère Madame.

Très belle découverte. J'adore et le style et la pertinence.

Pourquoi subissons-nous cette image du "petit Marocain" qui doit rester à sa place ? Soyons concret et honnête envers nous-mêmes. Dans le passé, et encore de nos jours, il y a l'émigration "de la dernière chance" pour nombre de nos frères et sœurs. Malheureusement, cette part de la population est loin d'avoir le bagage académique pour être perçue comme "honorable" envers les pays dit "riches" et donc est ignorée voire moquée, de plus notre philosophie de la vie n'est et ne sera jamais comme celle de l'Occident, c'est ni bon ni mauvais, c'est comme ça. Alors, plutôt que de se chercher des excuses ou des méchancetés chez les autres, soyons indifférent à toute forme de critique et continuons notre chemin car au bout du compte c'est le résultat qui importe et non pas comment on y est parvenu.

Chapeau l'artiste...c'est un coeur marocain qui s'exprime spontanément...et merci

Je me suis régalé en lisant cet article. Quelle langue, quelle fluidité. Net concis et percutant.de l'intelligence à l'état pur.

Percutant, c'est le mot

Très instructive cette envolée lyrique sur l'intimité féminine, merci, un grand moment de littérature et de métapolitique.

Edwy Plenel et son obscure officine "Mediapart" sont certes en mal de publicité! Parler encore et toujours de ce sinistre individu, c'est déjà lui faire trop d'honneur! Ce qu'il ne mérite pas du tout. Il suffit de lire l'excellent livre-enquête " La face cachée du Monde " publié par Pierre Péan et Philippe Cohen pour appréhender le parcours sinueux de cette petite frappe qu'est E. Plenel qui l'a mené du mouvement trotskiste à la direction de la rédaction du quotidien Le Monde: journal bourgeois et viscéralement européocentriste qui use allégrement de la novlangue pour berner ses lecteurs et s'octroyer abusivement la qualité de " journal de référence "... Soit dit en passant, le père d'Edwy Plenel était un collaborateur du régime de Vichy et de l'Allemagne nazie. Cela peut expliquer le comp

Tant mieux, j'ai envie de dire. Si le Maroc est attaqué; c'est que certains pays ne veulent pas admettre le fait qu'il doivent compter avec lui. Sa stabilité politique, ses réalisations qui vont s'accélérer, ses intermédiations constructives (Libye et bientôt d'autres) dérangent. Elles dérangent ceux pour qui les affaires du monde (économiques, diplomatiques....) sont exclusivement de leurs ressorts. Grâce à la sagesse et à la vision de Sa Majesté le Roi, notre pays est destiné à un grand avenir. Alors qu'ils l'admettent ou ne l'admettent pas ne changera à l'affaire. Bonne continuation, Dieu nous aidera.

Très bonne analyse. Mes respects.

Bravo et bel écrit pertinent. Merci tout simplement

Bonjour Article intéressant cependant je ne comprend toujours pas le parallèle tente entre l’algorithme de Facebook et l’affaire d’espionnage diplomatique pegasus…

Pour tout savoir sur une personne tu va sur son profil

"Oui, vraiment, à bas cette condescendance qui pue la naphtaline." Génial, tout simplement génial. Merci

nice so nice

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