A trente et un an, cette jolie brune aux yeux qui pétillent, à la frêle silhouette longiligne et au grand sourire, est devenue un emblème, celui des femmes sahraouies des camps de Tindouf. Peut-être ne le savent-elles pas, du fin fond de leur tente, elles qui sont coupées du monde, mais Khadijatou, qui est née là-bas elle aussi, a réussi le pari de faire entendre sa voix et donc la leur, malgré les menaces et les pressions qu’elle subit.
Khadijatou est une femme dont la force et le courage méritent d’être salués mais aussi soutenus, elle qui, à dix-huit ans, a été violée par Brahim Ghali, le chef du Polisario. A cette époque, elle travaillait comme traductrice pour le Polisario. Désignée par une ONG italienne comme accompagnatrice lors d’un Sahara Marathon, elle est ensuite invitée en retour en Italie par cette même ONG. Khadijatou doit se rendre au consulat d’Italie à Alger pour récupérer son visa, mais avant cela, elle se doit d’abord d’obtenir une autorisation de sortie de «l’ambassade» du Polisario à Alger.
Elle se présente à 9 heures du matin devant l’administration, mais on repousse son rendez-vous à 19 heures. Accompagnée d’une amie, celle-ci se voit interdire d’accompagner Khadijatou. A l’intérieur, il n’y a personne… Elle se rend dans le bureau de Brahim Ghali, qui lui est bien là, et lui remet les documents nécessaires pour obtenir son laissez-passer. Mais il les met de côté, et c’est alors que débute le calvaire de la jeune fille. «Il commence tout de suite à me toucher en répétant ‘laisse-moi faire après je te donne le visa, de l’argent. Tout ce que tu veux’. Je crie, je me débats (…) Il me viole avec une telle brutalité que j’ai commencé à saigner abondamment. Il me jette une Melhfa. La mienne était souillée», témoigne-t-elle.
Quand Khadijatou parvient à s’extraire des griffes de son agresseur, elle se confie à sa mère, qui lui intime l’ordre de se taire. Ces choses-là ne se disent pas. Un tel aveu ferait encourir des risques à sa famille à Tindouf, mais serait aussi un déshonneur. Une jeune fille se fait violer et c’est la dignité de toute une famille qui en pâtit. Ces choses-là ne se disent pas, elles se cachent, se subissent en silence… Ainsi va la vie dans les camps de Tindouf quand on est une femme.
Mais Khadijatou, elle, a décidé de ne pas se taire. Soutenue par son frère, qui résiste au chantage et aux pressions du Polisario pour faire taire sa sœur, il la croit et la protège. Elle s’installe en Espagne en 2013 et porte plainte contre son agresseur la même année, ce qu’elle ne pouvait pas faire en Algérie, croyant qu’ici, dans ce pays de droit, justice sera faite. Nous sommes en 2022, et justice ne lui a toujours pas été rendue.
Qu’à cela ne tienne, sa parole se médiatise, se fait entendre et lui apporte de plus en plus de soutiens, quand bien même les instances internationales font la sourde oreille. Khadijatou s’accroche malgré tout, comme ce fut le cas le jeudi 13 octobre dernier, au parlement européen de Bruxelles, où sa présence a fait l’objet d’une véritable guerre d’influence dans les coulisses de l’institution européenne, afin de l’empêcher de prendre la parole, comme en témoigne un reportage diffusé sur la chaîne i24 News.
Khadijatou est une menace pour le Polisario et son parrain l'Algérie. Il ne s’agit pas d’une femme ordinaire, mais d’une icône qui fait porter la voix, à travers le monde, de toutes ses sœurs sahraouies des camps de Tindouf, victimes de viols et emmurées dans le silence. Elle ne prend pas la parole, haut et fort, pour parler uniquement de son viol et dénoncer la dégoûtante impunité dont bénéficie son bourreau à l'intérieur même d'un pays membre de l’union européenne, pourtant si prompte à défendre les droits de l’homme, elle prend la parole pour dénoncer des faits autrement plus graves.
Ses témoignages permettent de découvrir la vie cauchemardesque des femmes sahraouies dans les camps de Tindouf. Elle raconte les prisons, où sont envoyées les femmes qui sont violées, qu'on emprisonne pour mieux les faire taire. Elle raconte aussi des grossesses issues de ces viols, des bébés qui naissent en prison et qui sont ensuite arrachés à leur mère, avant de disparaître. Que deviennent-ils? Personne ne le sait.
Khadijatou raconte aussi les détournements des aides humanitaires par le Polisario, la façon dont ses milices menacent sexuellement les femmes pour leur offrir des vivres en contrepartie. Elle raconte enfin le terrible silence de ces victimes, mais aussi l’absence d’espoir en l’avenir des jeunes générations, coupées du monde, privées de parole et de soutiens.
Les années passent et la cause de Khadijatou Mahmoud se heurte toujours à un mur. Ses détracteurs ont le bras long et les ressources suffisantes pour parvenir à imposer le silence à des pays dits «de droits». Pendant ce temps-là, son agresseur, lui, circule librement. Que ce soit en Espagne, où il a été soigné du Covid-19 en pleine pandémie, alors que plusieurs plaintes avaient été déposées contre lui dans ce pays par des ressortissants espagnols... Ou encore en Tunisie, où il a été reçu avec les honneurs dignes d’un chef d’Etat. Un comble, pour ce pays qui fut, un temps, le hérault de l’égalité des sexes, de l’émancipation des femmes arabo-musulmanes, le berceau de la révolution dite du «Jasmin». Quel revers et quelle déchéance!
Alors puisqu’aujourd’hui, il faut être un hashtag pour exister, puisque le mouvement #metoo n’a pas réussi à se frayer un chemin jusqu’aux camps de Tindouf, pourtant aux portes de l’Europe, et puisque la guerre d’influence se mène aussi et surtout sur les réseaux sociaux, #jesuisKhadijatouMahmoud.