Il pleut, il meurt, c’est la fête au fossoyeur

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ChroniqueDes maisons cèdent "sous l’humidité", des poteaux tombent "sous le vent", des chevaux pleuvent comme les sauterelles de l’apocalypse. Que Dieu nous vienne en aide et referme ce ciel. Nous cesserons de prier pour un peu d’eau concédée à la terre.

Le 02/03/2018 à 18h46

Nous cesserons bientôt de prier le ciel pour un peu de pluie concédée à la terre. Le jeu n’en vaut pas la chandelle. Quelques gouttes de pluie pour des torrents de larmes qu’on a vite fait de sécher au soleil aveuglant des silences et des mensonges, du mépris… Non, le jeu n’en vaut pas la chandelle et nous finirons par prier pour que ce ciel, puisqu’il s’ouvre à chaque fois comme une fin de monde, reste tendu bleu, au-dessus de nos têtes, dans le clinquant de ces lumières de pacotille.

Chaque année, c’est la même tragédie. Elle en serait devenue comique, sans les morts qu’elle sème sur sa route. Se retrouver, en plein centre de Casablanca, après une nuit de pluie, à braver les routes inondées à la nage, c’est assez insolite pour nous tirer des rires. Ça crée même des héros pour égayer l’instant. A Casablanca, nous avons « Allal Al Kadous », comprenez « Allal Les Egouts ».On aurait pu lui trouver un surnom plus noble, à ce super héros, mais que voulez-vous, les Marocains ont de l’humour. L’humour, c’est un peu, comme ce ciel bleu tendu toit de la honte, le dernier rempart contre l’humiliation. Enfin, toujours est-il que Allal avait surgi, tous muscles dehors, au milieu des eaux, pour plonger dans les égouts et en ressortir, sous les cris admiratifs et autre pluie d’applaudissements, les roches qui les entravaient, des roches immenses qui faisaient saillir son torse herculéen. Ça fera une histoire à conter aux enfants. Ça arrange surtout les services de voirie qui se disent, chaque année, qu’il viendra bien un Allal pour leur sauver la mise et détourner l’attention des citadins. Heureusement pour eux, il y a des Allal. Heureusement pour eux, il y a de l’humour.

Oui, ç’aurait pu en devenir comique, n’eussent été les fleuves qui sortent de leur lit et emportent petits et grands, les immeubles qui s’effondrent sur leurs habitants. Ne cherchez pas les responsables. C’est la pluie, c’est le ciel. On ne peut rien y faire. Même le vent fait la fine bouche, qui a décidé d’ignorer les arbres -trop facile- pour aller déraciner des lampadaires, fauchant, en passant, quelques touristes. Allah Akbar. C’est la tempête. On ne peut rien y faire. Nul n’est fautif. Il pleut, et le monde prend des allures de déluge… Il vente, et le moindre souffle de vent nous emporte. Des maisons cèdent sous l’humidité, des poteaux tombent sous le vent, des chevaux pleuvent comme les sauterelles de l’apocalypse*. Que Dieu nous vienne en aide et referme ce ciel. Nous cesserons de prier pour un peu d’eau concédée à la terre.

Il pleuvait sûrement aussi, ce jour-là. Ce jour de décembre, le 29 décembre exactement, je m’en souviens, quand cette petite fille de trois ans, électrocutée dans la rue d’un quartier pauvre de Ain Diab, oui, dans la rue, a été brutalement arrachée à la vie. Je ne parviens pas à me rappeler le temps qu’il faisait, mais il pleuvait, sûrement. Et le vent, voyez, puisqu’il emporte les lampadaires, avait dû excaver du béton les racines électriques de quelque arbre de métal. Nul n’est responsable. Et on a enterré l’enfant dans le plus assourdissant des silences. Ces silences qui s’en remettent à Dieu, dans la plus cinglante des solitudes.

*Allusion à la sculpture de l'artiste Sahbi, arrachée de son socle.

Par Bouthaina Azami
Le 02/03/2018 à 18h46