Le Plan d’action communal de la ville de Casablanca (PAC 2023-2028) prévoit, parmi ses points, la restructuration de la fabrique culturelle des anciens abattoirs. Un budget de 100 millions de dirhams sera affecté à ce projet qui consiste, concrètement, à réaménager et à rénover la fabrique à travers des opérations de nettoyage, de peinture, d’assainissement et d’éclairage. Il s’agira également d’élaborer un calendrier détaillé des évènements culturels qui y seront organisés.
Il faut noter que le projet de restructuration de la fabrique culturelle des anciens abattoirs de Casablanca, au quartier Hay Mohammadi, ne date pas d’aujourd’hui. C’est en fin 2008, alors que Mohammed Sajid de l’Union constitutionnelle (UC) se préparait pour un nouveau mandat à la tête du Conseil de la ville, que la transformation des anciens abattoirs en une usine de la culture s’est opérée. L’aventure a duré trois ans.
Aadel Essaadani, alors président du Collectif de la fabrique culturelle des anciens abattoirs, lequel regroupait plusieurs associations culturelles, nous en parle dans cet entretien pour Le360.
Vous avez accompagné le projet de création de la fabrique culturelle des anciens abattoirs de Casablanca en 2008. Que pensez-vous de ce projet de rénovation annoncé dans le nouveau Plan d’action communale (PAC)?
Tout d’abord, le Plan d’action communal est un document exigé par la loi organique. Il s’agit du deuxième, et comme d’habitude, nous sommes dans les effets d’annonce. Il y a eu un premier entre 2016 et 2022, mais on oublie une étape importante, celle de faire l’évaluation de celui qui vient de s’achever. Nous n’avons pas cette culture de l’évaluation.
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Normalement, ce PAC, il faut que ce soit un document qui émane d’une concertation. Il n’y a eu aucune concertation. On fait appel à une agence de consulting qui traite de tout, de l’électricité, des eaux usées, des parcs, de la culture… Et le problème pour les abattoirs, c’est qu’il n’y a jamais eu de vision claire. Ce n’est pas une usine de chaussure, mais une usine de culture où les artistes sont les premiers impliqués. C’est ainsi que nous l’avons appelée la fabrique culturelle des abattoirs.
Le PAC évoque le projet de la fabrique culturelle comme s’il était tout récent, alors qu’il date de 2009 et que plusieurs actions culturelles y ont déjà été menées...
C’est bien de le rappeler. Le projet date en effet de 2009, voire de la fin de 2008. A l’origine de ce projet, il y avait une convention de partenariat entre la ville d’Amsterdam et la ville de Casablanca. A l’époque, Sajid (Mohammed, NDLR) était maire de la ville. Nous avons constitué des focus groups, pour une concertation avec les professionnels de la culture, des gens qui travaillent dans le secteur culturel dans cette métropole, pour voir ce qu’on peut faire de ces anciens abattoirs fermés en 2002, toujours sans travail préalable pour savoir ce que vont devenir les gens en face, les bouchers, les restaurants de grillades, etc.
Ce qui est sorti de ces focus groups, c’est que nous allons expérimenter les lieux pour les transformer en une fabrique culturelle. C’est une présentation publique de ce qui se fait au Maroc en termes de création mais surtout de mise à niveau des lieux pour y créer de la culture. Nous avons ainsi mis en place 5 départements: arts vivants, théâtre, musique, danse, arts plastiques et visuels, et arts de la rue...
«Il n’y a jamais eu de vision claire pour les anciens abattoirs de Casablanca»
— Aadel Essaadani
Quels étaient les différents intervenants dans ce projet?
Nous avons créé un collectif, une association que je présidais à l’époque. Nous n’avons pas la science infuse. Nous étions conscients qu’on devait être plusieurs et le collectif devait réunir des professionnels de la culture pour aboutir sur un projet qui tient la route.
Il y avait dans ce collectif Casa Mémoire, dont j’étais membre, Le Boulevard, la Fondation des arts vivants, la Source du lion et plein d’associations spécialisées dans le théâtre, la musique… Finalement, nous avons demandé à différents artistes et structures de proposer une programmation avec laquelle on ouvrirait les abattoirs. C’est ainsi que nous avons organisé l’évènement «Les Transculturelles des Abattoirs» les 11 et 12 avril 2009. Ce n’était pas destiné à devenir à un festival, mais l’objectif était d’expérimenter les lieux.
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Mais à l’époque on était encore séduisants pour les responsables de la ville. Le maire Sajid se présentait à un deuxième mandat pour juin 2009. Il nous a donc permis de mettre en place ce projet qui était ouvert et à contre-courant du Parti de la justice et du développement (PJD), qui était en train d’éclore.
Jusque-là, tout va bien. Mais pourquoi le projet a-t-il fini par prendre l’eau?
Les Transculturelles des Abattoirs ont rassemblé 30.000 personnes. C’était la première fois qu’on ouvrait les abattoirs au grand public. C’était une vraie réussite, car il y avait une mixité de la population, des familles, des voilées, des pas voilées, des riches, des pauvres, des ministres... Nous avions aussi fait en sorte de canaliser cette mixité de la population en créant un souk associatif, c’était une approche pour rendre l’art accessible à tous. Et on demandait aux artistes de réaliser des œuvres avec lesquelles on peut se prendre en photo, marcher dessus...
«Une fois que Sajid a été réélu, le projet ne l’intéressait plus. Après, avec l’arrivée du PJD, on ne savait même pas ce qu’ils voulaient. Et la négociation s’est arrêtée dès le départ.»
— Aadel Essaadani
On a fait une programmation durant trois ans et ça a bien fonctionné. Nous avions même organisé la Fête de l’Europe avec la délégation de l’Union européenne et nous sommes, par la suite, entrés dans un réseau des friches culturelles...
Quid du financement ?
A l’époque, on répondait à des appels d’offres internationaux et tout était transparent. Le conseil de la ville de Casablanca nous avait donné 2 millions de dirhams pour réaménager les lieux un minimum. Ça a coûté 500.000 dirhams pour rendre les lieux sûrs, et on a injecté 1 million et demi de dirhams dans trois ans de programmation, dans l’installation d’un bureau. On faisait une programmation tous les mois en demandant aux associations du collectif de programmer 10% de leurs activités et de les domicilier dans les anciens abattoirs.
Une fois que Sajid a été réélu, le projet ne l’intéressait plus. Après, avec l’arrivée du PJD, on ne savait même pas ce qu’ils voulaient. Et la négociation s’est arrêtée dès le départ. Pourtant, on avait tout un projet culturel, bien ficelé.
J’étais président du collectif de la fabrique culturelle des anciens abattoirs qui était chapeauté par Casamémoire. Mais nous avons créé une autre association pour qu’elle soit hébergée et domiciliée dans la fabrique culturelle, et nous avons eu droit à un refus net mais pas très clair de la part de Sajid.
Après le collectif des anciens abattoirs, Casamémoire a pris le relais et maintenant, on parle de Casa Event. Croyez-vous en un changement?
Actuellement, nous sommes un peu blasés. Ils peuvent dire ce qu’ils veulent, on ne les prend plus au sérieux. Trop d’effets d’annonces tue l’effet d’annonce. A un moment donné, il faudra faire l’évaluation de ce qui a été annoncé et ce qui n’a pas été fait. Basta l’amnésie.
Ce serait bien qu’on puisse parler des projets de la commune de Casablanca avec des artistes, avec des acteurs culturels car il y a un effet d’appropriation qui est nécessaire et que nous n’avons pas. C’est pour cette raison que nous restons dans les effets d’annonce. Les abattoirs, on nous annonce des chiffres, mais il n’y a rien dedans.