Ma chronique de la semaine dernière sur al-Andalus a suscité une discussion à poursuivre sur un autre plan…
Au rang des mythes savamment entretenus sur les liens humains entre les Deux Rives se trouvent l’exil et l’installation de populations issues d’al-Andalus, de manière quasi exclusive dans les grandes villes du Maroc, donnant naissance à des familles influentes et même à ce qui a été désigné, dans un commentaire de lecteur, comme «le lobby andalousiste».
Or, sans vouloir minimiser l’importance de ce courant migratoire dans les grands centres urbains fréquemment cités, il est souvent omis de mentionner que ces populations se sont établies, en grand nombre aussi, dans des bourgades isolées, dans les montagnes et dans les campagnes aux quatre coins du pays, suivant en cela leur mode de vie passé en Andalousie.
Dans le Rif pour commencer, et pour ne parler ici que du mouvement effectué du nord vers le sud (ce qui n’exclut pas une origine amazighe antérieure), les migrations s’y font intenses au vu de la proximité géographique.
Les chroniques retiennent ainsi qu’au milieu du 8e siècle, des familles andalouses frappées par la famine se sont installées au sein du florissant Émirat de Nekour.
Avec le mouvement de la Reconquista, plusieurs localités sont devenues des lieux d’asile pour les réfugiés, telles Badis, Adouz ou Melilia.
Tout le monde connaît l’épopée d’Ali Mandari, gouverneur de la forteresse de Bedmar, réputé pour sa bravoure contre les Castillans, arrivé au Maroc en compagnie de quelques Andalous pour s’installer d’abord près du fleuve Martil, puis à côté des ruines avoisinantes de Tétouan, détruite quatre-vingt-dix ans auparavant par les Espagnols!
Là, il reçut l’autorisation de reconstruire la cité qui s’imposa, depuis, en tant que terre d’accueil pour les exilés musulmans et juifs et base de lutte contre les chrétiens, au même titre que la ville de Chefchaouen voisine, nichée entre deux promontoires montagneux.
Certains auteurs affirment qu’avec la chute du royaume de Grenade, les Béni Lahmar nasrides avaient accosté sur les côtes du Rif, à bord de dix vaisseaux, près de Melilla, précisément à Ghissassa (la ville de Casasa dans les récits ibères, fortifiée sur un rocher, détruite depuis), en la personne du prince Abou-Abd-Allah Mohamed, le fameux Zoghbi, Infortuné, dit par les Castillans Boabdil.
Mais les conséquences de la Reconquista se firent sentir sur la région en proie aux famines, aux épidémies et aux chertés des vivres, poussant les Beni Lahmar à prendre, pour certains d’entre eux, la direction de Fès, tandis que d’autres se disséminèrent au sein des tribus de la région, en adoptant les langues des populations et en «amazighant» leur nom, passé d’al-Ahmar à son équivalent Azouagh.
Est-ce un hasard s’il existe, par ailleurs, deux localités portant pratiquement le même nom, Teroual dans le pré-Rif au sud-ouest d’Ouezzane et Teruel en Espagne, anciennement au royaume d’Aragon?
Ce qui reste attesté, c’est l’installation de plusieurs familles berbères dans la région de Teruel, en Andalousie, formant une principauté indépendante avec pour maîtres les Beni Ghazloun zénètes.
«Depuis Jâtiva jusqu’à Teruel, lit-on dans l’Encyclopédie berbère, dès le VIIIe siècle, se trouvaient établis plusieurs groupes berbères parmi lesquels nous citerons les Banū ‛Amīra et les Banū Gazlūn, émirs de Teruel et de Villel, qui appartenaient à la tribu Ulhāsa qui est une branche des Nafza».
Question: qui a laissé son nom à la localité, les Amazighs en emportant le leur en arrivant en Espagne ou les Andalous à leur retour au Maghreb?
À propos de Xàtiva (Játiva en castillan), située dans la province de Valence, baptisée Chateba par les musulmans, elle vit l’exil d’une partie de ses populations avec la prise de la ville en 1244 par Jacques Ier d’Aragon, voire même avant, durant les premières attaques ibères, ainsi que le signale le professeur Abdelaziz Benabdallah qui mentionne le voyage d’Abd-Allah Lakhmi Chatbi et son installation à Aghmat, dont il fut cadi en 1137.
De la ville, tient également son nom le savant, ascète et alchimiste, auteur de plusieurs ouvrages, Mohamed ben Ali Andaloussi Borji, plus connu sous le nom de Hajj Choutaybi (par contraction Chtibi), issu d’une famille grenadine établie au nord du Maroc durant le règne du mérinide Abou-Inane, inhumé en 1556 au village de Tazghadra chez les Béni Zeroual.
La toponymie et la patronymie offrent des éclairages saisissants avec, entre autres noms: Yabouri (d’Evora) ou Qortba (de Cordoba) près d’Ouazzane; Rondi (de Ronda) ethnique attribué à Sidi Wassay bien connu sur la rive sud d’oued Massa; Chbili, appellation en souvenir de Séville (Ichbiliya) perpétuée avec quelques toponymes et groupements, notamment près de Rissani dans le Tafilalet avec la forme Chbili ou avec la source, dite ‘Aïn Sbilliya, près de Debdou...
Celle-ci devrait son nom aux familles juives, installées en 1391 dans la région, à partir de Séville où prêchait l’archidiacre fanatique Ferrán Martínez et où quatre mille juifs avaient péris par le fer et le feu.
D’autres familles juives affluèrent en ces lieux depuis l’Andalousie (les Marciano de Murcie, les Cohen de Séville…), venant enrichir le lot de populations juives autochtones comme les Benhammou ou les Bensoussan…
Dans cette liste, il est difficile de ne pas se rappeler l’appellation Chkounda au sein des Bhalil près de Sefrou!
Selon Lévi-Provençal, des réfugiés du faubourg cordouan de Saqunda (qui conserve le nom d’un ancien village près duquel s’était déroulée en 747 la Bataille de Secunda, en arabe Choqounda, opposant les clans yéménites et qayssite) avaient regagné en 818, en plus de Fès, la forteresse de Bhalil.
Impossible de ne pas mentionner non plus la ville de Ksar-el-Kebir qui avait été enrichie d’afflux d’émigrés andalous provenant principalement du Portugal, suite à leur révolte contre les Almoravides en 1144.
C’est là où est inhumé, en 1172, le savant et mystique, natif de Silves, formé à Cordoue, Sidi Ali Boughaleb.
Dans cette même région, d’ailleurs, le nom Louchi (de Lojà) est bien usité, porté par le célèbre cheikh du Gharb, Abou-l-Qassim ben Ahmed ben Louchi Sefiani, surnommé Bouasriya, qui laisse lui-même son nom à la ville de Sidi Qacem.
Plus au sud, cette fois, le nom Bargach (Vargas) est attesté à Oued Souss; tandis que dans l’ancienne capitale de la dynastie saâdienne, Taroudant, des Andalous avaient élu domicile, dans une rue portant leur nom, sous la forme berbère plurielle: Indlass.