Asmaa Lamrabet est médecin biologiste et a dirigé jusqu’en mars 2018 le Centre d’études féminines en islam, affilié à la Rabita des oulémas du Maroc. Elle est l’une des voix majeures de la pensée réformiste en islam et intervient régulièrement sur le thème de l’islam et des femmes.
Dans son ouvrage «Islam et libertés fondamentales, pour une éthique universelle», publié aux éditions En Toutes Lettres, Asmaa Lamrabet raconte comment en 2014, alors qu’elle dirigeait le Centre d’études féminines en islam, lors d’un colloque international sur le Coran et la vision du monde, elle a été «la cible d’un flot de contestations fusant de toutes parts, au milieu d’une déferlante d’accusations et de vociférations colériques», car «on (lui) reprochait essentiellement d’avoir transgressé les limites de l’orthodoxie musulmane et des normes religieuses consensuelles», écrit-elle en guise d’avant-propos.
Rencontrée lors de la présentation de son ouvrage le 26 mai à la librairie Livremoi de Casablanca, Asmaa Lamrabet a bien voulu répondre aux questions du 360.
Votre livre porte sur les libertés fondamentales et l’islam. Est-ce la suite du travail mené au sein d’un collectif dont vous faites partie?
C’est un livre qui a été écrit bien avant la création du collectif «Les libertés fondamentales». Nous nous sommes inspirés un peu du livre, mais le collectif c’est autre chose. Dans l’ouvrage «Islam et libertés fondamentales, pour une éthique universelle», j’essaie de décortiquer ce qui pose problème aujourd’hui. C’est cette tension entre le référentiel religieux qui est toujours convoqué lorsqu’il y a des questions comme ça sur ces réformes sociétales et le référentiel du droit humaniste qui est considéré généralement par la majorité des Marocains et des Marocaines comme étant étranger, comme étant intrinsèque, comme étant incompatible avec l’islam, le socle de notre identité.
Lire aussi : Pourquoi la féministe et essayiste Asmaa Lamrabet quitte le Maroc
Or, notre Constitution précise bien que ce référentiel du droit humaniste fait partie du choix démocratique du Maroc. J’essaie donc de démontrer que même sur le plan religieux, nous avons une éthique commune, celle de la justice, de la légalité, de la dignité et du respect de l’autre.
Encore une fois, je traite des sujets qui fâchent, à savoir l’avortement, les relations sexuelles hors mariage, la peine de mort, la liberté de conviction... Et pour chaque question, j’essaie de déconstruire aussi bien la dimension du droit humaniste que la dimension religieuse en cherchant un dénominateur commun.
«Ce qui est sacré, ce sont les textes et le Coran plus précisément, et l’interprétation, elle, n’est pas sacrée, elle est humaine et elle évolue donc avec le temps.»
— Asmaa Lamrabet
Ce livre traite de plusieurs sujets qui font actuellement débat. Mais quel est celui qui vous paraît prioritaire?
Je pense qu’il n’y a pas de priorité. Ce sont toutes des questions qui touchent le quotidien des Marocains et des Marocaines. Il y a celles qui sont touchées par le taassib (l’héritage par voie de succession, NDLR), où les filles qui n’ont pas de frères se retrouvent du jour au lendemain dehors, parce qu’il y a un oncle ou un cousin de troisième degré qui va venir partager avec elles l’héritage et qu’elles ne connaissent même pas. Vous avez la question de l’avortement où des femmes avortent de manière clandestine et c’est leur vie qui est en péril. Vous avez aussi les enfants qu’on appelle «illégitimes». Je trouve que c’est vraiment quelque chose d’injuste et d’inacceptable dans le Maroc du 21ème siècle qu’on ne donne pas tous les droits à ces enfants qui sont victimes de péchés ou de fautes de leurs parents et qui sont absolument innocents. On condamne leur avenir et on les condamne eux-mêmes à être des enfants marginalisés dans la société: c’est inadmissible!
Toutes les questions ont donc leur importance. Et je pense qu’une refonte du Code pénal et une réforme des lois de la Moudawana doivent se faire ensemble. Je pense que le Maroc est capable de le faire.
On vous présente comme étant une réformiste de l’islam. Mais comment vous définissez-vous en tant qu’intellectuelle musulmane?
J’essaie, depuis 20 ans, d’adopter une approche réformiste parce que nous avons besoin d’un renouveau. C’est quelque chose de structurel et d’inhérent à la religion musulmane. Le Prophète était quelqu’un qui a toujours encouragé ses compagnons femmes et hommes à ce qu’ils aient un regard toujours renouvelé sur la compréhension du religieux. Car ce qui est sacré, ce sont les textes et le Coran plus précisément, et l’interprétation, elle, n’est pas sacrée, elle est humaine et elle évolue donc avec le temps.
Je crois qu’on a le droit de faire une interprétation qui soit en phase avec notre modernité, en phase avec notre Maroc du 21ème siècle.