« Dialogue des cultures et culture du dialogue » : tel était le thème du colloque qui a rassemblé samedi matin, à Agadir, dans le cadre du concert pour la tolérance, des intervenants plus prestigieux les uns que les autres. Prestigieux de par leurs combats, leur humanisme, la mission qu’ils se sont donnée ou qui les a pris pour les habiter et en faire des porte-parole du même et de l’autre, d’engager un dialogue entre les cultures et une réflexion sur l’identité.
Bariza Khiari, vice présidente franco-algérienne du sénat français et membre du groupe sénatorial d’amitié France-Maroc a ouvert la séance pour parler du rôle de l’artiste, notamment dans le monde arabe. Un rôle essentiel, « précieux », dit-elle, car, « premièrement, à travers son art, l’artiste nous interroge, nous montre les mystères de l’origine qu’il est seul à pouvoir approcher mais qu’il fait approcher aux autres ; et parce que, deuxièmement, et c’est pour cela que les politiques doivent protéger les artistes, quand les libertés publiques sont menacées, les artistes sont les premiers à dénoncer. On l’a vu, souvent, dans le monde arabe ». Ainsi, ajoutera Bariza Khiari, les artistes sont d’autant plus « précieux » qu’ « ils font barrage en temps de troubles ». D’où l’importance de l’éducation artistique qu’il s’agit donc de promouvoir pour le dialogue des cultures et une culture de la paix.
Mohamed Tozy lui emboîtera le pas pour parler de la formation des jeunes, qu’il est nécessaire d’éduquer à une aptitude au dialogue, et du rôle de l’école dans cette formation. Professeur universitaire, écrivain, politologue, Mohamed Tazy a été, en 2006, lauréat du Prix de la culture amazighe dans la catégorie « Pensées » et, en 2009, Prix Grand Atlas dans la catégorie « Essai ». Il insistera, durant cette rencontre, sur la nécessité de « réserver une place au pluralisme et à la diversité » d’autant, ajoutera-t-il, que « les manuels scolaires portent les germes d’une culture très intolérante ». Mohamed Tozy ajoutera qu’il existe ainsi deux types de civilisations : « Une civilisation qui favorise la pensée unique, le sens unique, et une civilisation qui entretient un rapport plus riche à l’autre, une culture du relativisme » malheureusement « très marginalisée car assimilée à l’athéisme ».Or, seul ce relativisme culturel permet l’échange, le dialogue, l’enrichissement mutuel, le vivre ensemble. Un vivre ensemble qui est une disposition de l’esprit et donc une éducation à transmettre.
A propos de cette question de la tolérance, Olivier Weber, écrivain, diplomate et grand reporter apporte son point de vue de témoin du monde. Le reporter, qui dit en effet avoir « fait l’expérience de l’intolérance », vient d’ailleurs de rentrer du Pakistan où il a effectué un reportage sur les médersas. Sur ce thème du dialogue des cultures ou, plutôt, des entraves à ce dialogue, Olivier Weber fait un constat pour le moins inquiétant : « Certes, dira-t-il, la mondialisation est une réalité tangible. Mais il y a différents villages planétaires et, depuis la chute de la « maison URSS », on n’a jamais construit autant de frontières séparant les peuples. On est souvent dans des lignes de fracture. Je suis effaré par cette montée en puissance de l’intolérance ». Et il ajoutera, concernant son expérience au Pakistan : « Je suis effacé du brain washing qui existent dans les médersas » avant de conclure sur l’espoir d’une plus grande coopération Sud-Sud qui, pour lui, est « le grand avenir ».
La question abordée par Olivier Weber de l’approche de la religion offrira une belle transition pour laisser la parole à Malek Chebel, anthropologue des religions et philosophe, essayiste, et auteur, qui abordera la question de l’islam et plus particulièrement d’un « Islam des Lumières », « un islam moderne » : « J’oppose, dira-t-il ainsi, les musulmans des Lumières et les musulmans archaïques. L’Islam dans son ADN même est porteur de modernité. Je veux donner un fait : tous les pays ont des écoles de guerre. Peu ont des écoles de paix. Toute la planète est mobilisée par la guerre. Personne ne défend la paix, aucun pays ne dit qu’il forme pour la paix. Mais l’islam pourrait être une architecture pour la paix s’il était réfléchi, accueilli. Cet « Islam des Lumières » pourrait être précieux. En France, 30% du budget de l’Intérieur serait affecté si l’on considérait l’islam comme une religion de paix qui a sa place dans la société française et, a fortiori, dans le monde. Il faudrait, d’une part, accepter les musulmans et, d’autre part, que les musulmans eux-mêmes aient une autre approche ». Car il s’agit, poursuit Malek Chebel, de « miser sur la capacité de paix de l’islam plutôt que sur ses petits soldats dits de Dieu : Dieu n’a jamais envoyé personne à la guerre ». Et le philosophe de se questionner sur la situation de l’islam dans le paysage mondial actuel : « 26% de la population mondiale se réclame de l’islam », soulignera-t-il alors. Or, ajoutera-t-il, « l’effet exact de cette population sur le plan mondial pour la paix est de 6%. On est très en dessous de notre impact réel. Il y a peu de musulmans au niveau des organisations onusiennes, peu qui ont un impact économique et décisionnel ».A propos d’impact économique et décisionnel, Malek Chebel ironisera alors en déclarant, joignant le geste aux mots pour former un cercle du pouce et de l’index : « Le jour où il n’y aura plus de pétrole, il y aura 0 impact ! »Là entre en jeu, pour lui, le rôle prépondérant de la réflexion pour une culture de la paix : « Si nous n’avons pas de poids sur les plans économique et décisionnel, ayons un poids dans les concepts et les idées ».
Malek Chebel proposera alors aux professeurs universitaires le projet d’un séminaire sur « l’Islam des Lumières ». Car, dira-t-il pour conclure, « l’islam est une élévation plutôt qu’une religion basée sur le partiel. Il faut fonctionner sur le global, comprendre pourquoi l’islam est ostracisé et pourquoi les musulmans participent à son « ostracisation » ». Un idée qu'Ahmed Sabir, doyen de la Faculté des Lettres d’Agadir, accueille avec intérêt. « Je suis preneur, répondra-t-il ainsi à son confrère, d’un séminaire sur « l’Islam des Lumières » pour éclairer cette jeunesse parfois perturbée par des idées parasites ».Ahmed Sabir reviendra, dans son intervention, sur « le binôme tolérance-mondialisation » pour se demander comment concilier les deux termes de ce binôme, vu que « la mondialisation provoque des réactions identitaires. « Comment peut réagir à la mondialisation un pays comme le Maroc, avec sa mosaïque culturelle ? ». Dans un pays plurilingue, pluriethnique, pluriconfessionnel, il s’agirait, selon Ahmed Sabir, de penser « une autre mondialisation qui tiendrait compte des identités et des émergences d’identités ».
A cette discussion aussi passionnée que passionnante, Catherine Enjolet, écrivain et professeur de Lettres, apportera sa propre réflexion philosophique et sa fibre sensible en se posant les questions de savoir« comment provoquer la tolérance, comment se relier ». Tout simplement, répondra-t-elle, en s’adoptant mutuellement, affectivement, « par-delà tout clivage ».
L’apport de ce colloque a été d’une indéniable richesse. De cette richesse que défend José Kamal, lui qui voit ce festival comme un espace de « rencontres, d’échange ». Un espace qui lie « universalité et patrimoine » dans le dialogue et l’étreinte des mondes.