C’est acté. La tbourida est devenue un patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Ce titre, attribué officiellement le mercredi 15 décembre 2021 par l’UNESCO, est une reconnaissance de cette tradition équestre marocaine qui remonte au XVIe siècle. Et depuis l’an 2000, cet art, à cheval entre plusieurs disciplines, est devenu un sport et a intégré le circuit de la Fédération marocaine des sports équestres.
Depuis cette date aussi, les 300 serbas (communautés de tbourida) participent à des compétitions au niveau national qui se jouent à Dar Essalam. Cette instance, aux côtés de la Société royale marocaine d’encouragement du cheval (SOREC) et du ministère de la Culture, fait partie des organismes dépositaires du dossier d’inscription en 2019 de la Tbourida sur la Liste représentative de l’UNESCO. «Nous travaillons sur le dossier depuis 2017 avec l’ensemble des communautés concernées, les troupes et les associations réparties à travers le Maroc», déclare Badr El Fakir, secrétaire général de la fédération dans une déclaration pour Le360.
Encore sous le coup de l’émotion, la même source souligne que cette reconnaissance est une véritable fierté pour le Maroc. «La tbourida fait partie intégrante de notre identité culturelle. Nous tous, en tant que Marocains, avons la tbourida dans nos gènes».
Tbourida inscrite patrimoine universel: et après ?
Maintenant que la tbourida est devenu un patrimoine universel, tout le monde se demande ce qui va changer. Que gagne le Maroc avec l'inscription de cet art équestre sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité? A cette question, Sanaa Alam, responsable adjointe du secteur de la culture au bureau de l'UNESCO pour le Maghreb, basé à Rabat, répond d’abord que l’inscription est un label international. «Lorsqu’il y a un élément du patrimoine qui est inscrit, il y a une reconnaissance à l’échelle universelle».
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Ensuite, et c’est très important, l’inscription poussera désormais toutes les structures s’intéressant au patrimoine culturel du Maroc, à documenter la tbourida dans l’optique de la préserver et de la protéger. «Avec cette inscription, le Maroc sera appelé à protéger la tbourida à travers des projets de transmissions au fil des générations», précise ainsi Sanaa Alam.
Pour ce volet de la préservation, que vient activer cette inscription, l’UNESCO dispose d’un fonds du patrimoine culturel et immatériel. Mais cette possibilité de financer des projets de valorisation et de préservation du patrimoine culturel n’est pas spécialement connue de tous.
Et même si certains la connaissent, régulièrement les dossiers de demande de subvention ne sont pas correctement complétés. Mais aujourd’hui, la situation est en train de changer et au dire de notre chef de projet à l’UNESCO, «les mécanismes de demande de financement existent et le Maroc dispose de plus en plus de ressources humaines qui travaillent à monter des dossiers de requête», témoigne notre source.
12 inscriptions, 2 projets seulement candidats au financement de l’UNESCO
Jusqu’en 2021, et avec la tbourida incluse, le Maroc a pu classer à peu près 12 éléments de son patrimoine culturel immatériel. Mais ce n’est pas pour autant qu’il a suffisamment tiré profit de ces mécanismes de financement.
Le Maroc a en effet bénéficié de deux financements de l’UNESCO relatifs à la protection du patrimoine immatériel. Le premier, d’un montant de 70;000 dirhams concernait la réhabilitation des champs de Taroudant au Sud du Maroc.
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Le deuxième concerne la préparation d’inscription de la danse de Taskiwin dans la liste urgente du patrimoine culturel de l’UNESCO. La danse de Taskiwin étant une danse martiale caractéristique du Haut-Atlas dont le nom provient de la corne portée par chaque danseur.
En signant la convention des Etats membres de 2003, le Maroc jouit de son droit de déposer, par la même, des dossiers de demandes d’inscription. Mais l’inscription n’est pas une fin en soi. «Avoir un label c’est bien, mais au-delà, l’inscription sur la Liste représentative de l’UNESCO permet de sauvegarder ces éléments», affirme Karim El Handili.
Le directeur par intérim du bureau de l'UNESCO pour le Maghreb rappelle que l’organisation onusienne opère un suivi de l’état des éléments du patrimoine qui ont été inscrits. «Il y a des rapports périodiques de l’UNESCO et les communautés qui portent ce patrimoine doivent en informer les instances qui ont déposé le dossier d’inscription. Ces derniers peuvent à leur tour saisir l’UNESCO en cas de transgression portant atteinte à ce patrimoine».
Préserver la tbourida, une nécessité
Omar Sqalli, directeur général de la SOREC, une société qui, au dire de plusieurs témoins, a joué un rôle majeur dans la réhabilitation de l’art de la tbourida en la considérant comme un art équestre et en planifiant un agenda annuel des moussems de tbourida, parle aussi de la nécessité de documenter et de produire des traces écrites et visuelles. «Il y a des savoir-faire qui se transmettent du mqadem jusqu’au cavalier écuyer… Et souvent, il y a des déperditions, y compris en ce qui concerne les métiers d’arts liés à la tbourida. Il est donc temps de documenter la tbourida car chaque région possède sa manière de faire et pour préserver cette richesse régionale il faut créer une marque déposée», propose-t-il.
La SOREC a deux projets dans le pipe qui viendront suivre cette inscription. En premier lieu, éditer un livre sur l’art ancestral de la tbourida qui sera une sorte d’anthologie comme cela a été fait dans la musique pour les gnaouas, les rwayes et l’art de la aïta.
L’autre projet est celui de développer des académies de l’art équestre dans plusieurs régions du Maroc. Une première existe déjà à Marrakech et d’autres viendront. Une autre idée germe dans les esprits, celle d’organiser un spectacle international de tbourida. Et ceci, faute de pouvoir, techniquement, organiser une compétition internationale des arts équestres traditionnels qui existent dans plusieurs pays. «Chaque art traditionnel est valorisé dans son pays. Il y a l’école de l’Ouzbékistan, l’école de Vienne, l’école du Portugal, mais chacun a ses propres critères, donc c’est impossible d’organiser une compétition sportive», affirme Badr El Fakir.
En attendant, les Marocains savourent encore le goût de cette inscription de leur tbourida dans le patrimoine culturel immatériel de l'humanité.