Une conférence-débat autour de l’état des lieux de l’édition, organisée par Groupe Le Matin a réuni auteurs, éditeurs, libraires, distributeurs, journalistes, avocats et experts dans le domaine des droits d’auteurs auprès du ministre de la Culture, M. Mehdi Bensaid, avec, pour commencer, une pensée émue pour M. Abdelkader Retnani, figure incontournable de l’édition, qui vient de nous quitter et dont le dynamisme et la passion resteront inspirants pour nous tous.
C’était l’occasion d’exprimer les différents sons de cloche et autres suggestions et visions dont la stratégie gouvernementale visant à remettre le livre et l’édition au cœur du projet culturel à la faveur d’une nouvelle gouvernance.
Charité bien ordonnée commençant par soi-même, je saisis cette opportunité pour résumer ici, du point de vue de l’auteur, la problématique liée à ce parent pauvre de la culture. Sans perdre de vue, évidemment, la situation des autres acteurs du Livre, pas plus que l’état de la lecture dans un contexte général touché globalement par l’illettrisme et l’analphabétisation.
Le long de cette chaîne interdépendante, le maillon faible se trouve être l’auteur, sans lequel, avait tenu à rappeler Monsieur Bensaid, il n’y a pas de littérature.
Or, sa situation est tellement abyssale qu’il convient de l’exposer en toute franchise, sans tomber dans la généralisation ou dans la stigmatisation, sans s’imposer d’auto-censure de peur de froisser les susceptibilités ou d’en subir les répercussions en tant que vilain petit canard «blacklisté».
Au commencement, il y a le verbe, la parole créatrice, des mois voire des années de texte à l’œuvre, l’envoi du manuscrit. Et le début des soucis!
Première question: est-ce que toutes les maisons d’édition disposent d’un comité de lecture, formé par plus de cinq lecteurs rémunérés, non intégrés à leur structure interne, remettant chacun une note de lecture à travers une grille d’appréciation?
A défaut, il se trouve en tous les cas un tri, cohérent souvent avec la ligne éditoriale, arbitraire parfois, en prenant le risque de la subjectivité par le rejet de manuscrits prometteurs ou, a contrario, par la mise dans le circuit, de livres de valeur moindre (du moins sur le plan intellectuel, on saura bien vite pourquoi!).
Deux: Est-ce que toutes les maisons d’édition financent, comme l’imposent leur fonction, la filière d’édition dans sa globalité depuis la correction, en passant par la conception, la mise en page et l’impression jusqu’à la promotion, la diffusion et la distribution?
Car il se trouve quelques-uns pour exiger de l’auteur une participation directe sous forme de monnaie sonnante et trébuchante ou, de manière détournée, par l’achat d’un nombre conséquent d’exemplaires.
C’est ce qu’on appelle l’édition à compte d’auteur (à ne pas confondre avec l’auto-édition dans laquelle l’auteur devient éditeur à part entière sans passer par son intermédiaire).
Là, avec l’édition à compte d’auteur, plus de prise de risque pour l’éditeur qui n’assume plus la fonction qui lui est dévolue, se contentant de rang de prestataire technique, rémunéré à la fois sur lesdites prestations sur une part des ventes, auxquelles s’ajoutent quelques fois les subventions publiques et d’autres formes d’aides émanant de diverses instances culturelles.
Vient le sésame tant rêvé! L’édition classique. Mais est-ce pour autant la fin du calvaire?
Je ne veux pas donner l’impression de charger les maisons d’édition, mais comment régler les problèmes si on ne les pointe pas, voire en chantant du fond du trou noir: «Tout va très bien, madame la Marquise!»
Il y a des éditeurs honnêtes cela va de soi, même de grands militants dans ce secteur moribond, mais il faut aussi nettoyer les Ecuries d’Augias.
Les contrats d’édition, jugés abusifs, difficilement négociables, donnent la nette impression à l’auteur d’être totalement dépossédé de ses droits (de reproduction, d’adaptation, de traduction…, sans défense systématique de ses intérêts) au milieu de l’opacité quant aux chiffres des ventes, aux rééditions ou à la cession des droits, tandis que, des 10% de pourcentage sur les prix de vente publics (ou plus généralement sur les remises octroyées), il ne voit pas toujours l’infime couleur.
C’est d’autant plus injuste que le ministère de la Culture leur octroie bienveillamment, et de bonne foi, des subventions, lesquelles, à mon humble avis, devraient être converties différemment.
Au lieu d’aides financières directes à l’éditeur, pourquoi pas un engagement, selon des critères déterminés, à acheter chez les différents libraires un nombre important d’exemplaires à distribuer dans les bibliothèques publiques du pays et dans les établissements d’enseignement en collaboration avec le ministère de tutelle?
La logistique est sûrement plus compliquée à mettre en place que de signer des chèques (du moins, j’imagine!), mais elle aurait le mérite d’avoir des répercussions bénéfiques pour toute la chaîne.
On nous soufflera par ailleurs que la réglementation défendant les auteurs et leurs droits existe.
Bien sûr! Comme il existe un tas d’autres lois. Mais courir les tribunaux est-il forcément la solution quand, à la base, la vocation était juste d’écrire et d’être lu, en étant conscient des sacrifices et des difficultés?
Faut-il continuer à souffrir en silence jusqu’au bord de la rupture et flatter, jusqu’à la dernière ligne, la fantasmagorie populaire selon laquelle l’écrivain est une espèce humaine décidément unique en son genre, vivant dans les limbes célestes, sans avoir à se soucier de préoccupations d’ordre bassement matériel, pendant que le business, partout autour de lui, bat son plein!