Le pays de l’art et l’envers de la raison

L'artiste plasticien Abderrahim Yamou. (Khalil Nemmaoui)

TribuneLe plasticien Abderrahim Yamou expose ses œuvres récentes jusqu’au 26 octobre, à la galerie casablancaise L’Atelier 21. L’écrivain Kebir Mustapha Ammi n’a pas résisté à l’impérieuse envie de partager ce que les peintures de Yamou lui ont dit.

Le 26/09/2024 à 08h59

Yamou va à l’essentiel, il balaie avec un geste souverain tout ce qui est de l’ordre du superfétatoire ou du superflu. Rien ne demeure sur sa toile de ce que son œil a retenu et continue de retenir du monde -j’entends l’œil intérieur, celui que ne saurait entraîner le réel vers d’inutiles arguties. Cet œil -qui en a vu d’autres- soutient que le monde est un et que nous ne faisons qu’un avec lui. De l’aube inaugurale jusqu’au soir vers lequel nous cheminons tous inexorablement et sans gloire.

Yamou sait que la peinture -comme la poésie- est l’art de se glisser par les portes invisibles dans l’âme et le corps de ce qu’on appelle le réel pour questionner le bien-fondé de notre présence au monde.

Il sait que peindre, c’est traverser l’enchevêtrement des formes. C’est déblayer sans cesse, pour faire table rase de l’inextricable et trouver une porte ainsi que les clefs qui ouvrent cette porte.

Peindre, c’est une bataille de tous les instants avec les éléments. Avec la lumière. Avec l’eau. Avec le feu. C’est de ces éléments décisifs -sous-jacents lorsqu’ils ne transparaissent pas- que jaillit la raison. Les émotions -source et berceau de la peinture- sont le pays de l’art et l’envers de la raison.

Peindre, c’est croiser avec une rage irréfragable les questions fondamentales, comme on croiserait le fer avec ses démons, pour dire rien moins que la vie. Car il y a une radicalité dans l’art. Le désir premier de l’art, ne l’oublions pas, est de renverser le réel pour en livrer les visages cachés.

L’esthétique est une géométrie de la souffrance et de la possession par l’arrachement. Toutes les stratégies pour se réapproprier le monde sont contenues dans ce postulat. C’est cela qui donne son sens au geste de l’artiste.

Yamou pose son regard sur les hasards qui bâtissent la vie. Sur un végétal obsessionnel, tentaculaire et incandescent. Et cela bâtit une œuvre qui dit le monde et l’œil de celui qui en fait le récit inquiet.

C’est avec cela que l’artiste atteint l’acmé de son art, pour livrer comme un aveu la nature et l’éblouissement de son trait qui dissèque les échos sibyllins de ce que nous sommes.

L’œuvre de Yamou est une peinture qui ne parle que de la vie, mais elle n’exclut pas la mort. Elle pose des lignes irrévocables et suit le règne végétal, dans sa simplicité première, jusqu’à son ultime flamboiement où elle trouve son dénouement.

Tout cela ressemble à ce que nous fûmes et ce que nous sommes condamnés à être, tout cela est une peinture élégante et précise posée en face de nous comme un miroir de notre devenir.

Par Kebir Mustapha Ammi
Le 26/09/2024 à 08h59