«Un vieil oncle maçon, regardant un jour ma bibliothèque, me dit: «Je vois que tu as classé tes livres tout en bas ; tu es comme moi, tu construits une maison!». C’est ainsi que Tahar Ben Jelloun invite le lecteur à entrer chez lui, à redécouvrir les pierres d’un édifice réunies par Gallimard, dans sa belle collection Quarto. De Harrouda au Mariage de plaisir, en passant par L’enfant de sable, La nuit sacrée, ou Moha le fou, Moha le sage, le lecteur redécouvre l’œuvre de l’écrivain, retraverse sa «demeure de mots et de doute» dont il revient toucher de l’âme les briques posées une à une. Pas toutes car, comme le précise l’auteur, il a fallu choisir, parmi ces pierres: «Question de confort pour le lecteur. Question de moment aussi. Genet aurait dit "le moment de faire propre".»
Le volume de la collection Quarto réunit donc onze romans de Tahar Ben Jelloun, romans «axés sur trois thèmes récurrents : le Maroc, la condition de la femme, l’immigration.» «Ce sont là, ajoute l’écrivain, trois articulations de ma propre vie qui fonctionne comme des passerelles entre ma vie d’apprenti maçon ou d’architecte.»
« Points de repère »Réunir des œuvres choisies de Tahar Ben Jelloun est déjà en soi une initiative séduisante. Mais ce volume a une originalité plus séduisante encore en ceci qu’il rassemble documents inédits et confidences, en prélude à l’ouverture sur les romans et comme pour mieux révéler les secrets des chemins, des visages, des combats, des passions, des «doutes» où ont éclos les mots, comme pour mieux sublimer la patine des pierres en nous mettant au secret, intime, de ce qui frissonne sous leur peau. Retraversée de l’enfance de Tahar Ben Jelloun, dans ce chapitre qui s’ouvre sur une question restée sans réponse, celle de sa date de naissance: «1944 ou 1947?» «Ma mère me disait: «Tu es né un jeudi matin, il faisait très froid et on ne nous ne distribuait plus les bons pour l’huile et la farine.» Donc, ce devait être 1945 ou 1946» ; documents iconographiques où le lecteur fait connaissance avec la famille de l’auteur, retourne avec lui à la rencontre de la Tanger des années 50 où il «découvre le même jour la mer, les rues asphaltées et le cinéma», revit avec lui les manifestations d’étudiants du 23 mars 1965, l’engagement dans le mouvement et la revue Souffles, le départ pour Paris, le communisme, le journalisme, la naissance de Harrouda et la délicieuse lettre de Roland Barthes à Tahar Ben Jelloun à la naissance de Harrouda, la rencontre avec Jean Genet, l'expérience plastique...Autant dire que ces «Points de repère» qui ouvrent le volume constituent à eux seuls un roman, fait de fragments d’une vie, de ses plus précieuses pierres. Celles qui ont bâti l’homme et l’écrivain.