Le Maroc doit impérativement revoir sa stratégie agricole, en privilégiant la valorisation de l’eau pluviale, pour mieux faire face à la sécheresse, devenue structurelle. C’est la ferme conviction de Mohamed Taher Sraïri, enseignant-chercheur et professeur à l’Institut agronomique et vétérinaire (IAV) Hassan II de Rabat.
«Nous sommes dépendants des aléas climatiques qui vont se renforcer. L’agriculture traverse une situation dramatique. Il faut donc changer de logiciel de pensée. La situation exige de l’innovation et de la recherche scientifique pour développer de nouvelles variétés de céréales, et un investissement dans l’agriculture pluviale et le fourrage pour mieux nourrir le bétail», affirme l’agronome, contacté par Le360.
Pour ce dernier, la priorité absolue doit être donnée à la valorisation de l’eau pluviale, avec des variétés de céréales, de légumineuses alimentaires et de fourrages adaptées au changement climatique. «Le couplage cultures-élevage doit être érigé en priorité au service de la souveraineté alimentaire, de l’entretien des territoires (fertilité des sols) et de la création de revenus stables aux millions de personnes employées dans le monde rural», prône-t-il.
Irriguer avec des eaux renouvelables
Pour notre interlocuteur, l’irrigation, jusque-là privilégiée par le Maroc, a montré ses limites. «Le Maroc a longtemps misé sur l’irrigation pour l’intensification agricole, à un moment où les spéculations entièrement pluviales ont été négligées. À cause de la sécheresse, devenue structurelle, les rythmes d’usage des eaux souterraines dépassent partout leurs niveaux de recharge», soutient-il.
Selon lui, l’irrigation doit d’abord être planifiée comme un appoint aux précipitations, avec la certitude de privilégier seulement des ressources hydriques renouvelables. «L’erreur des stratégies précédentes a été de promouvoir des cultures très gourmandes en eau, en encourageant les pompages à partir de ressources hydriques parfois très faiblement renouvelables, y compris des nappes fossiles, ce qui a entraîné un épuisement irrémédiable de ces stocks», déplore-t-il.
Interrogé sur la prévision de récolte de 70 millions de quintaux pour la campagne agricole 2024-2025, prévue par le gouvernement dans la préparation du projet de loi de finances (PLF) 2025, l’expert se montre sceptique, arguant qu’une telle prévision «dépend des niveaux de pluviométrie et de leur régularité de l’automne 2024 jusqu’au printemps 2025, ainsi que des préparatifs de la prochaine campagne», alors que «le climat est devenu très capricieux, plus aléatoire.»
Miser sur la territorialisation de l’agriculture
Rappelons que le ministère de l’Agriculture s’attend à une production céréalière prévisionnelle de 31,2 millions de quintaux pour la campagne 2023-2024, contre 55 millions de quintaux durant la précédente récolte, soit une baisse de 43%. Une estimation supérieure aux 25 millions de quintaux prévus par Bank Al-Maghrib.
L’autre piste préconisée par Mohamed Taher Sraïri est la territorialisation de l’agriculture, en adoptant un modèle agricole spécifique à chaque région du pays, afin d’utiliser les précipitations moyennes pour valoriser les systèmes de production végétale et animale. «L’État a fortement subventionné le système du goutte-à-goutte qui ne fonctionne pas pour toutes les cultures et tous les types de sols. À cela s’ajoute l’extension des surfaces irriguées, qui a causé l’épuisement des ressources en eau», souligne l’expert.
D’où l’impératif, selon lui, de miser sur la territorialisation de l’agriculture puisque l’approche nationale, privilégiée dans le Plan Maroc Vert, n’a pas eu les résultats escomptés, chaque région ayant ses propres spécificités. «La stratégie agricole adoptée dans les oasis, qui reçoivent moins de 100 mm de pluies, doit différer de celle appliquée à Tanger, où les précipitations varient entre 800 et 1.000 mm», suggère-t-il.