Les professionnels du secteur des assurances nourrissent de sérieuses inquiétudes au sujet du basculement de leurs assurés vers l’Assurance Maladie Obligatoire (AMO) gérée par la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS).
Prévue depuis près de 20 ans, cette mutation devrait désormais entrer dans une phase de réalisation vu l’impératif d’accélérer la mise en œuvre du grand chantier stratégique de la généralisation de la couverture sociale.
La 8ème édition de la rencontre annuelle de la Fédération nationale des agents et courtiers du Maroc (FNACAM), organisée le jeudi 6 juin à Casablanca, a été l’occasion pour ces acteurs d’exprimer leurs appréhensions et de faire part de leurs revendications de vive voix aux patrons de l’Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale (ACAPS), régulateur du secteur, et de la CNSS, qui étaient de la partie.
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Ainsi, d’emblée, Farid Bensaid, président de la FNACAM, a planté le décor: «Ce passage à l’AMO, qui se fera sûrement dans les prochaines années impactera sérieusement les intermédiaires d’assurance dont le portefeuille comprend majoritairement de “la maladie”. Il est crucial que nous anticipions ce changement et que nous nous adaptions pour ne pas laisser sombrer ces intermédiaires.»
Le secteur des assurances va connaitre des zones de perturbations, note-t-il, estimant que certains intermédiaires d’assurance devront perdre jusqu’à 30% de leur chiffre d’affaires suite à cette transition.
Même son de cloche du côté de Mohamed Hassan Bensalah, président de la Fédération marocaine de l’assurance (FMA).
Un manque à gagner de 4 milliards de dirhams pour les assureurs
«Le transfert de l’Assurance Maladie de base, de nos 1.400.000 assurés, vers la CNSS, n’est pas réjouissant pour notre secteur. Je ne cesse de le répéter, ce transfert ne se fera pas sans dégâts, pour toutes les parties prenantes, que ce soit les assurés, les intermédiaires ou les compagnies d’assurance», prévient-t-il.
Les entreprises et les salariés verront leurs cotisations augmenter de manière «significative», indique-t-il, avançant que, selon les estimations des professionnels, il faudra payer en moyenne 1% de plus de la masse salariale en HT pour basculer vers la CNSS, sans tenir compte du coût de la complémentaire et celui des couvertures décès et invalidité.
Pour les assureurs, «ce ne sont pas moins de 4 milliards de dirhams de primes qui vont disparaitre, sans oublier nos nombreux collaborateurs qui sont dédiés aujourd’hui à l’assurance santé. Alors, comment occuper ces équipes sans altérer les ratios de productivité ?», s’alarme-t-il.
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Il ajoute que l’assurance maladie liée à l’article 114, qui représente au terme de l’année dernière 13,3% de l’assurance non-vie contribue, pour certains courtiers, à plus de 30% des commissions perçues, avec en plus la même problématique que les compagnies d’assurance quant aux ressources dédiées.
Ce sont plus de 400 millions de dirhams de commissions qu’il va falloir chercher à compenser, conclut-il.
Sachant que ce basculement est acquis et que son activation n’est plus qu’une question de temps, les professionnels du secteur des assurances formulent des propositions pour limiter ses répercussions.
Les revendications des intermédiaires d’assurance
Ainsi, le président de la FNACAM a profité de cette occasion pour exprimer quelques demandes. La première est de repousser la date d’entrée en vigueur de ce basculement vers l’AMO à 2029. La deuxième est de ne pas prévoir trop de prestations dans l’AMO pour laisser de la place à l’assurance complémentaire de sorte à avoir «une vraie complémentaire». Il demande, au passage, d’exonérer celle-ci de la TVA. La troisième demande porte sur la digitalisation de la gestion de l’AMO.
La quatrième est adressée par Farid Bensaid aux compagnies d’assurance auxquelles il demande de réviser le taux des commissions pour les intermédiaires d’assurance et la cinquième est destinée au régulateur du secteur qui est appelé à accorder à ces intermédiaires de nouvelles prestations.
«La diversification des métiers du réseau des agents et courtiers offre des perspectives prometteuses pour l’avenir de nos intermédiaires et pourrait être une alternative pour compenser les pertes futures. Ces nouveaux services renforceront notre capacité à répondre aux besoins évolutifs du marché», souligne-t-il.
Les mises au point du DG de la CNSS
Répondant à ces demandes, Hassan Boubrik, directeur général de la CNSS a exprimé clairement son désaccord avec le représentant des intermédiaires d’assurance presque sur toute la ligne.
Ainsi, il affirme qu’un délai de cinq ans, pour passer à ce tant attendu (il devait être effectif en 2005) basculement vers l’AMO, n’a pas de sens. Opter pour un tel délai donne l’impression qu’on gagne du temps au détriment de la grande réforme de la généralisation de la couverture sociale, martèle-t-il.
Quant à la deuxième demande consistant à laisser de la place à l’assurance complémentaire, Hassan Boubrik estime qu’elle se fera au détriment de la santé des Marocains. Il affirme qu’il restera de la place pour les assureurs privés, via l’assurance complémentaire, pour couvrir, par exemple, en partie ou en totalité, les 30% que l’AMO ne couvre pas (celle-ci couvrant 70%). Ils peuvent également se positionner sur la couverture des prises en charge ou de l’hébergement dans les cliniques, leur suggère-t-il.
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D’ailleurs, note de son côté Abderrahim Chaffai, président de l’ACAPS, c’est cette assurance complémentaire qui fera en sorte que les assurés ne perdront pas leurs acquis du fait de ce basculement vers l’AMO.
En ce qui concerne la digitalisation, le DG de la CNSS affirme qu’elle est très couteuse et qu’on ne peut y aller que progressivement.
La solution par la diversification de l’offre
S’agissant de la demande proposant d’accorder aux intermédiaires d’assurance de nouvelles prestations, le patron de l’ACAPS a rappelé que ceux-ci ont depuis le début de cette année la possibilité d’assurer la gestion des sinistres pour le compte des compagnies d’assurance et d’être agents pour les établissements de paiement.
De plus, ajoute-t-il, l’ACAPS est en train d’examiner une demande qui lui a été adressée par la FNACAM au sujet de nouvelles prestations qu’elle revendique. L’ACAPS prévoit aussi de rendre la RC (responsabilité civile) décennale obligatoire.
Pour conclure, Bachir Baddou, directeur général de la FMA considère qu’il ne faut pas focaliser sur l’assurance maladie, mais plutôt s’orienter vers la diversification de l’offre, en développant le segment de l’assurance non-vie.