Dans une interview accordée à l’agence espagnole EFE, le directeur de l’Administration des douanes et impôts indirects, Nabil Lakhdar, a laissé entendre que les mesures anti-contrebande à Bab Sebta, en vigueur depuis octobre 2019, sont irréversibles, même si l’économie des deux présides occupés «pourrait en souffrir».
Lakhdar a rappelé à juste titre que Sebta et Melilla ne sont pas des «frontières» et n’ont jamais été traitées comme des «étapes commerciales». Elles doivent se convertir en points de passage pour les personnes, à l'image des aéroports, où les passagers entrent avec des marchandises pour leur consommation personnelle à petite échelle, a-t-il précisé.
Loin d’obéir à des considérations politiques, ces mesures anti-contrebande n’ont pas fait l’objet d’une coordination avec la diplomatie marocaine. Celle-ci a juste été «informée» de ces mesures qui, d'ailleurs, ne font qu’appliquer strictement la réglementation douanière en vigueur.
«Pendant des décennies, il y a eu une certaine tolérance, voire un laxisme de notre part», reconnaît-Lakhdar. «Mais les opérateurs marocains commencent à se plaindre de la concurrence déloyale des produits en provenance de Sebta et de Melilla».
«Imaginez si moi, Marocain, j'avais commandé un conteneur de produits chinois et les ai vendus ensuite à Madrid, sans payer des frais ni respecter les règles. Les Espagnols me puniraient, bien sûr! Sebta et Melilla ont vécu (des décennies) sur la base de quelque chose qui n'est pas légal», a rappelé Lakhdar.
L'argument selon lequel la contrebande employait des milliers de personnes –9.000 transporteurs à Sebta et beaucoup d'autres à Melilla, sans compter les magasins qui vendent ces produits– est trompeur, car «pour chaque emploi dans la contrebande, cinq autres sont détruits dans le circuit formel», a-t-il ajouté.
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D’autres raisons qui justifient la fin de la contrebande sont liées à la santé: de nombreux produits, y compris des aliments, sont entrés au Maroc avec une date limite de consommation presque périmée. Les revendeurs y mettaient ensuite de fausses étiquettes.
Toujours en matière de santé, Lakhdar a justifié l’interdiction de l’entrée du poisson marocain à Sebta, notant que cela était tolérable lorsque le poisson était destiné à la consommation individuelle, et non lorsqu’il s’agit de l’écouler dans le circuit commercial «sans aucun respect des règles phytosanitaires».
«Si nous suivons la même logique, si nous ne voulons pas tomber dans la schizophrénie», cela devrait désormais s’appliquer aux fruits et légumes, déduit-il. «Ce sont des choses dont nous allons discuter en interne, puis avec les autorités espagnoles» dans le cadre d’une «réflexion collective», a-t-il dit. En mars prochain, Lakhdar prévoit de se rendre à Madrid pour traiter de ces questions, ainsi que d’autres, avec son homologue espagnol.
Les mesures contre la contrebande ne se limitent pas aux porteurs de marchandises. Elles incluent tous les véhicules qui entrent sur le territoire marocain avec le coffre plein de marchandises non déclarées et qui, depuis ces dernières semaines, commencent à être méticuleusement enregistrés. Ce qui provoque d’interminables files d’attente aux portes de Sebta.
La législation marocaine autorise un voyageur à entrer dans le pays avec de nouveaux articles d’une valeur de 1.250 dirhams. Les douanes peuvent se montrer tolérantes «avec un costume de 1.000 euros, mais pas avec trois costumes», illustre Lakhdar.
Après Sebta, ce sera autour de Melilla. «Si nous voulons être logiques avec nous-mêmes, et nous voulons atteindre la normalité, la prochaine étape sera Melilla», soutient le patron de la douane marocaine. Selon lui, si ces mesures n’ont pas encore été appliquées à Melilla, c’est juste pour «éviter de provoquer un malentendu auprès de la population», puisque dans cette ville, une première mesure de fermeture du bureau de la douane a déjà commencé au cours de l’été 2018.
La fermeture du poste de Melilla est liée à une question de concurrence entre les ports de Melilla et de Beni Nsar. «Quand ils m’ont dit qu’il n’y avait pas de ligne maritime desservant Beni Nsar, j’ai encouragé les opérateurs à les ouvrir. Et quand cela a été fait, j’ai ordonné la fermeture des douanes», pour inciter les importateurs à utiliser le port marocain.
Interrogé sur l’avenir de l’économie des deux présides occupés une fois que la contrebande aura cessé, Lakhdar souligne que les solutions peuvent passer par «l’industrialisation de Sebta et de Melilla avec des produits complémentaires à ceux du Maroc», ou les transformer en villes touristiques «où les Marocains pourraient entrer et sortir», conclut Lakhdar.