Bourse de Casablanca: ce qui explique le retour en force des particuliers

La Bourse de Casablanca.. DR

Les investisseurs particuliers signent un retour remarqué sur la Bourse de Casablanca. Portés par les récentes introductions en Bourse et un regain de confiance dans les perspectives économiques, ils représentent désormais près de 28% des volumes échangés, un niveau inédit depuis 2017. Derrière cet engouement, des dynamiques structurelles… mais aussi des fragilités persistantes.

Le 23/12/2025 à 10h08

Après plusieurs années de retrait, les investisseurs particuliers effectuent un retour remarqué sur la place boursière marocaine. Au deuxième trimestre 2025, les personnes physiques marocaines ont représenté 27,9% du volume total échangé, un niveau qui n’avait plus été atteint depuis 2017. Sur la période, elles ont réalisé 7,7 milliards de dirhams d’achats et 8 milliards de ventes, en hausse respective de 73,7% et 83% sur un an. Un mouvement d’ampleur, révélateur d’une recomposition progressive des équilibres du marché.

Pour Adil Hlimi, expert du marché des capitaux, cette montée en puissance des particuliers s’explique d’abord par la nature des sociétés introduites en Bourse ces dernières années. «La nature des sociétés introduites en Bourse au cours des cinq dernières années sont bien connues du grand public. Elles opèrent dans des secteurs qui inspirent confiance aux Marocains et sont perçus comme porteurs dans l’imaginaire collectif.»

Santé, BTP, services financiers: ces secteurs bénéficient d’une forte visibilité et d’une image de solidité. Des valeurs comme TGCC, Cash Plus, Akdital, CFG Bank ou SGTM ont ainsi suscité un fort engouement, porté autant par la qualité des dossiers que par un biais de familiarité. «Ce biais crée une confiance naturelle entre l’entreprise et l’investisseur. L’investisseur se sent en terrain connu et perçoit le risque comme plus maîtrisé, ce qui favorise l’adhésion. En général, une entreprise qui fait du BtoC (commerce direct entre une entreprise et un particulier, ndlr) a plus de facilités.»

Certaines introductions en Bourse récentes n’étaient pas nécessairement proposées à des niveaux de valorisation attractifs au sens strict. Les prix intégraient déjà des perspectives de croissance élevées, limitant ainsi le potentiel de hausse immédiate purement spéculative. Malgré ce contexte, ces opérations ont rencontré un réel succès auprès des investisseurs particuliers, comme en témoignent les niveaux de souscription.

Cette adhésion suggère que l’intérêt ne repose plus uniquement sur la recherche d’un gain rapide lié à une décote ou à l’«effet IPO» (hausse observée du cours d’une action lors de ses premiers jours de cotation). Elle traduit plutôt une évolution progressive des comportements: une attention accrue portée à la qualité intrinsèque des entreprises, une acceptation plus nette d’une logique d’investissement à moyen et long terme, ainsi que l’émergence d’un début de conviction, y compris lorsque l’opération ne promet pas de rendement immédiat évident. Autant d’indices montrant que l’intérêt dépasse le simple opportunisme.

Au-delà des IPO (introduction en Bourse), le contexte macroéconomique joue un rôle central. Selon Adil Hlimi, les perspectives économiques plus lisibles à l’horizon 2030 ont contribué à ramener sur le marché des investisseurs particuliers expérimentés, longtemps restés en retrait: «Les perspectives économiques du Royaume se sont nettement améliorées, avec une visibilité accrue. Ce contexte a permis de convaincre un public jusque-là réticent, notamment des investisseurs particuliers expérimentés qui avaient perdu confiance après les crises de 2008 et 2011.»

Dans ce large paysage, les OPCVM continuent de jouer un rôle structurant. Ils concentrent 36,7% du volume total échangé et demeurent nettement acheteurs, avec 11,4 milliards de dirhams d’acquisitions pour 9,3 milliards de ventes, contribuant à la stabilité du marché.

Les motivations sont multiples, mais la recherche de rendement demeure le principal moteur, dans un contexte où les alternatives d’épargne apparaissent limitées. «Le bouche-à-oreille, la médiatisation récente du marché et les rendements de court terme mis en avant sur les réseaux sociaux ont accentué l’intérêt des particuliers.»

Un phénomène qui, Hlimi l’explique, n’est pas sans risques: «Cela crée des attentes parfois excessives et peut pousser les investisseurs les plus novices à prendre des risques disproportionnés par rapport à leur niveau de connaissance et à leur profil.»

Traditionnellement, de nombreux particuliers ouvraient un compte titres à l’occasion d’une IPO, sans réelle intention d’investir sur la durée. Ce comportement tend aujourd’hui à s’estomper. «Les intermédiaires constatent, depuis deux ans, une meilleure rétention des investisseurs, qui acceptent davantage d’opérer sur le marché secondaire», détaille-t-il.

Cette évolution est alimentée par plusieurs facteurs: accompagnement commercial renforcé, expérience positive lors des premières opérations, mais aussi multiplication des opportunités d’investissement. Selon lui, «le marché est passé d’une ou deux opérations par an à trois ou quatre, en incluant les augmentations de capital, souvent attractives. Pour l’investisseur occasionnel, rester présent sur le marché devient plus pertinent».

Éducation financière: une démocratisation encore inachevée

Malgré cette dynamique, la Bourse reste encore marginale dans le quotidien financier des ménages marocains. L’expert insiste sur la logique séquentielle de l’éducation financière. «Elle se construit par étapes. La bancarisation et la réduction du cash sont des préalables indispensables. La démocratisation des placements financiers représente une étape supplémentaire.»

Des initiatives existent, portées par l’Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC), la Bourse de Casablanca ou certaines associations professionnelles, mais leur portée demeure limitée sans une mobilisation accrue du secteur privé.

Aujourd’hui, le Maroc compte environ 200.000 comptes titres, mais seuls 10 à 15% sont réellement actifs, illustrant l’ampleur du défi.

À l’international, l’exemple de l’Égypte illustre ce que peut produire une stratégie volontariste de long terme. «L’Égypte a placé la Bourse et les investisseurs particuliers au cœur de sa stratégie financière dès les années 1990. Trente ans plus tard, cela se traduit par plusieurs millions de comptes titres et par un écosystème de courtiers low cost ciblant la petite épargne.»

Investir, oui… mais en connaissance de cause

Pour le Maroc, plusieurs pistes pourraient accélérer la démocratisation: réforme du Plan d’épargne en actions, incitations fiscales, ou encore relance des privatisations. «Ces mesures rendraient le marché plus liquide et plus performant, tout en mobilisant des ressources financières essentielles pour financer le secteur privé.»

À l’adresse des particuliers tentés par la Bourse, Adil Hlimi appelle à la prudence et à la pédagogie. «Un investisseur particulier qui débute doit se fixer deux priorités: se former et s’informer. Il faut comprendre le fonctionnement du marché et prendre le temps de construire sa décision.»

Pour ceux qui souhaitent déléguer: «Les OPCVM constituent une solution adaptée, tandis que les investisseurs disposant de patrimoines plus importants peuvent recourir à la gestion sous mandat, dont la modernisation figure dans l’agenda de l’AMMC.»

Par Camilia Serraj
Le 23/12/2025 à 10h08