Nous vivons un épisode sans précédent avec la divulgation massive des données salariales issues du piratage de la CNSS. Ce déferlement de transparence brutale, inattendue, a généré une onde de choc dans les entreprises.
DRH, managers, directions générales… tous sont submergés de questions, de frustrations, de demandes d’explication, totalement légitimes. Le climat social s’électrise. Pourquoi untel gagne-t-il plus qu’un autre? Comment expliquer tel ou tel écart? Et surtout, pourquoi ce silence jusqu’ici?
Derrière ce moment de sidération collective se cache en réalité un mal plus ancien: le manque de transparence dans la gestion des rémunérations. Une opacité qui, ajoutée à une absence fréquente de référentiels clairs d’emplois et de compétences, crée un terrain fertile à l’incompréhension, au ressentiment, à l’injustice perçue. Ce type de problème existe moins dans le monde anglo-saxon. Or, nous savons quel modèle nous avons choisi…
Mais cette tempête ne doit pas nous faire perdre le cap: comparaison n’est pas raison.
L’objet de cette tribune est de remettre au centre les bons enjeux sur la dimension du management du capital humain et, plus largement, la responsabilité engagée des managers et des dirigeants.
Comprendre l’équité, au-delà de l’égalité
Il est humain de comparer. Mais dans le monde du travail, la question juste à poser n’est pas «Pourquoi lui?», mais «Pourquoi pas moi?» Cette subtilité change tout. Elle nous pousse à interroger la contribution individuelle, la valeur ajoutée, les responsabilités réelles, les résultats obtenus… et non les seules données visibles comme le diplôme ou l’ancienneté.
Le talent ne se mesure pas en années de présence ni en termes de diplômes. Il se mesure dans l’impact. Et c’est bien là que la notion d’équité prend tout son sens: elle consiste à rémunérer de façon juste selon la valeur créée, et non selon un modèle unique pour tous. Et pas non plus en fonction des pistons et des lignées filiales…
Des pratiques salariales à repenser
Cette crise révèle aussi un autre fait: les écarts de salaire sont souvent issus de l’entrée dans l’entreprise, lors de la négociation initiale. Les candidats mieux préparés, plus stratèges, ou tout simplement mieux informés obtiennent des conditions avantageuses, tandis que d’autres acceptent un package sans avoir les bons repères. Cela sera de moins en moins possible avec les Gen Z et Alpha…
Et ensuite? Il devient souvent difficile de «rattraper» ce différentiel. Faute de processus structurés d’ajustement ou de systèmes de pesée des postes cohérents, ces écarts se figent et deviennent sources de tensions.
Dans la fonction publique, les grilles, les échelles, les règles communes jouent un rôle d’amortisseur. Dans le secteur privé, en l’absence de transparence des règles, c’est la transparence subie qui crée la crise.
Le temps d’un nouveau contrat social
Nous avons une opportunité unique: remettre à plat nos pratiques. Non pas pour niveler, mais pour structurer. Il est temps d’instaurer des référentiels d’emploi, de définir clairement les périmètres de responsabilité, les contributions attendues et de bâtir des politiques de rémunération lisibles, évolutives et équitables.
La transparence salariale ne doit pas être une punition. Elle peut devenir un levier de confiance, à condition qu’elle soit accompagnée de transparence des critères et des règles.
À l’heure où la question de l’engagement est posée dans toutes les entreprises, la méritocratie ne doit plus laisser de place à la médiocratie. La compétitivité future de notre pays est à ce prix.
Un appel à l’intelligence collective
Ce moment peut être un tournant. Plutôt que d’attiser les ressentiments, il peut devenir un levier pour transformer nos pratiques, structurer nos politiques de rémunération, instaurer des référentiels partagés, remettre de la lisibilité et de la cohérence.
Les DRH ont un rôle stratégique à jouer. Ce n’est pas le moment de se cacher, mais au contraire de dialoguer, expliquer, co-construire, avec intelligence et courage.
Pour une société qui donne envie de revenir… et de rester
Dans un Maroc en pleine transformation, où les attentes des jeunes, des talents locaux comme ceux de la diaspora, sont de plus en plus élevées, la transparence ne peut plus être une option. Elle doit être organisée, expliquée, vécue comme un pilier de la modernité de notre économie.
Car un pays qui veut attirer ses enfants, qui veut garder ses talents, doit offrir un climat de confiance, de reconnaissance et de justice.
Ce n’est pas la comparaison brute qui construit l’avenir. C’est l’équité lucide, assumée, portée par des leaders courageux.
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