Devant un parterre d’experts, d’universitaires et de praticiens, le trésorier général du Royaume a rappelé que la comptabilité publique constitue désormais un «instrument de pilotage stratégique et de responsabilisation», au cœur des réformes destinées à moderniser la gestion publique.
L’intervention, nourrie de références doctrinales et d’une réflexion institutionnelle approfondie, a replacé la comptabilité au cœur de l’État moderne: garante de la transparence démocratique, clé de voûte de la soutenabilité budgétaire et véritable levier de développement durable.
En ouverture, Noureddine Bensouda a insisté sur la portée institutionnelle de ce rendez-vous. «Votre présence témoigne de l’intérêt croissant pour la modernisation et la performance de l’action publique», a-t-il affirmé, rappelant que ces rencontres visent à «partager les expériences, confronter les points de vue et dégager des voies d’amélioration».
L’essence de son propos repose sur une idée forte: celle de la comptabilité publique qui a quitté le champ strictement procédural pour devenir un pilier de la gouvernance contemporaine. Cependant, elle n’est plus un simple système d’enregistrement des flux, mais un outil structurant permettant d’éclairer les arbitrages politiques, de mesurer les engagements de l’État et de renforcer la responsabilité publique.
À cet égard, Bensouda rappelle que «disposer de bons comptes est fondamental pour analyser et décider», dans le secteur privé comme dans le secteur public. Cette mutation se matérialise par le passage progressif de la comptabilité de caisse à une comptabilité d’exercice, intégrant patrimoine, amortissements, coûts complets, passifs latents et engagements hors bilan.
Ce changement de paradigme offre, selon lui, trois perspectives essentielles, notamment la connaissance précise du patrimoine public, la maîtrise des engagements de long terme et la détermination du coût intégral des services. Autant de données qui permettent d’apprécier, au-delà des crédits votés, la réalité économique des politiques publiques.
L’exigence démocratique de transparence et de reddition des comptes
La dimension démocratique occupe une place centrale dans l’analyse de Noureddine Bensouda. Il avertit contre les dérives institutionnelles qui menacent l’équilibre des sociétés, citant Dominique de Villepin et les risques d’«illimitisme» ou de «contrôlisme» susceptibles d’affaiblir la liberté et les contre-pouvoirs.
Dans ce contexte, la comptabilité publique est présentée comme un rempart. «Il n’y a pas de finances démocratiques sans comptes clairs et lisibles», rappelle-t-il en citant Pierre Joxe.
La comptabilité contribue ainsi à la légitimité de l’action publique en donnant accès à une information complète, fiable et comparable, indispensable au débat citoyen.
La réforme de la Loi organique relative à la Loi de finances (LOF) de 2015 est, à ses yeux, un jalon majeur, ayant permis la généralisation de la comptabilité patrimoniale et d’exercice. «Cette réforme constitue une véritable rupture dans le modèle de gestion des finances publiques», souligne-t-il.
Un second axe de son intervention concerne la délicate articulation entre normes internationales et cadres nationaux. Pour Bensouda, les IPSAS (International Public Sector Accounting Standards) «Normes comptables internationales pour le secteur public» constituent un référentiel incontournable, produit de la globalisation des pratiques financières et de la recherche d’une comparabilité inter-étatique.
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Cependant, leur adoption «n’est pas un processus neutre» car elle véhicule un modèle inspiré de la nouvelle gestion publique, transposant les logiques d’évaluation du secteur privé au domaine public.
Il met en garde contre une harmonisation forcée qui ignorerait les spécificités institutionnelles. L’enjeu, dit-il, est de trouver «un point d’équilibre entre la crédibilité internationale et l’ancrage local». Pour le trésorier général, la transition vers les normes internationales requiert formation, montée en compétence, refonte des systèmes d’information et adaptation culturelle — autant de coûts souvent sous-estimés.
Pour le Maroc, la stratégie réside dans une convergence progressive avec un triptyque: moderniser, professionnaliser et harmoniser sans sacrifier les exigences de souveraineté comptable ou les particularités du droit administratif national.
L’allocution consacre aussi un important volet à la place de la comptabilité dans le développement durable. Le trésorier général souligne que l’urgence climatique et sociale oblige désormais les États à dépasser les cadres comptables classiques pour intégrer les externalités environnementales et sociétales.
Cependant, il insiste sur la nécessité de «quantifier les coûts de la dégradation de l’environnement et les efforts de sauvegarde», afin de capter l’empreinte écologique de l’action publique et d’éviter le «greenwashing public».
La comptabilité devient ainsi un outil de traçabilité des fonds verts, un levier de pilotage des politiques climatiques et un instrument d’alignement avec les engagements internationaux, notamment les Objectifs de développement durable.
Cette nouvelle approche, encore en construction, se heurte toutefois à un obstacle majeur, notamment la qualité et l’homogénéité des données non financières, souvent hétérogènes, subjectives ou difficiles à vérifier.
Par cette conférence, la Trésorerie Générale du Royaume réaffirme ainsi une ambition qui est d’inscrire durablement la comptabilité publique au cœur de la modernisation de l’État, en la mettant au service de la décision, de la soutenabilité et de la démocratie.







