Confrontées à une hausse sans précédent des créances en souffrance, les banques marocaines explorent en ce moment des pistes à même de résorber une partie de l’encours de prêts non performants, afin de leur permettre de consentir de nouveaux crédits, et de répondre aux forts besoins de financement de l’économie nationale.
Parmi les solutions envisagées, figure la création d’une structure de défaisance, une "bad bank" ou "banque poubelle", dans le jargon financier, qui a pour vocation de racheter les créances douteuses des banques, pour leur permettre de les ôter de leur bilan.
Une réflexion pour la mise en place d’une telle structure a d'ores et déjà été engagée depuis plusieurs années par la Banque centrale, mais la crise sanitaire, et son impact sur la solvabilité des emprunteurs, en a accéléré la mise en œuvre. Il faut dire qu’en 2020, l’encours des créances en souffrance détenues par les banques est monté en flèche, dépassant pour la première fois les 80 milliards de dirhams, soit 10 milliards de dirhams de plus qu’en 2019, altérant la capacité des banques à distribuer des crédits.
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De plus, la situation ne devrait pas s’améliorer de sitôt, puisque les difficultés des ménages et des entreprises devraient se prolonger à court terme, de l’avis des banquiers. Dans ce contexte, la mise en place d’une bad bank apparaît de plus en plus comme une impérieuse nécessité.
Une "bad bank", comment ça marche?Concrètement, une bad bank est une entité juridique, publique ou privée, spécifiquement créée pour permettre aux établissements bancaires de lui transférer ses créances en souffrance.
"L’idée est de permettre aux banques soit de céder un portefeuille de créances en souffrance, soit de le titriser, et donc d’alléger le bilan des banques vu la hausse déjà évidente et prévue des créances en souffrance", explique Choukri Oimdina, directeur général Risques groupe, auprès de la Banque centrale populaire, interrogé par Le360.
Ainsi, en isolant les actifs à risque qui pèsent sur le bilan des banques et sur leurs fonds propres, la bad bank permet ainsi aux établissements bancaires de poursuivre leurs activités de crédit. Elle donne la possibilité d’attendre que de meilleures conditions soient remplies pour recouvrir les créances douteuses et les impayés. Une telle structure a déjà fait ses preuves en Espagne lors de l’explosion de la crise immobilière en 2008, et en Belgique, lors du sauvetage de la Banque Dexia en 2011.
Une mise en œuvre complexeSur le papier, la mise en place d’une Bad bank paraît alléchante pour les banques. Mais sa mise en œuvre ne sera pas simple, et prendra du temps. Bank Al-Maghrib a lancé, dès 2020, une étude avec l'appui de la Société financière internationale (SFI, filiale du groupe de la Banque mondiale) pour examiner les options et les freins aux plans légal, réglementaire et opérationnel. Les résultats de cette étude ont conclu que ce projet était complexe, eu égard à ses nombreux aspects légaux, fiscaux et institutionnels, qu’il faudra résoudre.
"Il va falloir réviser un certain nombre de dispositions du Code des obligations et des contrats (DOC) mais également du code de commerce", a dans ce sens souligné le wali de Bank Al-Maghrib (BAM), Abdellatif Jouahri, lors de son dernier point presse, en réponse à une question posée par Le360.
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En outre, a-t-il ajouté, sur le volet institutionnel, il faudra se pencher sur toute la législation qui concerne le transfert des créances à une entité et aussi les moyens et les règles du recouvrement.
Le côté fiscal doit également être traité, notamment en ce qui concerne le traitement fiscal des provisions déjà constituées par les banques pour couvrir les créances en souffrance. "Nous sommes en discussion avec le fisc sur ce point", a révélé Abdellatif Jouahri. "Nous sommes sur la bonne voie", a-t-il également assuré, révélant que "nous avons associé à nos réunions, le ministère des Finances et celui de la justice".
Le wali de BAM a également fait savoir qu'il a saisi le Secrétariat général du gouvernement (SGG) pour piloter l'ensemble de ces aspects avec les départements ministériels concernés et ce, en vue d'en résoudre les problématiques dans les meilleures conditions possibles et dans les plus brefs délais.
Avec son désormais célèbre sens de la formule, Abdellatif Jouahri a ainsi résumé la situation: "je suis confiant parce que le train est sur les rails. Maintenant il y a un problème de vitesse. Le problème était d’abord de trouver le train. On l’a trouvé en accord avec la SFI. Il y a un bon volume de créances en souffrance [à transférer à la bad bank, Ndlr], autrement dit les voyageurs qui vont monter dans le train sont là. Maintenant, il faut que le train parte et qu’il trouve sa vitesse de croisière. Pour cela, il va falloir résoudre un certain nombre de problèmes".