L’invasion russe de l’Ukraine a pétrifié les marchés et a fait exploser le prix des matières premières. Les marchés du pétrole, du gaz et du blé ont battu tous les records. La situation est inquiétante et implique, pour reprendre les termes de la directrice générale du FMI Kristalina Georgieva, un important risque économique pour la région et le monde.
D’un point de vue économique, le Maroc n’est pas à l’abri des ondes de choc de la crise ukrainienne. Celle-ci ne tardera pas à laisser des traces sur la balance commerciale entre les deux pays. Les importations marocaines en provenance d’Ukraine, qui tournent autour de 3 milliards de dirhams par an, portent essentiellement sur les achats de céréales, en particulier le blé, le maïs et le tournesol. Les exportations vers l’Ukraine (moins d’un milliard de dirhams) se composent quant à elles principalement de poisson et de produits de la pêche.
Le commerce avec la Russie n’est pas en reste et risque à son tour d’être impacté par l’évolution de la situation en Ukraine. Le volume des échanges entre Rabat et Moscou tourne autour de 20 milliards de dirhams, sachant que les exportations marocaines ont été multipliées par 12 en 15 ans sur le seul axe agricole.
Les importations marocaines en provenance de Russie sont essentiellement constituées de pétrole (environ 60%), de fer, de soufre, de produits chimiques, de bois, de papier et carton, de machines et d'appareils divers. Dans l’autre sens, le Maroc exporte principalement des agrumes, des légumes, de la farine de poisson, des tissus de fibres synthétiques et artificielles, du liège et du minerai de zinc.
Les stocks de blé sont confortablesL’Ukraine et la Russie font partie des principaux pays fournisseurs du Maroc en blé. En 2020, les importations de blé au Maroc proviennent pour 21% de ces deux pays. On peut donc penser que l’offensive militaire russe risque de perturber l’approvisionnement en céréales du Maroc.
Interrogé sur ce propos, un importateur de blé à Casablanca se veut rassurant. «Le Maroc a toujours veillé à diversifier ses sources d’approvisionnement en blé et dispose d’un portefeuille assez équilibré».
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Ajouter à cela le fait que la saison céréalière 2020-2021 s’est soldée par une récolte record de 103 millions de quintaux. Cela a eu pour effet de réduire le recours à l’import, dont l’essentiel cette année provenait d’Ukraine, d’Argentine et d’Allemagne, poursuit cet importateur casablancais.
Pour l’heure, affirme-t-il, il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Les stocks de blé au Maroc sont confortables et pourront assurer pendant 4 mois encore l’approvisionnement du marché intérieur.
«Nous n’avons pas de pression sur les réserves. Nous avons de quoi tenir jusqu’à la prochaine moisson du bassin de la mer Noire, en juin 2022. Le scénario d’une rupture d’approvisionnement est complètement exclu», soutient cet interlocuteur, qui ajoute que l’intervention de l’armée russe aurait plutôt un impact sur les cours mondiaux.
Les négociations sur les prix sont en effet tendues. Le cours du blé sur Euronext a atteint hier, jeudi 24 février, un niveau record, à 344 euros la tonne. Les bourses se sont affolées et personne ne sait encore jusqu’à quand cette crise va continuer à attiser la nervosité des marchés.
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En attendant d’avoir plus de visibilité, les importateurs marocains se sont tournés vers les pays de l’hémisphère Sud (Australie, Argentine, etc.) où la prime de risque et les frais d’assurance devraient être moins élevées comparativement aux achats sur les marchés russe et ukrainien.
Si cette situation venait à perdurer, elle risquerait alors de peser lourdement sur le budget de l’Etat. Car pour maintenir le prix du pain à 1,20 dirhams, le gouvernement doit continuer à subventionner les importations (suspension des droits de douane, compensation forfaitaire, etc.), un effort qui lui coûte jusqu’ici un montant de 600 millions de dirhams par mois, selon les estimations rapportées récemment par le ministre délégué en charge du budget, Fouzi Lekjaa.
Le Maroc est également directement concerné par la flambée des cours de pétrole sur le marché international. Le prix du baril de pétrole a dépassé le seuil des 100 dollars, autant pour le baril américain que celui de la mer du Nord, une première depuis 2014. Mais contrairement au blé, les prix du carburant à la pompe sont complètement libéralisés et, de ce fait, ne cessent d’augmenter ces dernières semaines, atteignant des records historiques.
Alors que certains syndicats de transporteurs brandissent la menace d’une grève nationale, le gouvernement a entamé cette semaine un cycle de concertations avec les représentants des routiers, en vue de réfléchir à des solutions qui pourraient atténuer l’impact de la hausse du prix des carburants à la fois sur les consommateurs et les entreprises de transport.
Une grosse facture pour l’inversion du GMELes prix du gaz se sont envolés à leur tour, dans le sillage de l’invasion militaire russe en Ukraine, ce qui ne manquera pas d'impacter le coût de l’approvisionnement du Maroc, aussi bien pour le gaz butane (17 milliards de dirhams programmés en 2022 au titre de la charge de compensation) que pour le gaz naturel, nécessaire au redémarrage des centrales électriques de Tahaddart et de Aïn Beni Mathar, qui sont à l’arrêt depuis la rupture du contrat du gazoduc Maghreb-Europe.
Début février dernier, citant la ministre de l’Energie, Leila Benali, l’agence Bloomberg avait révélé que le Royaume avait invité un groupe restreint de négociants en Gaz naturel liquéfié (GNL) à soumissionner à des contrats en vue d’importer du gaz via un port espagnol, pour l’acheminer ensuite vers le Maroc en inversant le flux du Gazoduc Maghreb-Europe (GME). La facture risque donc d’être encore plus salée si la guerre en Ukraine venait à se prolonger.
Cela dit, que ce soit pour le blé, le pétrole ou le gaz, insiste l'importateur casablancais, il est encore tôt pour se prononcer sur l’ampleur des répercussions de cette crise sur l’économie marocaine. «Tout dépendra de l’évolution de la situation et de la nature des sanctions qui seront prononcées à l’encontre de la Russie», conclut ce même interlocuteur.