Le premier conseil de Bank Al-Maghrib (BAM) de l’année 2022 se tiendra, demain mardi 22 mars, dans un contexte économique difficile, marqué par les répercussions négatives du conflit en Europe de l’Est, d’une part, et de la sécheresse au niveau national, d’autre part.
Abdellatif Jouahri, wali de BAM, ne manquera pas, comme à son habitude, de livrer sa lecture de la situation économique et financière du Maroc, et de livrer ses perspectives macroéconomiques pour les prochains mois.
Les acteurs économiques scruteront, en particulier, la nouvelle prévision de croissance du PIB établie par la banque centrale. En décembre dernier, à l’issue de son dernier conseil, Bank Al -Maghrib avait tablé sur un taux de croissance de 2,9% pour l’année en cours, sur la base d’une campagne céréalière moyenne de 75 millions de quintaux.
Le problème c’est qu’entre-temps, le mois de janvier a été particulièrement sec, compromettant la récolte céréalière. De plus, le conflit russo-ukrainien a éclaté, déclenchant une hausse des prix spectaculaire de plusieurs matières premières, qui alimente l’inflation au Maroc.
La Banque centrale devrait donc intégrer, dans son modèle de prévision, cette nouvelle donne, et une révision à la baisse du taux de croissance ne serait pas une surprise.
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Des analystes, comme ceux de BMCE Capital Global Research (BKR), anticipent déjà, d’ailleurs, cette révision à la baisse du taux de croissance. Dans un récent document intitulé «Une résilience économique à nouveau mise à l’épreuve», l’entité de BMCE Capital dédiée à la recherche et à l'analyse financière, s’attend désormais à une hausse de 1,8% du PIB en 2022 contre 2,9% précédemment. Dans un scénario «du pire», la croissance du PIB pourrait même se limiter à un taux de seulement 1%, estiment les analystes de BKR.
Du côté de CDG Capital Insight, qui publie une note consacrée aux perspectives économiques pour 2022, on estime qu’après une forte croissance enregistrée en 2021, l’économie marocaine devrait connaître «un fort ralentissement», en dessous du seuil de 3%, en 2022.
L’activité économique nationale devrait en effet pâtir «d’une campagne agricole dans des conditions climatiques qui semblent globalement défavorables avec une très faible pluviométrie et une mauvaise répartition spatiotemporelle, ce qui laisse présager une production céréalière en dessous de 40 millions de quintaux».
Dans le même temps, la croissance non agricole (industries et services) ne devrait pas permettre de compenser la baisse prévue de la croissance agricole. CDG Capital Insight s’attend même à un recul de la croissance non agricole, compte tenu de «la dissipation de l’effet de base de la crise Covid-19, de l’érosion des marges du secteur secondaire en résultat de la hausse des prix des matières premières et énergétiques et du faible redressement de certains secteurs tertiaires, particulièrement le tourisme et le transport».
Taux directeur: vers un statu quo malgré les pressions inflationnistes?Si la révision à la baisse du taux de croissance de l’économie semble inéluctable, reste à savoir quel sera le sort réservé au taux directeur. Dans un contexte inflationniste, le conseil de Bank Al-Maghrib va-t-il relever son taux de référence, ou le maintenir inchangé à 1,5%?
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Il faut garder à l’esprit que le taux directeur est le taux auquel une Banque centrale prête de l'argent aux banques commerciales qui distribuent par la suite les crédits aux agents économiques. Le taux directeur permet ainsi de contrôler la masse monétaire en circulation pour maîtriser les dynamiques récessionnistes ou inflationnistes.
Ainsi, en situation de récession ou de ralentissement de l'activité économique, la baisse du taux directeur permet de stimuler la croissance, en diminuant le coût de l’argent. A contrario, il est rehaussé en cas de surchauffe pour contenir l'inflation autour de 2%.
Or, le Maroc se retrouve actuellement confronté à la fois à un ralentissement de l’activité économique et à une poussée inflationniste. Une situation que résument parfaitement les analystes d’Attijari Global Research (AGR): «en 2022, la mission de Bank Al-Maghrib s’avère plus compliquée entre d’une part, une accélération de l’inflation au niveau international et d’autre part, une croissance moins vigoureuse de l’économie sous l’effet d’une campagne agricole modeste», peut-on lire dans un récent rapport intitulé «L’inflation au cœur des décisions monétaires en 2022».
Et d’ajouter: «Au Maroc, nous relevons deux sources de risque en mesure de relever le niveau d’inflation à plus de 3% en moyenne durant le second semestre de l’année en cours. Il s’agit d’un éventuel dérapage de la composante alimentaire dont le poids est prépondérant dans le panier du consommateur marocain et de la soutenabilité d’un prix du baril au-dessus des 100 dollars sur l’ensemble de l’année 2022».
Malgré ces risques, les analystes d’AGR estiment que la Banque centrale devrait maintenir inchangé son taux directeur à 1,5%. «A date d’aujourd’hui, il nous semble prématuré d’anticiper une hausse importante et durable des prix à la consommation au Maroc. En effet, la récente accélération de l’inflation s’explique davantage par des facteurs conjoncturels qui devraient s’estomper à l’avenir», expliquent-ils.
En outre, l’activité économique a toujours besoin d’un stimulant. «Selon nous, une politique budgétaire et monétaire volontariste demeure cruciale pour soutenir une croissance solide de l’économie marocaine, surtout durant une année agricole difficile, marquée par la sécheresse», souligne-t-on chez AGR.
Ainsi, en dépit des tensions inflationnistes au niveau mondial qui poussent vers un durcissement des politiques monétaires des principales banques centrales (la FED américaine et la banque d’Angleterre ont toutes deux relevé la semaine dernière d’un quart de point de pourcentage leur taux directeur pour contrer l’inflation), les analystes d’AGR estiment que l’inflation demeure globalement maîtrisée au Maroc (prévision légèrement au-dessus de 2% en 2022), ce qui écarte le scénario d’une hausse éventuelle du taux directeur.
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Même son de cloche chez CDG capital Insight qui explique dans une note pré-conseil de BAM «qu’une hausse du taux directeur risquerait d’amplifier le ralentissement prévu de la croissance nationale en 2022 à travers un rétrécissement des conditions de financement, sans pour autant maîtriser le dérapage à la hausse de l’inflation».
Bloomberg, pour sa part, n’écarte pas la possibilité d’une hausse du taux directeur. «La Banque centrale du Maroc pourrait être tentée de relever ses taux pour la première fois depuis 2008 afin de protéger son ancrage monétaire avec le dollar et de maîtriser l'inflation qui devrait augmenter en raison de la guerre en Ukraine», écrit l’agence de presse new-yorkaise dans un récent article consacré aux perspectives de la politique monétaire des principales banques centrales africaines.