La guerre que se livrent les entreprises de livraison de repas s’est exacerbée avec la crise du Covid-19. Les deux principaux opérateurs du marché que sont Glovo et Jumia Food se livrent une bataille sans merci à coup de promotions, de publicités et de temps de livraison restreint. D’autres acteurs, marocains, essayent de leur grappiller des parts de marché.
Selon des données que Le360 a pu consulter, le segment de la livraison de repas devrait engranger 48 millions de dollars fin 2021 au Maroc. Statista, portail spécialisé en données économiques, assure que le nombre de clients devrait atteindre 2,6 millions d’utilisateurs en 2025. Selon nos sources, ce nombre est déjà atteint voire dépassé en 2021. Comment a-t-on pu en arriver là aussi vite?
"Nous construisons notre empreinte en Afrique comme une opportunité à long terme. Il est vrai qu'elle ne se développe pas encore au même rythme qu’en Europe, mais nous sommes convaincus que le fait d'avoir une position de leader en Afrique sera la clé de notre croissance mondiale dans les 10 prochaines années. Nous aimerions souligner l'importance du Maroc pour Glovo dans ce contexte. Le Maroc est la porte d'entrée de l'Afrique, notamment en termes de talents. C’est ici que nous avons décidé d’établir un centre opérationnel pour piloter les opérations en temps réel dans tous les pays africains. De même, en termes de volume et de pénétration, le Maroc est notre plus grand marché d'Afrique", explique Toni Pérez, DG de Glovo Maroc.
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Depuis son lancement, à l'été 2018, la plateforme de livraison à domicile a étendu son réseau à 22 villes au Maroc, forte de 1.500 partenaires et couvertes par 2.000 livreurs. Nos sources affirment que la start-up espagnole livre environ 22.240 repas par jour. L’entreprise peut aussi se targuer d’avoir la plus grande base clients. Il y a dix mois, Glovo avait pas moins de 2 millions d’utilisateurs. Une mine d’or pour les restaurants partenaires que l’entreprise fait payer cher.
Des commissions conséquentesLe360 a pu consulter une copie d’un contrat type. Le ticket d’entrée est fixé à 810 dirhams pour accéder à la plateforme. Glovo prélève ensuite une commission de 31% hors taxe (37,2% TTC) aux restaurants partenaires. La commission est calculée sur la base des ventes de produits obtenus par le partenaire suite à l’utilisation de la plateforme Glovo. En cas de livraison incomplète de tout produit pour des raisons attribuables au partenaire, celui-ci assumera la responsabilité et paiera à Glovo le coût total correspondant au prix de la commande, ainsi qu’un supplément de 77 dirhams HT.
Ce n’est pas tout. Glovo prévoit aussi dans ses contrats d’augmenter le pourcentage de la commission de 5% en cas de non-respect de l’exclusivité accordée à la plateforme espagnole. De plus, Glovo s’octroie le droit de facturer rétroactivement une commission supplémentaire de 10% sur le total des ventes de produits obtenus par le partenaire suite à l’utilisation de la plateforme Glovo, accumulée sur les 6 derniers mois précédant le début de la collaboration avec d’autres entreprises du secteur.
Des clauses contraignantes pour les restaurants partenaires de Glovo, mais qui ne freinent pas la cadence des nouveaux arrivants tant l’application est désormais un poids lourd du secteur de livraison de repas.
"Le succès que nous rencontrons se traduit par le développement continu de notre écosystème de partenaires et la visibilité que la plateforme offre aux vendeurs locaux. L’application permet aux entreprises de toucher de nouveaux consommateurs en profitant de l’économie numérique pour augmenter significativement leur niveau d’activité", confie Toni Pérez dans une interview pour Le360.
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Glovo fait aussi du consulting auprès de restaurants qui ne font pas de livraisons, mais que l’entreprise aimerait attirer sur sa plateforme. A titre d’exemple, Iloli, un restaurant japonais de Casablanca, c’est Glovo qui lui a proposé de mettre en place Iloli to go, son service de livraison.
La licorne espagnole (startup valorisée à plus d'un milliard de dollars) a effectué une levée de fonds de 450 millions d’euros le 1er avril 2021. Ce financement est censé lui permettre de continuer à étendre son empreinte en Afrique. Glovo est déjà présent en Egypte, au Kenya, au Maroc, en Côte d'ivoire et au Ghana. Le Royaume est toutefois son marché le plus prometteur en Afrique. "Les Marocains sont beaucoup plus avancés en matière de commerce électronique et de livraison que les autres pays du continent. L’industrie progressait déjà de manière significative au Maroc avant notre arrivée, grâce à la pénétration d’Internet, le développement de la classe moyenne, l’urbanisation et la jeunesse de la population", poursuit Toni Pérez.
Face aux géants, les entreprises de livraison marocaines font de la résistanceLa majorité des opérateurs marocains de la livraison se sont retirés du segment food. "Nous avons abandonné cette activité, car il y a un problème de péremption du produit et des délais de livraisons contraignants", nous confie Nadir El Jouhari, co-gérant de la plateforme Le Petit Coursier. "Nous avons recentré nos activités sur des produits moins périssables", assure-t-il.
Toutefois d’autres entreprises font de la résistance. Veat, jeune pousse marocaine, souhaite bousculer les géants du secteur. Basée à Mohammedia, la start-up, désormais présente à Rabat et Casablanca, compte dans son tour de table Mehdi Alaoui, vice-président de l’Apebi et fondateur de Lafactory, Nasser Kettani, ex CTO région MENA chez Microsoft et Taher Alami, business angel.
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"Le modèle de Veat est différent de celui de Jumia et Glovo. Ce sont des marketplaces qui réunissent plusieurs restaurants sur une application. Concernant Veat, c’est différent. Nous nous chargeons de créer une plateforme de commande personnalisée pour nos restaurants et toutes les commandes qui transitent par ces plateformes sont livrées par Veat. Aujourd’hui, nous disposons de 25 vélos, 5 vélos électriques et 2 vélos cargo pouvant transporter une commande de 100 kilos", explique Yassine Boukhari, CEO de la start-up.
Jumia n’est pas en reste. La plateforme, fondée au Nigéria, a réalisé un chiffre d'affaires de 1,1 milliard d'euros en 2019, en hausse de 33% par rapport à 2018. L’entreprise compte à son tour de table Milicom, MTN, Orange, Axa, Goldman Sachs et CDC Group.
Concernant son activité de livraison de repas, la start-up opère au Maroc depuis 2012 et est présente aujourd’hui sur 19 villes. La première licorne africaine, qui a levé 986 millions de dollars entre 2010 et 2019, est très opaque lorsqu’il s’agit de communiquer des chiffres.
Jumia, première licorne africaineSelon nos sources, Jumia Food collaborerait avec 1.000 partenaires et prélèverait des commissions comprises entre 15 et 20% selon les restaurants. Les géants de la restauration que sont McDonalds et Burger King à titre d’exemple ont plus d’arguments commerciaux à faire valoir qu’un petit restaurateur et bénéficient donc de tarifs préférentiels. Les petits restaurants indépendants payent, quant à eux, le prix fort en termes de commissions. Malgré les questions insistantes posées par Le360, Larbi Belrhiti DG de Jumia Maroc, a refusé de communiquer la part du chiffre d'affaires de de Jumia Food dans Jumia.
"Jumia Food est une partie extrêmement importante de notre business, car elle répond à un besoin important de la vie de nos consommateurs, encore plus dans des périodes de crise comme celle que l’on traverse aujourd’hui. Il faut aussi dire que c’est un service qui est beaucoup plus fréquent en termes d’usage que le e-commerce classique dans le sens où le consommateur, qui commande sur Jumia Food, consommera plusieurs fois par semaine", explique-t-il.
L’ambition de Jumia Food est clairement de s’imposer sur le continent africain. "C’est notre seul et unique marché, ce n’est pas un marché secondaire pour nous. Glovo est principalement concentré sur les marchés européens. Pour eux, l’Afrique est un marché d’expansion", continue Larbi Belrhiti.
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Jumia Food se permet même de tacler Glovo sur la partie livraison. "Nous développons une logistique structurée avec des partenaires logistiques qui nous permettent d’avoir une bien meilleure qualité sur la partie livraison. Nous travaillons avec des entités qui ont la responsabilité du recrutement, de la formation et du suivi des livreurs, de la sécurité des consommateurs et des règles sanitaires. C’est notre moyen à nous de nous assurer de la qualité des livreurs. Nous préférons ce système plutôt que de recruter des auto-entrepreneurs à tout va, sur questionnaire, sans les avoir jamais vus", déclare Larbi Belrhiti lors d’une interview pour Le360.
De son côté, Glovo ne collabore qu’avec des auto-entrepreneurs, statut considéré comme précaire par plusieurs livreurs qui se sont confiés à Le360, car pas de salaire minimum, pas de congés payés et pas d’accès à un système de retraite. Othmane A., livreur chez Glovo, détaille le système de rémunération de la plateforme. L’entreprise espagnole paye 5,20 dirhams pour chaque course prise, en plus d’un supplément de 1 dirham par kilomètre. Glovo a aussi mis en place un système de bonus augmentant la commission habituelle (multiplié par 1,2 ou 1,4), entre 12h et 14h, durant les soirées, lors d’un Classico ou en temps de pluie, incitant ainsi les coursiers à répondre à cette demande élevée. "Je peux me faire jusqu’à 200 dirhams maximum par jour sur les 10 heures de travail autorisées", assure le glover. Chez la concurrence, notamment Jumia Food, un livreur peut espérer engranger entre 7 et 15 dirhams la course.
Toni Pérez, DG Maroc de l’entreprise espagnole affirme pour sa part que "la plateforme a amélioré l'expérience du coursier grâce à sa flexibilité, à l'augmentation des opportunités économiques et à l'établissement de canaux de communication. Tout le monde peut s'adresser à nous à tout moment et les coursiers-partenaires ont plusieurs moyens de nous faire part de leurs préoccupations individuelles".
Glovo a dégagé un chiffre d’affaire de 216 millions d'euros en 2019 à travers le monde, un volume forcément très inférieur à celui de 2020 tant la crise sanitaire a accéléré le e-commerce.
La livraison de courses via les supermarchés monte en puissanceLa livraison de biens provenant de supermarchés jouit d’un engouement particulier depuis le début de la crise sanitaire. Glovo s’est allié avec Marjane et Jumia Food avec Carrefour Market.
"La fermeture des marchés et les contraintes imposées à la circulation des biens et des personnes ont gravement affecté le commerce de détail sur le continent. Nous avons constaté une explosion des commandes de supermarchés. Les commandes sont trois fois supérieures à ce qu'elles sont normalement. Nous avons enregistrés une augmentation de 500% des livraisons de produits d’hygiène et pharmaceutiques au Maroc", explique Toni Pérez.
Selon un document que Le360 s’est procuré, le partenariat de Glovo et Marjane a rapporté 775.244 dirhams en 1 semaine, en avril 2020, en plein confinement. Le panier moyen des 50 magasins participants était de 191,70 dirhams.
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Concernant Jumia Food, le top management assure "vouloir un service de qualité en livrant des produits essentiels et de première nécessité, notamment dans la grande distribution".
"Il y a la partie restaurants qui est la plus démocratisée sur Jumia Food, mais aujourd’hui nous avons aussi des supermarchés, des fleuristes, des chocolatiers et des pressings. L’ouverture va beaucoup plus vers ce que l’on appelle le quick commerce. Ce sera plus rapide et instantané que le e-commerce classique. C’est le futur", conclut Larbi Belrhiti.