Le secteur de la microfinance est dans une situation plutôt inconfortable, montrant des indicateurs mal orientés depuis nombre d’années. Les derniers chiffres, que vient de publier Bank Al-Maghrib (BAM), montrent certes une légère progression de 1,9% du volume de microcrédits distribués en 2023, pour un encours total de 8,82 milliards de dirhams et un encours moyen de 10.500 dirhams (contre 9.800 dirhams en 2021). Mais cette timide croissance ne serait que l’arbre qui cache la forêt.
Il faut dire que le secteur a subi de plein fouet les effets de trois crises successives: la pandémie de Covid-19, la guerre en Ukraine et la montée de l’inflation, auxquelles s’est ajoutée une sécheresse devenue chronique. Des crises «qui ont impacté la solvabilité des bénéficiaires, entraînant une hausse du risque, des défauts de remboursement et une modération consécutive de la production», explique Ahmed Ghazali, président de la Fédération nationale des associations de microcrédit (FNAM), interrogé par Le360.
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Ainsi, toujours selon les données de la Banque centrale, le secteur (qui comptait, à fin 2022, 11 associations) a vu son réseau se contracter de 4,7% en 2021, puis de 0,5% en 2022, à 1.678 points de vente. «Cette baisse reflète un processus d’optimisation des coûts par suite des difficultés subies par les associations de microcrédit dans le contexte de la crise Covid-1», explique BAM.
Idem pour le nombre d’emprunteurs, qui s’est situé à 795.000 clients en 2022, en retrait de 4,9% par rapport à l’année précédente, alors que l’effectif employé par les associations de microcrédit a diminué de 1% en 2022 (à 7.623 agents), après une baisse de 4% en 2021.
Au sujet de la baisse du taux de pénétration du marché du microcrédit, le président de la FNAM explique que «le renouvellement des prêts est de plus en plus lent, avec les crises et la baisse du taux de croissance». Ce qui est toutefois atténué, nuance-t-il, par l’arrivée de nouveaux entrants, dont le nombre est estimé à environ 150.000 par an.
L’État à la rescousse du secteur
Ces évolutions ont fragilisé les associations de microcrédit (AMC), ce qui a nécessité une intervention de l’État. En effet, si le secteur du microcrédit a clôturé l’exercice 2022 avec un résultat net de 132,2 millions de dirhams, contre une perte cumulée de 55,4 millions de dirhams en 2021, c’est uniquement grâce à une subvention étatique de 179 millions de dirhams, qui a compensé 50% des intérêts intercalaires supportés au titre des créances reportées lors de la crise covid-19, indique BAM.
Et sur les 11 associations que compte le secteur, six ont dégagé un résultat déficitaire en 2022. La Banque centrale a, par ailleurs, prorogé en 2022 son mécanisme de refinancement des concours octroyés par les banques à ce secteur.
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L’endettement bancaire des AMC, représentant 68% de leurs ressources, est en augmentation de 1,5%, à 5,4 milliards de dirhams en 2022, après une hausse de 6,4% une année auparavant, note BAM. Cet endettement est constitué à hauteur de 90% auprès des banques locales. Les fonds propres des AMC ont progressé de 5,9% à 2,5 milliards de dirhams, contre 2,4 milliards de dirhams une année plus tôt, formant 26% du total passif.
Dans ces conditions, les associations de microcrédit font-elles toujours face aux difficultés de financement? «Les AMC de taille importante n’ont pas de problème pour leur financement. Mais avec les crises à répétition, certaines petites associations ont connu quelques difficultés», note notre interlocuteur.
La transformation des AMC en sociétés anonymes se fait attendre
Mais, d’après les acteurs du secteur, le plein essor de l’activité de microcrédit passe par l’accès des AMC au marché financier et à la mobilisation de l’épargne (titres de créances négociables, émissions obligataires...), pour réduire leurs coûts. Le ministère de l’Économie et des Finances, en collaboration avec BAM, s’engage à leur donner cette possibilité, qui viendra, précise le président de la FNAM, de la transformation des AMC éligibles en sociétés anonymes.
Cette transformation fait partie des revendications des AMC qui appellent à la mise en place d’un cadre législatif et réglementaire compétitif, qui devra permettre au secteur de se développer sur la base des meilleures pratiques au niveau international.
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«Les autorités de tutelle sont conscientes que la microfinance est un outil essentiel de la stratégie nationale d’inclusion financière lancée depuis quelques années. Le rythme de réforme s’est accéléré et aujourd’hui il ne manque plus qu’une orientation permettant aux associations de se transformer: un régime d’impôt qui permette la viabilité des organisations ainsi créées, eu égard aux risques qu’elles prennent», souligne Ahmed Ghazali, qui rappelle que les décrets d’application de la loi n°50-20 relative à la microfinance ont été approuvés par les acteurs du secteur «après une démarche constructive de partage».
«Le coût d’inclusion n’est pas un taux d’intérêt»
La concentration qui caractérise le secteur marocain de la microfinance (98% des crédits ont été distribués par 4 associations en 2022) fait-elle partie des freins au développement du secteur? «Je ne pense pas. Les petites et grandes associations exercent dans un champ de libre concurrence et la plupart des petites et moyennes associations ont fait le choix d’une présence géographique ciblée historique. Ce choix a probablement restreint leurs possibilités de croissance», répond Ahmed Ghazali.
Et qu’en est-il des reproches faits aux associations de microcrédit d’appliquer aux bénéficiaires des taux d’intérêt élevés, la moyenne dans le secteur variant entre 30% et 35%? «Ce débat, malheureusement mal compris, revient régulièrement et le secteur doit faire preuve de plus de pédagogie», rétorque le représentant des AMC.
«Le microcrédit octroie des prêts aux populations exclues du système financier classique, sans garantie ou avec un semblant de garantie, souvent sur une simple signature personnelle», explique-t-il. En contrepartie, poursuit-il, le microcrédit «emploie un effectif important pour accompagner les bénéficiaires. Un petit encours nécessitant un effectif et des moyens importants donne un coût de revient plus important que pour le modèle bancaire qui, lui, gère essentiellement des garanties». «Ce coût supplémentaire est appelé dans notre jargon le « coût d’inclusion » et représente environ un forfait de 10 à 13% du coût du prêt: la substitution de la garantie tangible par un accompagnement et de l’éducation financière», développe-t-il. «Souvent dans les commentaires des observateurs non avisés, ce coût d’inclusion n’est pas pris en compte et pris pour un taux d’intérêt», conclut-il.