Faillite de Thomas Cook: la fuite en avant du ministre Sajid et du directeur de l’ONMT, Adel El Fakir

Mohamed Sajid, ministre du Tourisme et du Transport aérien 

Mohamed Sajid, ministre du Tourisme et du Transport aérien  . DR

La faillite du voyagiste britannique, Thomas Cook, laisse une quarantaine d’hôteliers marocains sur le carreau, avec une ardoise cumulée d’au moins 200 millions de dirhams. Les professionnels du tourisme appellent le gouvernement à réagir avant qu'il ne soit trop tard.

Le 24/09/2019 à 14h34

Environ 2.000 clients de Thomas Cook, de plusieurs pays d'Europe, séjournent actuellement au Maroc. Ils sont tous concernés par les difficultés du voyagiste britannique, qui a cessé toute activité dans la nuit de dimanche à lundi, laissant sur le carreau 22.000 employés et 600.000 clients à rapatrier (il s'agit là de la plus grande opération de rapatriement depuis la Seconde guerre mondiale).

Le Maroc, qui accueille chaque année près de 150.000 clients de Thomas Cook, n’est pas à l’abri des dommages causés par l’effondrement du tour-opérateur. La profession se prépare déjà à une onde de choc sans précédent. L’effet est immédiat chez au moins une quarantaine d’hôteliers, pour la plupart basés à Marrakech et à Agadir.

En plus des frais de séjour des 2.000 clients en vacances au Maroc, presque toutes les unités touchées réclament déjà au tour-opérateur britannique trois mois d’arriérés. L’ardoise cumulée se chiffre à environ 200 millions de dirhams, estime Abdellatif Kabbaj, président de la Confédération nationale du tourisme (CNT).

Les hôteliers marocains déplorent l’absence d’assurances permettant de couvrir les frais de séjour en cas de faillite. Certaines garanties, à l’image de celle que propose l’Association professionnelle de solidarité du tourisme (APST), servent simplement à assurer le retour des clients, voire le remboursement des accomptes versés par ceux qui ne sont pas encore partis en vacances. Et même s’il se trouve que le client bénéficie d’une garantie, il doit absolument régler les frais de son séjour avant d’aller chercher à se faire rembourser auprès de l’organisme assureur.

Thomas Cook étant un groupe tentaculaire, ses clients viennent de différents pays d’Europe: l’Angleterre, la Hollande, la Belgique, l’Allemagne, la France et les pays scandinaves. Il convient de noter que l’insolvabilité a d’abord concerné la maison mère de Thomas Cook en Angleterre, suivie de ses filiales en Hollande et en Belgique (ce sont en effet des entités juridiques séparées).

Par conséquent, pour les clients en provenance de ces trois pays, les vacances au Maroc sont presque déjà finies. Se pose alors la question de leur rapatriement. Qui va s’en charger?

«C’est devenu une affaire politique. Les gouvernements ne vont pas laisser leurs ressortissants perdus dans la nature. Par contre, les hôtels doivent encaisser les frais de séjour auprès des clients», a expliqué Rachid Dahmaz, président du Conseil régional du tourisme (CRT) d’Agadir Souss Massa, hier, lundi 23 septembre, tard dans la soirée (il venait alors de sortir d’une longue réunion de la cellule de crise, créée à l’échelle d’Agadir).

La capitale du Souss compte actuellement 750 clients Thomas Cook, dont 350 en provenance d’Allemagne et 140 issus d’Angleterre.

Dès ce mardi 24 septembre, nous confie Dahmaz, des avions de la compagnie allemande Condor, filiale de Thomas Cook, feront des vols à vide vers Agadir pour commencer à rapatrier les touristes. La consigne est donnée aux hôteliers, les incitant à faire preuve de finesse en demandant poliment aux touristes de passer à la caisse. Le CRT de Souss Massa a dû faire appel aux consuls installés à Agadir pour venir faciliter la communication avec leurs ressortissants.

Pour l’heure, les gouvernements des pays émetteurs de touristes clients de Thomas Cook n’ont pas encore tranché s’ils vont devoir prendre en charge les frais d’hôtel, en plus de ceux liés au rapatriement. Le sort des antennes des filiales du voyagiste en Allemagne et en France devrait quant à lui être scellé dans les heures qui viennent. «Nous n’allons pas attendre la décision de chaque gouvernement. Nous avons été autorisés par le département légal de Thomas Cook pour passer à l’action dès ce mardi matin. A défaut d’une prise en charge gouvernementale ou d’une assurance valable, nous devons encaisser directement auprès des clients», poursuit Rachid Dahmaz. En tout état de cause, même s’ils ne paient pas, les clients ne seront en aucun cas dérangés par les hôteliers, car il n’est pas question d’écorner l’image et la réputation de la destination, promet-on du côté du CRT.

S’agissant des arriérés des trois derniers mois (anciennes factures), c’est là une autre paire de manche. En effet, le recouvrement de ces créances ne pourra se faire qu’à l’issue d’une longue procédure de liquidation judiciaire, sachant que la priorité lors du remboursement sera donnée aux salariés, au Trésor public et aux organismes sociaux avant d’en arriver aux fournisseurs.

Les pertes essuyées par les professionnels d’Agadir, en lien avec les impayés cumulés ces trois derniers mois auprès de Thomas Cook culminent à environ 50 millions de dirhams, réparties à parts égales entre, d’une part, les unités hôtelières liées directement par des contrats avec le tour-opérateur britannique et, d’autre part, les réceptifs, distributeurs et revendeurs en ligne.

De sources concordantes, l’on a appris que la grosse perte chez les opérateurs de Souss Massa a été enregistrée par l’agence de voyage Univers Holidays, le représentant exclusif de Thomas Cook au Maroc, une société de droit marocain détenue par un homme d’affaires égyptien. Il se trouve que ce dernier est aussi le représentant du voyagiste britannique en Egypte et à Dubaï. Plus de 90% des clients de ses propres hôtels, en particulier en Egypte, sont drainés par le réseau de Thomas Cook.

Du côté du gouvernement marocain, 24 heures après la création d’un comité de crise chargée notamment de remonter l’information, il semble que les équipes du ministre du Tourisme, Mohammed Sajid et de son protégé, Adel El Fakir, n’ont toujours pas fini de compter les dégâts.

Au moment où l’on s’attend que le ministère de tutelle fasse preuve de célérité et qu'il passe à l’action, le ministre, Mohammed Sajid, et Adel El Fakir, directeur de l’ONMT, se sont fendus d’une communication de crise qui n’a de communication que le nom: «il faut se mettre autour de la table pour trouver des solutions et aider les professionnels à recouvrer leurs impayés», a lancé Abdellatif Kabbaj.

Le président de la CNT appelle le ministère de tutelle à intervenir auprès des gouvernements européens concernés pour faciliter le recouvrement et réduire les dégâts.

Le second communiqué de crise, diffusé ce matin par l’ONMT, ne dit pas toute la vérité sur l’étendue de l’impact de l’effondrement de Thomas Cook sur le tourisme national. Même si l’office public reconnaît que le voyagiste britannique n’a pas honoré ses engagements, soit un manque à gagner correspondant à un contingent de plus 40.000 clients, rien qu’au titre de l’année 2019.

L’ONMT omet d’indiquer le montant de ce déficit budgétaire, car chaque contribuable marocain a dû participer à hauteur d’une certaine somme pour subventionner l’arrivée de chacun des 102.000 clients engagés dans le contrat liant l’ONMT à Thomas Cook.

Aucune visibilité non plus sur les centaines de milliers de nuitées perdues avec le départ de Thomas Cook ni sur les solutions à apporter pour remédier aux effets attendus sur toute la chaîne de valeur: transport, restauration, etc. «L’ONMT demeure confiant sur la résilience de la destination Maroc à travers le développement de l’activité des Compagnies aériennes et celle des autres Tour-Opérateurs, qu’ils soient classiques ou en ligne», se contente de rapporter le communiqué de l’office public, sans donner plus de précisions.

Mais là où la communication de crise de Sajid et d’El Fakir manque manifestement de finesse, c’est le fait d'être passé à côté du choc «psychologique» subi par les 2.000 clients de Thomas Cook, éparpillés dans une quarantaine d’établissements entre Marrakech et Agadir. La moindre des choses, aurait été de leur marquer une attention particulière, ne serait-ce qu'en offrant des fleurs à ces touristes, qui ont été contraints et forcés d'interrompre leurs vacances. Alors même qu'ils séjournaient, comme le vantait voici bien des années une affiche de l'ONMT, dans "le plus beau pays du monde".

Par Wadie El Mouden
Le 24/09/2019 à 14h34