Le nouvel accord relatif au projet de gazoduc transmaghrébin, signé dimanche 10 juin à Rabat, entre le Maroc et le Nigeria, a été accueilli avec enthousiasme par bon nombre d’opérateurs économiques marocains. «C’est un projet structurant à long terme pour le Maroc et l’Afrique de manière générale. Il constitue une sorte de trait d’union entre pays africains. C’est un projet de grande envergure qui aura des retombées positives aussi bien pour les pays producteurs que pour les Etats traversés», affirme Rachid Idrissi Kaitouni, président de la Fédération de l’énergie (CGEM).
Après celui signé à Abuja lors de la visite du roi en décembre 2016, le nouvel accord marque une nouvelle étape dans la concrétisation de ce gazoduc, long de 5.660 kilomètres. «L’accord met fin à la phase de préfaisabilité et à son lot d’incertitudes. Il s’agit d’un commitment où les deux parties s’engagent à passer à la vitesse supérieure et franchir une nouvelle étape dans la réalisation du gazoduc», soutient Abdou Diop, le président sortant de la commission Afrique & Sud-Sud à la CGEM, par ailleurs associé gérant de Mazars Maroc.
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Le projet du gazoduc s’inscrit dans une optique de développement durable qui dépasse le territoire des deux pays signataires; le Maroc et le Nigeria le placent plutôt dans une logique d’intégration régionale. L’impact sur le tissu productif est direct. «Le gaz naturel importe beaucoup pour les opérateurs économiques. La mise en place du gazoduc va se traduire par une réduction de leur facture énergétique et, par conséquent, les rendre plus compétitifs», estime Idrissi Kaitouni.
La disponibilité énergétique, notamment du gaz, est un enjeu stratégique majeur dont dépend la compétitivité de toute la région, insiste Abdou Diop, en mettant l’accent sur l’ampleur des effets induits par le projet plutôt que sur ce que l’investissement pourrait générer sous forme de recettes directes. Outre le fait d’offrir le débouché européen à toutes les productions gazières de la région, Abdou Diop invite à mesurer les retombées en termes de développement humain et d’investissement industriel, avec ce que cela implique en nombre d’emplois créés dans l’ensemble des pays situés sur le parcours du gazoduc. Exemple, la réduction du coût d’accès au gaz nigérian grâce au gazoduc va profiter aux industries de transformation, celle des phosphates entre autres, ce qui devrait se traduire par une meilleure accessibilité des agriculteurs aux engrais phosphatés à des coûts relativement abordables.
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La question du tracé étant tranchée (le choix a été fixé sur une option mixte onshore/offshore pour des raisons dit-on d’ordres économique, politique, juridique et sécuritaire), le Maroc et le Nigeria entament la phase cruciale d’ingénierie de base, communément appelée FEED (Front End Engineering Design).
«Maintenant que l’on sait que le projet est techniquement faisable, l’étude de faisabilité lancée, dimanche, va désormais rentrer dans le détail opérationnel du projet pour en fixer de manière précise les conditions de rentabilité », poursuit le numéro 1 du cabinet d’audit et de conseil Mazars Maroc. Il s’agit d’identifier toutes les parties prenantes du projet, le tracé définitif, le financement (PPP, financement public, etc.), les recettes attendues, le coût de passage, etc. «C’est une étape qui requiert beaucoup d’expertise technique multi-sectorielle, laquelle nécessite de la concertation avec les différents pays situés sur le parcours du gazoduc, au nombre de 12 au total, dont certains sont producteurs de gaz (pour voir s’ils sont prêts à injecter leur gaz) et d’autres sont importateurs de gaz (pour discuter des conditions de passage et éventuellement les quantités à consommer s’ils souhaitent les pomper du gazoduc).
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Pour l’heure, rien ne filtre sur le coût de ce projet. Seul le Capex, soit la fourchette des dépenses se rattachant à l’investissement matériel, a été évalué, mais non communiqué par les deux entités en charge de ce dossier, à savoir l’ONHYM et la Compagnie de pétrole nationale nigériane). On n’en saura pas plus sur la date de démarrage de l’exploitation du gazoduc. En revanche, on sait déjà que la construction devrait se faire en plusieurs phases et répondre aux besoins des pays traversés et de l’Europe correspondants à une période de 25 ans. «C’est un projet de long terme. Un chantier de cette envergure ne sera pas prêt avant au moins une dizaine d'années», indique le président de la Fédération de l’énergie.
Reste maintenant à savoir quel sort sera réservé au gazoduc Maghreb Europe (GME) et dont l’accord expire en 2021. Ce pipeline reliant l’Algérie à l’Espagne via le Maroc, en cas de renouvellement dudit accord, sera-t-il en mesure de faire concurrence au futur gazoduc provenant d’Afrique subsaharienne? «C’est prématuré de faire des calculs. Le coût du transport, la qualité et les volumes favoriseront plutôt une complémentarité qui permettrait d’avoir une plus grande disponibilité gazière», anticipe Abdou Diop. Un avis partagé par Idrissi Kaitouni, privilégiant lui aussi l’option de la complémentarité. On n’a qu’à voir, dit-il, le nombre de gazoducs qui desservent l’Europe, quoique provenant de plusieurs pays. Mieux encore, le président de la Fédération de l’énergie n’exclut pas le scénario d’un raccordement entre le GME et le gazoduc Maroc-Nigeria.