Institut royal des études stratégiques: des propositions pour un avenir meilleur de l’agriculture marocaine

L'opération de moisson d'un champs de céréales.

L’Institut royal des études stratégiques a publié un rapport sur l’avenir de l’agriculture au Maroc. Ce document qui est la synthèse d’une journée d’étude organisée, le 28 février 2024, a avancé une série de propositions pour réviser le modèle de développement agricole, en prenant en considération les nouveaux paradigmes de souveraineté alimentaire, de préservation des ressources hydriques, de durabilité et de résilience du capital naturel et en tenant compte des mutations technologiques à l’œuvre.

Le 29/05/2024 à 08h42

L’Institut royal des études stratégiques (IRES) vient de rendre public un rapport sur l’avenir de l’agriculture au Maroc dans un contexte de la rareté structurelle de l’eau. Ce document dense de 24 pages est la synthèse d’une journée d’étude organisée, le 28 février 2024, «ayant réuni une vingtaine d’experts de haut niveau, dans les domaines de l’eau, du changement climatique, de l’agriculture, de l’agroalimentaire, de l’économie pastorale et du développement rural», indique l’IRES.

Cette rencontre, inscrite par l’IRES dans la poursuite de sa réflexion sur l’avenir de l’agriculture au Maroc, dans un contexte marqué par la rareté structurelle de l’eau, a donné lieu à «quelques propositions en vue d’un avenir meilleur de l’agriculture marocaine».

Ainsi, il ressort globalement des interventions des experts et des débats qu’a connus cette rencontre qu’«il devient urgent de réviser le modèle de développement agricole, en prenant en considération les nouveaux paradigmes de souveraineté alimentaire, de préservation des ressources hydriques, de durabilité et de résilience du capital naturel et en tenant compte des mutations technologiques à l’œuvre», notent les auteurs du rapport.

«Cette démarche de changement devrait être opérée en complément à la mise en œuvre du programme national d’approvisionnement en eau potable et d’irrigation 2020-2027 et de la stratégie Green Generation 2030», ajoutent-ils.

Les experts ayant pris part à cette journée d’études ont mis l’accent sur la nécessité d’accorder une attention particulière à trois axes prioritaires, est-il noté. Il s’agit de l’optimisation de la gouvernance dans le secteur agricole, la garantie de la souveraineté alimentaire et le renforcement de la durabilité et de la résilience de l’agriculture marocaine.

L’optimisation de la gouvernance

En ce qui concerne le premier axe, à savoir l’optimisation de la gouvernance, ces experts avancent huit séries de propositions globales. Il s’agit notamment de relancer le débat national sur l’avenir de l’agriculture marocaine, repenser le modèle de gouvernance du secteur agricole, mettre en place de nouvelles lois et renforcer l’application des lois et des décrets relatifs au secteur agricole, améliorer la gouvernance du secteur de l’eau.

Il s’agit également d’encourager la sobriété hydrique au niveau du secteur agricole, accumuler la connaissance scientifique et assurer la disponibilité d’informations fiables concernant le secteur agricole, mettre l’agriculteur au centre du développement agricole et faire de sa valorisation un enjeu de souveraineté alimentaire, booster la coopération régionale et internationale dans le domaine de l’agriculture.

Parmi les pistes de solutions qui ressortent de ces propositions globales, figurent notamment l’organisation des assises nationales et régionales sur l’avenir de l’agriculture, l’adoption d’une déclaration politique gouvernementale qui reconnaît la ruralité marocaine comme un patrimoine immatériel du pays, l’arrimage du développement agricole au développement rural.

Il s’agit aussi de lutter contre la gestion en silos pour garantir une gestion collaborative entre les différents acteurs concernés, opérer une coordination opérationnelle à l’échelle nationale, régionale et locale, protéger les terres agricoles productives contre l’étalement urbain et s’inspirer des expériences de pays confrontés à des conditions similaires de sécheresse, comme l’Australie ou la Californie.

Les participants à la rencontre proposent également de reconnaître le métier et le statut juridique de l’agriculteur et de l’éleveur en tant que profession, prévoir des mécanismes permettant d’assurer un accès équitable aux terres agricoles, garantir une gestion plus efficace du problème foncier en résolvant les questions d’héritage.

Ils préconisent aussi d’élaborer un nouveau code d’investissement agricole pour déterminer le rôle à attribuer à l’agriculture pluviale, établir une fiscalité environnementale, mettre en place une loi cadre relative aux zones de montagne.

Pour une empreinte hydrique faible

Au volet de l’amélioration de la gouvernance du secteur de l’eau, ces experts recommandent d’intégrer l’approche Nexus «Eau-Energie-Agriculture-Ecosystèmes naturels» dans les programmes d’actions des acteurs nationaux et régionaux responsables de la gestion de l’eau et de l’agriculture, instaurer un observatoire de l’eau, réactiver l’Observatoire national de la sécheresse et élargir la police de l’eau à la gendarmerie.

Au chapitre de la sobriété hydrique, ils proposent d’affecter prioritairement l’eau aux opérateurs agricoles qui concourent à la souveraineté alimentaire, inclure la rareté de l’eau comme critère d’approbation des projets d’investissement agricoles, promouvoir la production agricole à faible empreinte hydrique, orienter la production agricole à forte valeur ajoutée vers les plaines littorales et privilégier l’irrigation à partir de l’eau de mer dessalée.

Ils suggèrent aussi d’établir des contrats de gestion des nappes, la rationalisation de l’exploitation des eaux pluviales, l’utilisation des eaux non conventionnelles traitées dans le domaine agricole à commencer par la production fourragère et animale.

En ce qui concerne la disponibilité d’informations fiables sur le secteur agricole, les experts préconisent, entre autres, de mettre en place un observatoire indépendant, développer des systèmes d’information à l’échelle locale pour adapter la production agricole aux besoins alimentaires spécifiques de chaque territoire.

S’agissant de la valorisation de l’agriculteur, ils proposent surtout de renforcer ses capacités techniques et managériales, moyennant des programmes d’études et de recherche & développement.

Pour ce qui est de la coopération, il est proposé notamment de miser sur les avantages comparatifs de chaque pays africain, dans l’optique de diversifier les sources d’approvisionnement agricoles et de contribuer à la sécurité alimentaire en Afrique. À l’échelle internationale, il est suggéré essentiellement de promouvoir une diplomatie agricole dans le cadre des programmes de coopération agricole à caractère bilatéral et multilatéral.

La garantie de la souveraineté alimentaire

S’agissant du 2e axe, à savoir la garantie de la souveraineté alimentaire, les propositions ont porté principalement sur la conception d’une politique alimentaire, dans une optique de garantie de la souveraineté alimentaire du pays et de préservation de ses ressources naturelles, et la revalorisation des parcours et de l’élevage.

Pour le premier point, il s’agit notamment, indique le rapport, de faire de la petite agriculture familiale le maillon essentiel de la politique alimentaire du pays, réorienter le modèle agricole vers la satisfaction prioritaire des régimes et besoins alimentaires locaux, revoir les systèmes alimentaires et les modes de consommation actuels, prévoir des mécanismes d’urgence en réponse immédiate à des situations de crises alimentaires subites.

Il est proposé surtout de réévaluer la stratégie relative aux terrains de parcours, établie il y a deux décennies, établir des initiatives collectives visant à encadrer la santé animale, instaurer des dispositifs de surveillance et de suivi sanitaire des animaux et des races menacées.

La garantie de la souveraineté alimentaire passera également, selon ces experts, par l’adoption, au niveau des modalités de production du secteur agricole, d’un certain nombre de principes directeurs. Il s’agit, entre autres, de rétablir un équilibre entre les produits destinés au marché intérieur et ceux prévus pour l’exportation, réduire la dépendance à l’égard des produits étrangers, stimuler les investissements dans l’industrie agroalimentaire, encourager le développement de l’agriculture familiale.

Renforcement de la résilience et de la durabilité du secteur agricole

Le rapport évoque aussi le renforcement de la résilience et de la durabilité du secteur agricole, les propositions des participants à la journée d’étude ont porté sur cinq points. Le premier est d’opérer une transition urgente vers des systèmes agricoles intégrant la composante du réchauffement climatique.

Et ce, à travers notamment les actions d’aménagement hydro-agricole et de gestion de l’irrigation, de conservation des eaux et des sols, l’utilisation des intrants agricoles plus résilients au climat, l’introduction des innovations techniques, le développement de l’agriculture circulaire, l’agriculture climato-intelligente et l’agriculture urbaine.

Le 2ème point consiste à recourir à une gestion proactive des risques à travers, entre autres, le renforcement de la résilience et des capacités d’adaptation de l’agriculture pluviale, notamment des cultures céréalières.

Le 3ème point, au sujet du renforcement de la résilience et de la durabilité du secteur agricole, est de renforcer l’intégration économique du secteur agricole via particulièrement le développement des infrastructures d’approvisionnement et l’amélioration des circuits de distribution et les services logistiques, l’organisation des marchés de commercialisation, la modernisation de l’agriculture familiale, l’entrepreneuriat social dans le secteur agricole et le développement des industries de transformation agricole à petite échelle.

Définir un modèle de financement durable pour le secteur

Le 4ème point est de définir un modèle de financement durable pour le secteur agricole à travers notamment l’accroissement de la part consacrée à l’agriculture dans le budget de l’État, le recours à de nouvelles ressources financières, des produits financiers accessibles aux petits agriculteurs et fermiers, des incitations fiscales et financières en faveur du numérique dans le secteur agricole.

Le 5ème point est l’impulsion de la recherche scientifique et l’innovation technologique dans les domaines de la résilience et de la durabilité du secteur agricole. Et ce, notamment en allouant une part importante du PIB agricole à la recherche agronomique avancée, en concevant un plan stratégique de recherche agricole et d’adaptation au changement climatique, en développant des programmes de recherche territorialisés.

Cette impulsion pourra également se réaliser par la création des structures de formation adaptée aux contextes locaux, l’investissement massif dans l’agriculture 4.0 (agriculture de précision).

Par Lahcen Oudoud
Le 29/05/2024 à 08h42