L’inflation a porté un coup dur à la lutte contre la pauvreté, selon Oxfam Maroc

Un rayon dans un supermarché. (Photo d'illustration)

Dans un rapport sur les effets de l’inflation, Oxfam Maroc explique que la poussée inflationniste a touché surtout les ménages pauvres et ruraux, et qu’elle a entamé la confiance des agents économiques. Constatant toutefois que l’inflation poursuit sa tendance à la baisse, l’ONG émet ses recommandations pour en réduire les conséquences.

Le 20/02/2024 à 18h22

La représentation marocaine de l’ONG internationale Oxfam vient de publier un nouveau rapport, intitulé «Les champions de l’inflation», où elle se focalise sur les inégalités socioéconomiques et leurs impacts négatifs sur les populations vulnérables, en particulier les femmes et les jeunes.

Les auteurs du rapport reviennent d’abord sur les causes de cette crise inflationniste, qu’ils attribuent essentiellement au rebond de l’économie, après l’épisode du Covid-19. «Pendant le confinement, les épargnes se sont accumulées et quand les commerces ont rouvert, il y a eu machinalement plus de demande que d’offre, ce qui a provoqué une hausse des prix», expliquent-ils. Autre conséquence de cette crise sanitaire, ajoutent-ils, la perturbation des routes commerciales a fait monter le coût des transports, répercuté sur le prix. La hausse des prix de l’énergie est venue mettre son grain de sel, avant que la guerre en Ukraine ne donne le coup de grâce.

Comportement vorace des grandes entreprises

Et ce ne sont pas là les seuls facteurs qui expliquent la montée de l’inflation au Maroc. Oxfam Maroc évoque également, dans son rapport, «le comportement vorace des grandes entreprises, qui, opérant dans certains marchés oligopolistiques ou de niche, ont largement profité de cette crise inflationniste pour doper indûment leurs marges». À ce titre, souligne-t-il, le marché d’importation et de distribution des produits pétroliers «en est un illustre exemple sanctionné récemment par le Conseil de la concurrence».

Dans ce contexte de tensions inflationnistes, un recul de 7,15% des dépenses moyennes des ménages a été observé entre fin 2019 et début 2023, la dépense moyenne annuelle par habitant étant passée de 20.400 dirhams à 18.940 dirhams, indique le rapport. Par conséquent, les Marocains ont perdu en moyenne 1.460 dirhams en 3 ans, sachant que l’alimentation continue de représenter plus d’un tiers des dépenses, avec une part stable à 36,4% du budget total, constate l’organisation.

Les ménages pauvres touchés de plein fouet

Mais le plus négatif dans cette poussée inflationniste, relève Oxfam Maroc, c’est qu’elle a touché surtout les ménages pauvres, vulnérables et ruraux. Et c’est justement, poursuit-elle, à cause de cette crise inflationniste que 3,2 millions de personnes supplémentaires se sont retrouvées en dessous du seuil de pauvreté, ramenant ce dernier au niveau enregistré en 2014. «Ainsi, 8 ans de lutte contre la pauvreté se sont ainsi évaporés, et les résultats pourraient être encore pires si des subventions (…) n’avaient pas été mises en place par le gouvernement», note-t-elle. Celles-ci, rappelle-t-elle, sont de l’ordre de 42 milliards de dirhams pour le gaz butane, le sucre et la farine, de 5 milliards de dirhams pour l’ONEE, et 4,4 milliards de dirhams pour les professionnels du secteur des transports.

Toutefois, nuance l’ONG, si ces subventions destinées à la stabilité des prix ont joué un effet d’amortisseur, celui-ci n’a pas suffi pour atténuer les effets de la crise. Profitant d’abord aux plus riches, la politique budgétaire du gouvernement a été débridée par la politique monétaire restrictive de Bank Al Maghrib (BAM), qui a resserré à 3 reprises le taux d’intérêt directeur pour le ramener à 3%, alors que cet outil n’est pas assez adapté pour parvenir à la stabilité des prix des produits qui dominent le panier de consommation des ménages.

Qui va payer l’addition de cette crise ?

Le rapport souligne qu’en dépit du plan de relance mis en place par le gouvernement et des mesures adoptées par la Banque centrale, «la confiance des agents économiques n’est pas rétablie et un climat marqué par de fortes incertitudes continue de planer». De ce fait, estiment les auteurs du rapport, l’issue de sortie de cette crise inflationniste reste «compromise», surtout que la croissance réelle du PIB est en forte chute, passant de 7,9% en 2021 à 1,2% en 2022, tandis que le déficit de la balance courante a augmenté de 2,3% à 4,1% du PIB, relèvent-ils. La Banque mondiale prévoit en 2023 une baisse de la croissance de 4,3% à 3,5%, rappellent-ils. Une baisse due en partie à la détérioration du secteur agricole à cause de la sécheresse.

En moyenne, le Haut Commissariat au plan (HCP) prévoit une hausse des prix de l’ordre de 5% par an depuis 2021, «du jamais vu depuis 40 ans», note Oxfam Maroc, expliquant que ceux dont les revenus n’ont pas augmenté vont perdre ainsi, en moyenne, 5 % de pouvoir d’achat. Le HCP indique que les effets combinés de la pandémie Covid-19 et de l’inflation auraient entraîné un recul du niveau de vie par personne, de 7,2% au niveau national entre 2019 et 2022, de 6,6% à 23.000 DH en milieu urbain et de 8,9% en milieu rural. Par catégorie sociale, le niveau de vie par personne aurait reculé sur la même période de 8% pour les ménages les moins aisés, de 6,6% pour les ménages intermédiaires et de 7,5% pour les ménages les plus aisés.

Une lueur d’espoir

«Dans ces circonstances, l’économie marocaine se trouve à un carrefour critique, où la stabilité et la maîtrise de l’inflation sont nécessaires pour garantir une croissance économique durable», conclut l’ONG, en émettant un certain nombre de recommandations pour faire face à cette montée de l’inflation et ses conséquences. Il s’agit essentiellement du renforcement de la concurrence, de l’indexation des bas salaires sur le pouvoir d’achat, de l’allégement de la pression fiscale sur les classes moyennes et les classes vulnérables, estime Oxfam Maroc.

Une lueur d’espoir est, toutefois, détectée par Oxfam Maroc. «Le côté positif, c’est que l’inflation poursuit sa tendance à la baisse. Alors qu’elle avait culminé à 10% il y a un an, elle aurait atteint 4,7% au troisième trimestre 2023, après 6,8% au deuxième trimestre 2023. Ce recul de l’inflation a été principalement alimenté par la forte baisse des prix de l’énergie».

Par Lahcen Oudoud
Le 20/02/2024 à 18h22