L’OCDE relève les obstacles qui freinent l’investissement et la productivité au Maroc

Mathias Cormann, secrétaire général de l'OCDE.

Mathias Cormann, secrétaire général de l'OCDE. AFP or licensors

La première Étude économique consacrée au Maroc par l’Organisation de coopération et de développement économiques, présentée, mercredi 11 septembre 2024 à Rabat, a relevé une multitude d’obstacles qui freinent l’investissement et la productivité de l’économie nationale et a proposé des solutions pour y faire face. Détails.

Le 12/09/2024 à 14h08

Le Maroc a fait des progrès dans le domaine de l’investissement et de la productivité, mais il a encore du chemin à parcourir. C’est l’une des principales conclusions qui ressortent de la première Étude économique consacrée au Maroc par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Cette étude a été présentée, mercredi 11 septembre 2024 à Rabat, en présence du chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, la ministre de l’Économie et des Finances, Nadia Fettah et le secrétaire général de l’OCDE, Mathias Cormann.

Ainsi, indiquent les auteurs de l’étude, la productivité s’est accrue au Maroc, mais dans des proportions moindres que ce qui pourrait être attendu au regard du potentiel de convergence avec des pays plus avancés. «La croissance de la productivité du Maroc, pays à revenu intermédiaire en phase de rattrapage qui affiche des perspectives de croissance démographique prometteuses, devrait être relativement forte», estiment-ils.

Ils notent que le Maroc se caractérise par un secteur des services relativement vaste et une agriculture et une industrie de taille assez petite en termes de valeur ajoutée par rapport aux pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure comparables. En outre, ajoutent-ils, le Maroc s’est spécialisé dans les services à plus faible productivité, comme le tourisme.

Selon l’étude, le Maroc a pu s’intégrer dans les chaînes de valeur mondiales, en particulier grâce à l’investissement direct étranger (IDE), et notamment dans l’industrie automobile. «Des écosystèmes de fournisseurs se sont constitués autour des principaux investissements, mais, si certains sont des entreprises nationales, beaucoup sont étrangers et ont tendance à se spécialiser dans les activités à plus forte valeur ajoutée et plus complexes», relève-t-elle.

Le secteur automobile a été une industrie manufacturière pionnière au Maroc qui a créé abondamment d’emplois et soutenu la croissance, ce qui a conforté le statut de pays industrialisé et d’exportateur de voitures du Maroc, selon l’étude. L’industrie automobile compte 20 fournisseurs marocains de premier et de deuxième rang, contrairement à l’aéronautique, où, parmi les 140 fournisseurs locaux, un seul est marocain, indique-t-elle.

Exportations: un quart de la valeur ajoutée produit à l’étranger

L’étude relève qu’un quart de la valeur ajoutée des exportations du Maroc est produit à l’étranger. Le Maroc utilise des intrants intermédiaires étrangers à plus forte valeur ajoutée (intégration vers l’amont) davantage que les pays de l’OCDE ou l’Égypte, mais dans une moindre mesure que la Tunisie ou la Jordanie.

Bien que le pays soit intégré dans les chaînes de valeur mondiales d’entreprises multinationales, ces entreprises et leurs sous-traitants pourraient être mieux intégrés avec les entreprises locales afin de récolter les fruits d’éventuelles externalités technologiques et de connaissances, souligne l’étude. Celle-ci explique que la part relativement faible de la valeur ajoutée est liée à la prédominance de phases à forte intensité de main-d’œuvre dans les processus de production.

Il ressort aussi de l’étude que les entreprises marocaines ont tendance à être très petites et beaucoup opèrent dans le secteur informel qui représenterait environ 30% du PIB et qui freine la productivité. De même, est-il indiqué, la dynamique des entreprises s’est essoufflée et la récente baisse du nombre de nouvelles créations est préoccupante.

Parmi les facteurs qui expliquent l’atonie de la productivité, les auteurs de l’étude de l’OCDE citent le niveau faible des compétences. Si les résultats scolaires ont tendance à s’améliorer au fil du temps, en particulier pour les femmes, le niveau de formation des adultes reste nettement inférieur à celui des pays comparables, indiquent-ils.

En effet, précisent-ils, pratiquement 30% de la population adulte n’a pas terminé ses études primaires et une proportion quasiment similaire des adultes ont suivi uniquement un enseignement du premier degré. Le niveau de formation de la population est plus faible au Maroc que dans des pays comparables de la région comme l’Égypte ou la Tunisie.

La Banque mondiale, citée par l’étude, a constaté que, pour 30% de l’ensemble des entreprises, une main-d’œuvre insuffisamment instruite était un obstacle majeur, contre environ 21% dans la région MENA et ailleurs.

L’investissement pâtit d’un manque d’efficience

Dans l’ensemble, l’investissement est vigoureux au Maroc, même si le stock de capital par habitant y est moindre que dans des pays plus avancés, observe l’OCDE. Toutefois, nuance-t-elle, il est tiré par l’investissement public et est peu efficient.

Le manque d’efficience de l’investissement serait dû, selon l’étude, à la part relativement élevée de l’investissement dans les services hors infrastructures, «qui n’a peut-être pas la même incidence sur la productivité que l’investissement dans les infrastructures ou l’industrie». Un autre est la part importante de l’État et des entreprises du secteur public.

Pour l’OCDE, l’efficacité de l’investissement public pâtit du faible taux d’exécution des projets d’investissement, qui s’établit à 40% à l’échelon local (contre 75-80% au niveau central). L’étude relève que le Maroc est parvenu à attirer des secteurs de premier plan et à «échapper à la malédiction des ressources naturelles», malgré d’abondantes réserves de phosphates et d’autres ressources minérales, notamment en attirant des investissements étrangers entrants massifs dans les activités automobile et aérospatiale et en faisant aussi venir un réseau de fournisseurs dans le pays.

Elle note, toutefois, que la valeur ajoutée du secteur industriel marocain pourrait augmenter en se tournant vers des produits plus complexes. La diversification de l’économie doit s’accélérer afin d’acquérir des connaissances et des compétences dans des secteurs à valeur ajoutée de plus en plus forte, souligne-t-elle.

Elle fait remarquer aussi que l’industrie automobile connaîtra une profonde transformation dans les dix années à venir, dans le contexte de la transition entre les voitures à moteur à combustion et les véhicules électriques. «Afin de conserver son statut d’acteur de premier plan de l’industrie automobile mondiale, le Maroc devrait anticiper ces évolutions internationales et s’y adapter», estime l’OCDE. Elle relève que le pays ne s’est pas spécialisé dans la fabrication de moteurs à combustion et de nombreux éléments produits au Maroc seront aussi nécessaires à la fabrication des véhicules électriques.

En ce qui concerne l’agriculture, elle insiste sur la diversification de la production et les niches pour moderniser le secteur. L’agrandissement et l’automatisation contribueraient aussi à rehausser la productivité agricole.

Les entreprises publiques en position dominante

Pour ce qui est du commerce, l’Organisation recommande le renforcement de l’ouverture pour une plus grande intégration dans les chaînes de valeur actuelles et en création.

Dans le domaine des incitations à l’investissement, elle pointe certains risques. Ainsi, note-t-elle, l’efficacité des mesures incitatives pour orienter les investissements vers certaines activités et régions, comme d’autres politiques industrielles, devra être examinée de près. Les aides sectorielles devraient être équilibrées pour garantir un éventail de risques adapté et le développement d’activités nouvelles et existantes.

«Le risque que les aides soient utilisées pour attirer des investissements étrangers d’entreprises mobiles à l’international qui passent d’un pays à l’autre en quête de meilleures incitations est très préoccupant», prévient-elle. Ces entreprises peuvent quitter le pays avant la fin des mesures incitatives et ne contribuent donc guère au développement à plus long terme du pays, précise-t-elle.

L’OCDE appelle également à mobiliser les terres pour l’investissement privé et à améliorer le climat des affaires pour des gains de productivité. «Prendre des mesures plus ambitieuses pour améliorer le climat des affaires permettrait de lever les obstacles à l’investissement, d’étayer la réalisation des objectifs de la Charte de l’investissement et d’ouvrir de nouvelles perspectives aux entreprises, tout en facilitant la réaffectation de ressources aux composantes les plus productives de l’économie», estime-t-elle.

«Au Maroc, le périmètre du secteur public va bien au-delà de ces monopoles naturels», affirment les experts de l’OCDE. Même après la libéralisation des marchés sur lesquels opèrent les entreprises publiques, notent-ils, l’État reste très présent dans des activités commerciales par nature, comme la commercialisation de semences ou la production de vaccins pour animaux, et les entreprises publiques sont en concurrence avec des sociétés privées dans plusieurs secteurs.

«Une question essentielle est de savoir quel est le mode de gouvernance des entreprises publiques et si cette gouvernance garantit leur efficience et définit leur rôle dans l’économie de manière appropriée», insistent-ils.

L’indépendance du Conseil de la concurrence à renforcer

L’OCDE relève aussi l’existence au Maroc d’un certain nombre de secteurs dans lesquels la concurrence semble faible, dont notamment le bâtiment et travaux publics, l’enseignement supérieur privé et le sucre. Elle appelle, de ce fait, à stimuler la concurrence et à renforcer l’indépendance du Conseil de la concurrence.

Parmi les autres problèmes relevés par l’OCDE, figurent les restrictions juridiques aux prises de participation par des investisseurs étrangers et au recrutement de personnel étranger, les diverses lacunes institutionnelles et structurelles dont pâtissent les petites et moyennes entreprises (PME) et les microentreprises.

Il s’agit aussi du retard accusé par le Maroc dans le domaine de la transformation numérique, et dans l’investissement consacré par les entreprises marocaines à la recherche et développement.

Par Lahcen Oudoud
Le 12/09/2024 à 14h08