Rappelez-vous le 21 septembre 2010. France Telecom annonçait en grande pompe l’acquisition de 40% du capital de Médi Telecom. Prix de la transaction: 640 millions d’euros. Les analystes financiers de Casablanca applaudissaient le deal: «Le prix était plus que correct, nous explique un banquier d’affaires. Il avait été établi sur la base d’une valorisation de Méditel, qui avait progressé d'environ 12% une année seulement après la sortie de Portugal Telecom et Telefonica». Les deux opérateurs ibériques avaient en effet cédé, en août 2009, leur participation de 64,36% au duo CDG et Finance.com pour le prix de soit 920 millions d’euros. Ces derniers récupéraient donc, un an plus tard, plus des deux-tiers de leur mise en se délestant de seulement 40% de Méditel, tout en trouvant un nouveau partenaire industriel de référence pour la société. C’était donc la bonne affaire qui confirmait la réputation d’Othman Benjelloun, propriétaire de Finance.com, en tant que banquier redoutable, et d’Anas Alami, à l’époque directeur général de la CDG, en tant que banquier d’affaires d’exception. La suite des événements n'a pourtant pas été à leur avantage…
Un accord et un pacte
Avec l’arrivée de France Telecom dans le tour de table, un pacte d’actionnaires était scellé avec les deux partenaires marocains. Le grand public le découvrait en décembre 2011, quand Méditel recourait au marché boursier pour un emprunt obligataire de 1,3 milliard de dirhams. Dans la note d’information relative à cette opération, on pouvait lire: «Le pacte d’actionnaires prévoit des mécanismes juridiques à même d’assurer au groupe France Telecom de consolider, à compter du 1er janvier 2015 et par voie d’intégration globale, Medi Telecom dans ses comptes». Dans les faits, cette disposition se traduisait par une augmentation de la participation de France Telecom, pour atteindre un niveau de contrôle à hauteur de 51%.
Proposition indécente
Depuis septembre dernier, France Telecom, CDG et Finance.com sont engagés dans des négociations marathoniennes pour finaliser ce réaménagement du tour de table. Comme rapporté précédemment par Le360, le schéma prévoyait une cession de 4,5% pour chacun des deux groupes marocains assortis de droits de vote de 11%, permettant ainsi à France Telecom de justifier une intégration globale de Méditel dans ses comptes. Les négociations ont néanmoins mal tourné: «la proposition de France Telecom a été presque insultante. La valorisation de Méditel a quasiment diminué de 50% par rapport à celle de septembre 2010», nous confie une source proche du dossier. Contacté par Le360, ni la CDG ni Finance.com n’ont souhaité répondre à nos questions concernant les tractations en cours. Le service communication de France Telecom, de son côté, nous a fourni une réponse pour le moins laconique: «Il existe un pacte d’actionnaires, dont le contenu est confidentiel et sur lequel nous n’avons pas le droit de donner d’information. Au moment de la signature du pacte, il a été publiquement indiqué que celui-ci donne à Orange la possibilité de monter au capital et de prendre le contrôle de Méditel», nous explique Sébastien Audra, responsable presse Corporate d’Orange.
Sir Benjelloun perd son sang froid
Selon nos sources, la tournure que prend les négociations a mis en rogne Othman Benjelloun, réputé pourtant pour son sang froid très british. «Le président Benjelloun cherche par tous les moyens à dénoncer ce pacte d’actionnaires. Il est prêt à racheter la part d’Orange plutôt que de se laisser berner par les Français», nous assure cette source proche du dossier. Une attitude largement justifiée.
Méditel a certes vu ses indicateurs financiers piquer du nez durant ces dernières années: le chiffre d’affaires est tombé de 5,8 MMDH en 2010 à 5 MMDH seulement à fin 2013, et le résultat est passé d’un bénéfice de plus de 300 MDH à un déficit de 222 MDH. Mais cela est bien le fait du management désastreux des partenaires industriels français. «Ils se sont lancés dans une stratégie de conquête en bradant les prix, sous estimant la capacité des autres opérateurs à réagir», nous explique un connaisseur du secteur. «C’est à en croire que c’était une démarche voulue», poursuit notre source. En fait, France Telecom a signé une kyrielle de conventions réglementées avec Méditel pour des prestations d’assistance et de conseil pour lesquelles la société française a été payée rubis sur ongle des centaines de millions de dirhams. «C’est à eux d’assumer les déboires actuels de Médi Télecom et non pas aux actionnaires marocains», lance notre source, qui n’exclut pas que le partenaire français veuille jouer sur la faiblesse de la partie marocaine: «la CDG est dirigée aujourd’hui par un directeur par intérim qui a du mal à prendre des initiatives. Mais c’est mal connaître Othman Benjelloun qui, lui, ne se laissera pas faire, ne serait-ce que par fierté, quitte à laisser des plumes dans l’affaire». Tout semble indiquer que les actionnaires marocains ne sont plus sur la même longueur d’ondes que leur partenaire français. Les semaines qui nous séparent de la date butoir du 31 décembre risquent ainsi d’être houleuses. Affaire à suivre.