L’information nous a été confirmée par plusieurs associations représentant les professionnels du Transport international routier (TIR). Des centaines de demandes de visas pour les conducteurs des sociétés de TIR ont été rejetées par les consulat français. Résultat, plus de 1.000 poids lourds sont aujourd’hui bloqués au Maroc, faute de trouver un chauffeur disposant d’un visa valide. Une situation qui risque de pénaliser la saison d’exportation des agrumes et primeurs dont le démarrage est imminent.
Les routiers marocains n’arrivent pas à saisir le bien-fondé du changement d’attitude des autorités françaises. «L’attitude des services consulaires français est incompréhensible, d’autant plus que les justifications accompagnant le refus des visas sont très vagues et infondées, prétextant dans la plupart des cas l’insuffisance de garanties pour s’assurer du retour du conducteur. Ces justifications ne tiennent pas la route quand on sait que ce phénomène touche des conducteurs ayant une ancienneté de plus de 5 ans dans leurs entreprises et ont déjà eu l’occasion d’obtenir le visa français à plusieurs reprises», dénonce Rachid Tahri, vice-président de la Fédération du transport et de la logistique, affiliée à la CGEM.
Le durcissement de l’octroi des visas par les consulats de France avait déjà commencé en janvier 2021, tiennent à préciser des professionnels du TIR. Certains n’hésitaient pas à y voir un acte politique en réaction aux percées diplomatiques du Royaume, couronnées par la conclusion de l’accord tripartite Maroc-Etats-Unis-Israël qui rétablit à la fois les relations diplomatiques entre Rabat et Tel-Aviv, et confirme la reconnaissance de la souveraineté du Royaume sur le Sahara occidental par les Etats-Unis d’Amérique. Selon les chauffeurs marocains, le multilatéralisme du Maroc ne plairait pas à Paris qui craint de perdre son influence au Royaume. La décision récente de la France de réduire de moitié le nombre de visas accordés au Maroc n’est donc que la goutte qui a fait déborder le vase, les routiers ayant déjà subi, selon leurs termes, plusieurs refus depuis janvier 2021.
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«La prise de rendez-vous est quasiment impossible. Nous sommes souvent obligés de faire appel à des intermédiaires clandestins auxquels nous payons une commission de 800 à 1.000 dirhams par dossier pour avoir un rendez-vous rapide», ajoute ce membre de l’Association marocaine des transports routiers intercontinentaux du Maroc (AMTRI).
Et d’ajouter: «il nous arrive parfois de déposer 4 dossiers similaires répondant à toutes les conditions requises. Nous ne comprenons pas pourquoi le consulat accorde le visa à un seul dossier et refuse les trois autres. Et dans le meilleur des cas, la durée des visas accordés ne dépasse pas deux à trois mois».
A qui profite le crime?Face à cette situation, certaines sociétés se voient obligées de faire appel à des entreprises étrangères, voire à des conducteurs résidant en Espagne. C’est la raison pour laquelle, du côté de la Fédération du transport et de la logistique, le durcissement de l'octroi du visa est perçu comme un moyen par lequel on cherche à freiner l’élan de la croissance que connaît le TIR marocain.
«Ces dernières années, la flotte marocaine a fait ses preuves, notamment dans le domaine du transport frigorifique de produits périssables, et assure aujourd’hui plus de 50% du trafic TIR transitant par le port Tanger Med», note Rachid Tahri, également président de l’Observatoire marocain de la compétitivité logistique.
«L’attitude des consulats de France ne sert pas le processus de négociation de l'Accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA) entre le Maroc et l’UE qui en est à sa phase finale. La libéralisation du commerce des services et du droit d’établissement, objet des négociations en cours, nécessitent la liberté de mobilité», estime cet expert en relations internationales. «Il n’est plus logique de continuer à négocier un accord global avec tout l’espace européen alors que pour le mettre en œuvre, le prestataire marocain de services (conducteur, avocat, etc.) aura besoin d’un outil bilatéral qu’est le visa», poursuit-il.
Les professionnels du TIR ne comptent d’ailleurs pas baisser les bras. Plusieurs courriers émanant des entreprises de transport et de logistique, mais aussi des exportateurs (Asmex) ont été adressés ces dernières semaines aux autorités marocaines et à l’ambassade de France à Rabat, en vain.
Entre temps, des voix ont commencé à s’élever pour réclamer la réciprocité, conformément au droit international, en imposant le visa aux routiers originaires des pays de l’UE. A leurs yeux, le durcissement de l’octroi de visas par les consulats de France n’est ni plus ni moins qu’un outil de protection voilée des intérêts et du pavillon étrangers pour s’accaparer du fret marocain.
Ces derniers jours, plusieurs appels à manifester ont été lancés par des organisations professionnelles. Un premier sit-in a été organisé hier, lundi 25 octobre, devant l’ambassade de France à Rabat. Le syndicat des transporteurs de marchandises affilé à l’UMT a appelé lui aussi à une nouvelle manifestation, jeudi 28 octobre, devant les deux consulats de France et d’Espagne à Agadir.
Contactée par Le360, une source à l’ambassade de France à Rabat affirme que les critères d’octroi du visa se sont effectivement durcis en raison des «nombreuses affaires impliquant des routiers marocains en France, liées au trafic de drogue et au blanchiment d’argent, alors qu’ils disposaient de visas octroyés en bonne et due forme».
Contraints de faire preuve de plus de vigilance, les consulats de France prendraient désormais un peu plus de temps pour examiner attentivement les dossiers concernés, a ajouté la même source. Une réponse qui ne convainc guère sur les réelles motivations qui ont fait des routiers marocains une cible privilégiée de la politique des visas.