Offre Maroc Hydrogène vert: l’intrigante absence du groupe Akwa

Le Chef du gouvernement, Aziz Akhannouch.

Absent de la liste des premiers candidats retenus pour développer la production d’hydrogène vert au Maroc, le groupe Akwa fait encore parler de lui. Entre choix tactique et désintérêt peu convaincant, les spéculations vont bon train. La holding des familles Akhannouch et Wakrim pourrait-elle continuer à prospérer en dehors des molécules d’hydrogène vert? Pas si sûr.

Le 24/03/2025 à 11h10

Dévoilée le jeudi 6 mars, la liste des investisseurs retenus pour lancer les tout premiers projets d’hydrogène vert au Maroc a été accueillie avec un espoir teinté de scepticisme. Le processus de sélection, que conduit un comité présidé par le Chef du gouvernement, a connu un retard manifeste… qu’aucun responsable n’a jugé utile de justifier.

Les critiques pointaient surtout une «pesante bureaucratie» qui risquait de saper l’attractivité du Maroc dans le secteur prometteur de l’hydrogène vert. Il faut dire que le Royaume, déjà devancé sur ce terrain par bon nombre de pays (Oman, Arabie Saoudite, Égypte…), a bien du mal à conserver la longueur d’avance qu’il comptait dans les énergies renouvelables.

Finalement, sur un total de 40 demandes, le gouvernement n’en a finalement retenu que 5, émanant d’investisseurs marocains et étrangers et correspondant à 6 projets totalisant un investissement de plus de 319 milliards de dirhams.

La liste des investisseurs sélectionnés ne comprend qu’un seul et unique acteur marocain de référence, en l’occurrence Nareva qui, en souscrivant à l’Offre Maroc, confirme sa volonté de jouer un rôle de locomotive dans le secteur.

Car contre toute attente, le groupe Akwa, propriété de Aziz Akhannouch, ne fait pas partie de cette première salve de projets libérés par l’exécutif. Cela est d’autant plus surprenant lorsqu’on sait que la holding du Chef du gouvernement s’est récemment dotée d’un pôle dédié à la transition énergétique, à l’environnement et au développement durable (TEEDD). Commentant cette absence, certains -peu nombreux- y lisent, à tort ou à raison, une marque de désintérêt pour ce vecteur d’énergie propre, considéré comme une solution d’avenir. L’un d’eux résume ainsi son analyse de la situation : «Akhannouch évite de dépenser dès aujourd’hui des milliards dans des études. Il doit probablement voir l’hydrogène vert, pour l’instant du moins, comme un pari risqué et préfère jouer la prudence».

À l’opposé, d’autres -très nombreux- considèrent qu’il s’agit d’une tactique consistant à rester dans les bois avant de se découvrir et estiment que «tôt ou tard, Akwa finira par faire son entrée», la procédure de sélection demeurant ouverte.

Une opération de «portage»?

En attendant la suite des événements, les mauvaises langues poussent les conjectures encore plus loin, soupçonnant un retrait programmé de l’opérateur espagnol Acciona qui a été désigné pour développer un projet de production d’ammoniac dans le sud du Maroc en faveur d’Akwa, voire carrément une opération de «portage».

Et ils ne manquent pas de déployer leur argument: le géant ibérique entretient des liens étroits avec Afriquia Gaz, filiale du groupe Akwa), avec laquelle il forme le consortium ayant décroché, dans des conditions très controversées, le marché de la future station de dessalement de Casablanca, la plus grande du genre en Afrique. «Je ne crois pas une seconde à l’hypothèse du portage par Acciona. C’est un groupe d’envergure mondiale, et jamais il ne prendrait un tel risque», oppose toutefois cet expert en énergie.

Il est toutefois difficile de croire que le groupe Akwa, qui se dit résolument orienté vers l’avenir, puisse se détourner aussi aisément de la très porteuse filière de l’hydrogène vert. La série de «victoires» récemment remportées par la holding d’Akannouch -via ses filiales- sur le terrain de la commande publique devrait en toute logique se poursuivre avec l’Offre Maroc de l’hydrogène vert, d’autant que celle-ci s’inscrit parfaitement dans son cœur de métier.

Acteur majeur de la distribution de carburants d’aviation au Maroc, Afriquia SMDC ne peut ignorer l’importance de l’hydrogène, présenté comme le carburant «propre» le plus adapté à l’aviation de demain. «Dans l’aviation, l’hydrogène peut être utilisé de deux manières: soit sous forme liquide pour alimenter directement des moteurs adaptés (comme Airbus l’envisage pour 2035), soit en le transformant en e-kérosène via un procédé de synthèse. Le défi reste son stockage et son volume, bien plus contraignants que ceux du kérosène», détaille cet universitaire membre du Cluster marocain de l’hydrogène vert Green H2.

En effet, l’ammoniac, dérivé azoté de l’hydrogène, est perçu aujourd’hui comme une solution stratégique et efficace pour répondre au besoin urgent de décarboner le secteur du transport aérien (e-SAF) et maritime (e-méthanol), en remplacement, respectivement, du kérosène et des fuels lourds. Comparés au carburéacteur conventionnel, ces carburants d’aviation durables permettent une réduction de l’empreinte carbone de plus de 90%.

Des carburants d’avenir

Dans les pays qui se sont engagés à réduire l’empreinte climatique de l’industrie aéronautique, les efforts sont orientés vers l’augmentation de l’utilisation des carburants durables. En Europe, alors que des organisations écologistes réclament la mise en place d’une taxe sur le kérosène (à l’instar des États-Unis) pour freiner la pollution du transport aérien, les États membres de l’UE préfèrent appliquer d’autres modes de taxation (sur les billets et les mouvements aéroportuaires notamment). C’est notamment le cas de la France qui vient d’introduire, dans son budget 2025, une hausse spectaculaire de la taxe de solidarité sur les billets d’avion (TSBA), présentée par le gouvernement Bayrou comme «une mesure de justice fiscale et écologique».

Le groupe Akwa ne peut être insensible aux mutations que connaît le secteur du carburant d’aviation, dans lequel il agit en market maker (faiseur de marché). Rien que Royal Air Maroc achète annuellement pour près de 2 milliards de dirhams de kérosène au groupe de Aziz Akhannouch. On voit dès lors mal comment ce groupe peut se fermer aux carburants issus de l’hydrogène vert quand les taxes qui punissent les avionneurs pollueurs deviendront rédhibitoires.

De la même manière, en tant que principal fournisseur de fioul aux centrales électriques de l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE), Afriquia SMDC (qui vient de remporter en décembre dernier un juteux marché de 2,44 milliards de dirhams) doit être consciente des enjeux qui pèsent sur le mix énergétique marocain et du rôle que l’hydrogène vert est appelé à jouer pour décarboner le système électrique national.

Éviter, momentanément, les soupçons de conflit d’intérêts

«L’hydrogène a du potentiel pour remplacer le fioul dans certaines applications, mais avec des défis techniques et économiques très importants. Pour les centrales électriques, il pourrait remplacer le fioul dans certaines configurations, mais son coût et la logistique associée rendent cette transition complexe à grande échelle. Les centrales pourraient cependant évoluer vers des mélanges de gaz naturel et d’hydrogène (le co-firing, NDLR) ou être converties vers d’autres sources renouvelables plus adaptées», souligne cet expert énergéticien.

En s’excluant contre toute logique de l’Offre Maroc hydrogène vert, le groupe Akwa cherche peut-être à éviter, momentanément, une polémique de la même nature que celle qui a accompagné l’affaire de la station de dessalement de Casablanca, où les soupçons de conflit d’intérêts ont atterri au Parlement. Ces soupçons sont consubstantiels à l’identité de Aziz Akhannouch, à la fois maître d’ouvrage des marchés publics, en tant que chef de l’exécutif, et leur prestataire.

Par Wadie El Mouden
Le 24/03/2025 à 11h10

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