L’utilisation à profusion de l’argent liquide dans les transactions courantes est toujours aussi dominante, continuant à défier tout ce qui a été entrepris pour le brider. La circulation fiduciaire continue, en effet, à connaître une progression à deux chiffres. Au terme des cinq premiers mois de l’année en cours, elle a cru de 10,2% par rapport à la même période de 2023, dépassant les 407,49 milliards de dirhams (MMDH), selon les derniers chiffres publiés par Bank Al-Maghrib (BAM).
Elle reste ainsi sur sa lancée des derniers exercices: la circulation de cash avait progressé de 10,9% en 2023, et de 10,8% en 2022. Le taux de 6,5% en 2021 a presque des allures d’accalmie, surtout comparé à celui de 2020, certes année correspondant à la crise sanitaire du Covid-19, durant laquelle l’augmentation avait culminé à 20,1%!
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Cette hausse est d’autant plus préoccupante pour la Banque centrale et les acteurs de l’écosystème des moyens de paiement que son rythme est plus accentué que par le passé, au moment même où des efforts ont été entrepris pour la freiner, dont le paiement électronique.
La demande de cash durant les deux dernières décennies a connu une croissance annuelle moyenne de l’ordre de 8%, soit le double du taux de croissance moyen du PIB sur cette même période, indique un document de travail intitulé «Estimation du cash non transactionnel au Maroc», publié en décembre 2023 par Bank Al-Maghrib (BAM).
Cette accélération a fait que la circulation de cash équivaut aujourd’hui à près de 30% du PIB, s’est alarmé Abdellatif Jouahri, wali de BAM, lors de la conférence de presse suivant la tenue de la réunion trimestrielle du conseil de la banque, le mardi 25 juin. Cette proportion est l’une des plus élevées au niveau mondial, affirme-t-il. «Ce n’est pas possible !», s’était-il exclamé.
Facteurs culturels, poids de l’informel…
Pourquoi une telle prise de l’ampleur de l’utilisation du cash? Pour l’économiste Zakaria Firano, cela est dû principalement à trois facteurs. Le premier est d’ordre culturel, avec un attachement des gens à l’argent liquide, préféré à d’autres moyens de paiement, surtout avec les contraintes imposées à l’utilisation du chèque.
Le deuxième facteur est le poids économique de l’informel, qui pèserait selon les estimations 30 à 40% du PIB et près de 70% de l’emploi. En effet, explique-t-il, dans ce secteur, on n’utilise que de l’argent liquide dans les transactions. Le troisième est le fait que les avoirs extérieurs, à savoir les recettes touristiques et les transferts des MRE, sont en grande partie transformés en monnaie en circulation.
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Ces facteurs s’ajoutent à d’autres explications. Il s’agit notamment du manque de confiance dans les nouvelles technologies, qui se traduit par des craintes concernant la sécurité et la confidentialité des données personnelles face à la cybercriminalité.
Les auteurs de l’étude publiée par BAM sur le cash non transactionnel avancent également l’explication de la thésaurisation. Ce qu’étaye, selon eux, la hausse «spectaculaire et brusque» de la demande de cash en 2020, du fait de l’incertitude liée à la crise du Covid-19, alors même que «les possibilités d’utiliser le cash dans le cadre de transactions courantes étaient drastiquement réduites par les mois de confinement et de restrictions multiples».
Mobile banking: la formule ne prend pas
Mais ces différentes explications ne sont pas suffisantes, selon Zakaria Firano qui approuve la démarche du wali de la Banque centrale. Ce dernier a en effet demandé à ses équipes dédiées à la recherche de se pencher davantage sur la question. Et ce, en insistant sur la nécessité de la soumettre à une analyse plus poussée, en se posant toutes les questions possibles et en frappant à toutes les portes pour pouvoir avoir une idée précise des facteurs qui expliquent ce phénomène.
En attendant, que faire pour juguler la circulation massive du cash? Les pouvoirs publics et les acteurs misent surtout sur le paiement électronique. Ce qui n’est pas la solution idoine pour Zakaria Firano, qui souligne que cela fait une dizaine d’années que le mobile banking a été lancé, sans que la formule ne prenne.
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Le gouvernement a également eu recours à une incitation fiscale introduite dans la loi de finances de l’année 2020. Il s’agit d’un abattement de 25% applicable à la base imposable, correspondant au chiffre d’affaires réalisé par paiement mobile, par les personnes physiques disposant de revenus professionnels déterminés selon le régime du résultat net simplifié (R.N.S) ou du bénéfice forfaitaire.
De même, on a fait appel à l’éducation financière pour diffuser la culture financière dans la société et lutter ainsi contre la domination du cash. Ce qui est considéré par notre interlocuteur comme une solution plutôt palliative. Pour lui, il faut traiter le problème à la racine, en s’attaquant à ses vraies causes que devront déterminer de manière plus affinée les recherches dans ce domaine.