Paiement: croissance de l’utilisation du cash, aussi irrésistible que difficile à expliquer

La circulation de l’argent liquide dans l'économie marocaine continue de progresser. (Photo d'illustration)

Promotion du paiement électronique, incitations fiscales, éducation financière… Rien ne semble pouvoir freiner l’utilisation massive de l’argent liquide dans les transactions courantes. Le phénomène suscite l’inquiétude de la Banque centrale et des acteurs de l’écosystème des moyens de paiement qui peinent à cerner les facteurs qui l’entretiennent.

Le 06/07/2024 à 12h00

L’utilisation à profusion de l’argent liquide dans les transactions courantes est toujours aussi dominante, continuant à défier tout ce qui a été entrepris pour le brider. La circulation fiduciaire continue, en effet, à connaître une progression à deux chiffres. Au terme des cinq premiers mois de l’année en cours, elle a cru de 10,2% par rapport à la même période de 2023, dépassant les 407,49 milliards de dirhams (MMDH), selon les derniers chiffres publiés par Bank Al-Maghrib (BAM).

Elle reste ainsi sur sa lancée des derniers exercices: la circulation de cash avait progressé de 10,9% en 2023, et de 10,8% en 2022. Le taux de 6,5% en 2021 a presque des allures d’accalmie, surtout comparé à celui de 2020, certes année correspondant à la crise sanitaire du Covid-19, durant laquelle l’augmentation avait culminé à 20,1%!

Cette hausse est d’autant plus préoccupante pour la Banque centrale et les acteurs de l’écosystème des moyens de paiement que son rythme est plus accentué que par le passé, au moment même où des efforts ont été entrepris pour la freiner, dont le paiement électronique.

La demande de cash durant les deux dernières décennies a connu une croissance annuelle moyenne de l’ordre de 8%, soit le double du taux de croissance moyen du PIB sur cette même période, indique un document de travail intitulé «Estimation du cash non transactionnel au Maroc», publié en décembre 2023 par Bank Al-Maghrib (BAM).

Cette accélération a fait que la circulation de cash équivaut aujourd’hui à près de 30% du PIB, s’est alarmé Abdellatif Jouahri, wali de BAM, lors de la conférence de presse suivant la tenue de la réunion trimestrielle du conseil de la banque, le mardi 25 juin. Cette proportion est l’une des plus élevées au niveau mondial, affirme-t-il. «Ce n’est pas possible !», s’était-il exclamé.

Facteurs culturels, poids de l’informel…

Pourquoi une telle prise de l’ampleur de l’utilisation du cash? Pour l’économiste Zakaria Firano, cela est dû principalement à trois facteurs. Le premier est d’ordre culturel, avec un attachement des gens à l’argent liquide, préféré à d’autres moyens de paiement, surtout avec les contraintes imposées à l’utilisation du chèque.

Le deuxième facteur est le poids économique de l’informel, qui pèserait selon les estimations 30 à 40% du PIB et près de 70% de l’emploi. En effet, explique-t-il, dans ce secteur, on n’utilise que de l’argent liquide dans les transactions. Le troisième est le fait que les avoirs extérieurs, à savoir les recettes touristiques et les transferts des MRE, sont en grande partie transformés en monnaie en circulation.

Ces facteurs s’ajoutent à d’autres explications. Il s’agit notamment du manque de confiance dans les nouvelles technologies, qui se traduit par des craintes concernant la sécurité et la confidentialité des données personnelles face à la cybercriminalité.

Les auteurs de l’étude publiée par BAM sur le cash non transactionnel avancent également l’explication de la thésaurisation. Ce qu’étaye, selon eux, la hausse «spectaculaire et brusque» de la demande de cash en 2020, du fait de l’incertitude liée à la crise du Covid-19, alors même que «les possibilités d’utiliser le cash dans le cadre de transactions courantes étaient drastiquement réduites par les mois de confinement et de restrictions multiples».

Mobile banking: la formule ne prend pas

Mais ces différentes explications ne sont pas suffisantes, selon Zakaria Firano qui approuve la démarche du wali de la Banque centrale. Ce dernier a en effet demandé à ses équipes dédiées à la recherche de se pencher davantage sur la question. Et ce, en insistant sur la nécessité de la soumettre à une analyse plus poussée, en se posant toutes les questions possibles et en frappant à toutes les portes pour pouvoir avoir une idée précise des facteurs qui expliquent ce phénomène.

En attendant, que faire pour juguler la circulation massive du cash? Les pouvoirs publics et les acteurs misent surtout sur le paiement électronique. Ce qui n’est pas la solution idoine pour Zakaria Firano, qui souligne que cela fait une dizaine d’années que le mobile banking a été lancé, sans que la formule ne prenne.

Le gouvernement a également eu recours à une incitation fiscale introduite dans la loi de finances de l’année 2020. Il s’agit d’un abattement de 25% applicable à la base imposable, correspondant au chiffre d’affaires réalisé par paiement mobile, par les personnes physiques disposant de revenus professionnels déterminés selon le régime du résultat net simplifié (R.N.S) ou du bénéfice forfaitaire.

De même, on a fait appel à l’éducation financière pour diffuser la culture financière dans la société et lutter ainsi contre la domination du cash. Ce qui est considéré par notre interlocuteur comme une solution plutôt palliative. Pour lui, il faut traiter le problème à la racine, en s’attaquant à ses vraies causes que devront déterminer de manière plus affinée les recherches dans ce domaine.

Par Lahcen Oudoud
Le 06/07/2024 à 12h00

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les billets et pièces de banque centrale ( M1) est la monnaie par excellence et elle est l'attachement de la population a un symbole de l' état dans une conjoncture socio economique en perte de repères et assez troublante c 'est un signe assez fort de loyauté et de confiance sur la masse monetaire M1. Et d 'identité nationale

Malgré les incitations en faveur de la « formalisation » des transactions, les citoyens ne peuvent pas ne pas retenir l’agressivité de l’administration fiscale sur le formel. Tant que les redressements arbitraires seront la norme, la défiance restera. La fiscalité doit être perçue comme juste pour générer le respect. Force est de constater que le citoyen marocain ne semble pas constater une telle justice.

J'ai deux observations. 1) J'avais un ami artiste, très riche, milliardaire en MAD, qui ne touchaient jamais les billets. En effet, il considérait que le papier des billets est un facteur de transmission de tous les microbes. En effet, il pensait à celui qui crachait, celui qui se grattait le postérieur, celui qui est enrhumait ... 2) J'ai ami MRE qui a déposé 1000 MAD sur un son compte à peine ouvert. 1 ans plus tard, il ne lui restait que 700 MAD. Quand il a demandé des explications au responsable de l'institution. la réponse de ce dernier choquante, fut formulé ainsi : "30 % de la masse sert à la gestion du compte!" Pour que l'observation 2) soit compatible avec la 1), il faudrait rectifier la législation concernant les frais des agences bancaires et les agios,..

vous exagerez il faut payer les frais quand meme

... La sécurité, mon cher !! Le cash est fiable (un"billet de banque", il n'ya que ça de sûr ) ... ne dépend ni de connexion ni de courant éléctrique ... et puis, avec toutes les arnaques sur les applications de paiement ... non, Merçi. ... le chèque (modernisé & sécurisé par un contrôle immédiat au TPE ) peut constituer une alternative viable ...!!

"Le phénomène suscite l’inquiétude de la Banque centrale et des acteurs de l’écosystème des moyens de paiement" Ces gens sont incapables de répondre à une question simple. Quel est l'intérêt pour le marocain lambda d'utiliser vos produits ? Répondez. Je vous met au défi de répondre. Ces entreprises de "paiement par téléphonie" ne marcheront jamais. Jamais. Ceux qui les ont fondé ont juste voulu imiter certains pays africains, sans jamais prendre le temps d'utiliser leur cerveau

Sans doute aussi que les frais facturés par les banques (frais de tenue de compte, frais sur cartes bancaires, cartes à débit immédiat etc.) effraient et pénalisent les consommateurs.

En Allemagne, ils sont historiquement habitués à utiliser du cash pour leurs achats et il n existe pas de plafond. En France, il y a un plafond de paiement en cash fixé à 1 000 euros.....les allemands ne sont pas bêtes....car on sait que tout paiement par carte ou sur internet génère des contrôles voire des piratages de cartes...moi perso, j utilise au maximum du cash pour ne pas avoir à utiliser des machines et comme cela on ne sait pas comment je dépense mon argent . Je suis pour le cash et je pense que la majorité des gens sont comme cela.....sauf une partie des nouvelles générations jeunes boboiser en général plutôt friqués qui ont moins besoin de compter..et quand vous avez du cash vous pouvez donner l aumône aux pauvres qui n ont pas de machines cartes bleues.

Bonjour, Les raisons évoquées dans l'article pour, diminuer la circulation du cash, ne sont en effet que partielles. Je ne suis pas spécialiste, en circulant au Maroc, on se rend très vite compte du problème, de fait, je suis étonné que des gens qui vivent sur place, hésitent à en parler. Dans un hôtel, un restaurant, ou même un guichet (ONCF, CTM, agences de voyage, location de véhicules...), les cartes bancaires sont très mal vues. Les responsables mettent en avance un sur- coût, le client s'incline ? Les banques elles-mêmes, n'encouragent pas l'utilisation d'autres moyens de paiement que le liquide, pourquoi ? N'importe quel marocain, connait cette problématique, je suis donc étonné que des responsables, biens informés, n'évoquent pas cela. Dommage pour les caisses de l'Etat.

Vous avez dit l'informel. J'ajouterai volontiers la corruption. Je suis sûr que des milliards en espèces sont cachés ... La solution que je préconise est que chaque années, au plus, le Wali de Bank Al Maghrib met en circulation une nouvelle série de billets annulant ainsi l'ancienne... Ainsi, au bout de 3 ans, l'argent de la corruption sortira de sa réserve. Enfin, un autre mécanisme qui responsabiliserait chaque commerçant, serait de doter gratuitement, d'un lecteur de carte bancaire chaque enseigne....

Les causes de l'utilisation du cach sont les suivantes : Les clients des banques ont peur duvol de leur argent par la cyber criminalité. Les banques demandent des frais pour les virements (en France, c'est gratuit). Certains clients ne transmettent jamais leur RIB, par de se faire arnaquer. Voilà le tour de la question monsieur Jouahri.

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