Coup dur pour les adeptes, de plus en plus nombreux, des appels VoIP gratuits via les applications de voix sur IP (Viber, Skype ou WhatsApp). Après les tentatives unilatérales et à faible impact de Maroc Télécom, les trois opérateurs des télécommunications marocains – Maroc Telecom, Inwi et Méditel– se sont, apparemment, entendus cette fois-ci pour agir ensemble en bloquant les appels VoIP touchant aussi bien Viber, Skype que WhatsApp. En tout cas, le blocage est total sur les réseaux 3G et 4G des trois opérateurs. Seule exception, celle du wifi qui fonctionne par intermittence. Mais pour combien de temps encore ?
Y a-t-il des voies de recours face à ce blocage ? La réponse est a priori non. En effet, selon la réglementation de l’Agence nationale de réglementation des télécommunications (ANRT/DG n°04-04), relative au statut de la téléphonie sur IP et qui traite aussi bien le volet exploitation commerciale pour le public que le transport pour tiers du trafic, ces services d’appels ne peuvent être offerts que par des opérateurs détenteurs de licences. Or, si les trois opérateurs marocains disposent des licences, ce n’est pas le cas des autres acteurs de l’économie numérique implantés dans d’autres pays et qui tirent pleinement profit de ces nouvelles technologies.
Enorme manque à gagnerIl ne faut pas perdre de vue que la principale raison de ce blocage est d’ordre pécuniaire. En effet, les appels gratuits via les applications Viber, Skype et WhatsApp détournent du trafic à l’international et occasionnent un énorme manque à gagner pour les opérateurs télécoms qui ont débloqué plusieurs milliards de dirhams pour acquérir des licences 2G, 3G et maintenant 4G.
D’ailleurs, dans le cadre de la «Note d’orientation générale» visant le développement du secteur des télécommunications à l’horizon 2018, le gouvernement s’est fixé comme objectif d’endiguer la baisse du chiffre d’affaires du secteur occasionné par la baisse des tarifs et le «recours de plus en plus important aux applications de type OTT –Over the top (Viber, Skype, WhatsApp, etc.) qui risque d’impacter durablement les revenus des opérateurs et affaiblissant, de ce fait, leurs capacités d’investissements».
10 milliards de dirhams de taxes et impôtsBref, les opérateurs ont presque la bénédiction de l’Etat qui prêche aussi pour sa paroisse. Ces nouveaux trafics occasionnent effectivement un manque à gagner pour l’Etat qui perçoit moins de recettes fiscales du fait du détournement d’une partie du trafic devant revenir aux opérateurs locaux. Or, les recettes générées annuellement par les opérateurs télécoms sous forme d’impôts et diverses taxes dépassent largement les 10 milliards de dirhams.
Si le consommateur est gagnant, avec des appels gratuits via ces applications, ce sont surtout les nouveaux acteurs opérateurs de l’économie numérique qui se font du beurre sur le dos des opérateurs télécoms. En effet, ces acteurs, localisés dans des pays développés, tirent des bénéfices indirects des clients qu’ils recrutent avec des impacts indéniables sur leur chiffre d’affaires et surtout sur leur valorisation en bourse. C’est ainsi qu’on comprend que WhatsApp, une application offrant un service gratuit mais qui compte des centaines de millions d’utilisateurs, soit vendue à Facebook à 19 milliards de dollars ! En fait ce que WahsApp a vendu, c’est la base client des opérateurs télécoms.
Des coûts de communication à l’international très élevés
Reste que pour le consommateur, c’est un coup dur, d’autant plus que les coûts de communication à l’international, notamment vers certaines destinations, sont encore très élevés. Du coup, si la décision prise par les opérateurs est globalement légitime, il n’en demeure pas moins qu’ils doivent aussi tenir compte de l’évolution du marché, de la digitalisation et donc essayer de chercher une parade salutaire. L’évolution de ce marché ne permettra pas des retours en arrière et les opérateurs télécoms doivent composer avec cette réalité.
Enfin, notons aussi que la montée du terrorisme pousse de plus en plus d’Etats à forcer les citoyens à utiliser des moyens de communication mieux contrôlés localement. Ceci pour également expliquer cela.