«Faisant suite à la réunion que nous avons présidée à cette fin, le gouvernement a élaboré le projet “Offre Maroc” pour l’hydrogène vert. À cet égard, nous engageons le gouvernement à entreprendre la mise en œuvre rapide et qualitative de ce projet, de manière à valoriser les atouts dont dispose notre pays en la matière et à répondre au mieux aux projets portés par les investisseurs mondiaux dans cette filière prometteuse». Cet extrait du discours prononcé par le roi Mohammed VI, le 29 juillet 2023, à l’occasion de la Fête du Trône, sonne comme une piqûre de rappel que le Chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, ne peut ignorer.
Huit mois plus tôt, lors d’une réunion de travail consacrée aux énergies renouvelables, le Souverain avait donné ses instructions pour la mise sur pied, «dans les meilleurs délais», d’une «Offre Maroc» opérationnelle et incitative, couvrant l’ensemble de la chaîne de valeur de la filière de l’hydrogène vert. Outre le cadre réglementaire et institutionnel, celle-ci devrait comprendre un schéma des infrastructures nécessaires.
Depuis, plus de deux années se sont écoulées, sans le moindre résultat concret sur le terrain. Ladite «Offre Maroc» connaît indubitablement un retard à l’allumage, alors qu’il n’y a pas si longtemps, les investisseurs étrangers se bousculaient au portillon pour manifester leur intérêt.
De 100 à 40 demandes de projets
Le 16 juillet 2024, Leila Benali, ministre de la Transition énergétique, et du Développement durable, annonçait devant le parlement que près d’une centaine d’investisseurs, nationaux et internationaux, étaient intéressés par l’«Offre Maroc». Un chiffre drastiquement revu à la baisse un mois et demi plus tard, par on ne sait quel miracle: le 29 août 2024, la présidence du gouvernement sortait de son silence pour raboter le nombre à 40 demandes de projets, soit 40% des projections «optimistes» du ministère de tutelle.
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Dans une étude publiée en janvier 2024, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a parié sur une augmentation «plus lente que prévu» de la production d’hydrogène vert dans le monde. «45 GW de nouvelles capacités de production d’hydrogène vert seront opérationnels d’ici la fin de 2028, soit seulement 7% de ce que les précédentes projections prévoyaient», constate son rapport, intitulé «Renewables 2023: Analysis and Forecast to 2028». Pire: si l’on examine les projets à horizon 2030, l’AIE estime que sur les 360 GW annoncés, seuls 12 GW sont en cours de construction ou ont atteint une décision finale d’investissement. «La lenteur de prise de décision et l’inflation des coûts de construction des nouvelles installations sont à l’origine de ce retard», indique le même document.
Incompréhensibles retards
Au Maroc, on est encore loin d’une quelconque décision finale d’investissement. La lenteur du processus d’approbation des projets paraît excessive, pour ne pas dire quelque peu étrange. Alors qu’il y a désormais un large consensus sur le fait que l’hydrogène vert est l’énergie du futur, et que la filière figure parmi les relais de croissance prioritaires de l’économie marocaine. Sur les 40 demandes soumises à l’appréciation du comité de pilotage chargé de l’«Offre Maroc», présidé par le chef du gouvernement, aucun projet n’a encore vu le jour. Cette nonchalance à concrétiser sur le terrain un dossier stratégique est d’autant plus incompréhensible que le Maroc est souvent cité parmi les pays les mieux positionnés dans le monde, disposant d’atouts considérables, dont sa proximité de l’Europe et l’abondance de l’énergie solaire et éolienne.
Pour y voir plus clair, Le360 a sollicité les avis et commentaires de plusieurs parties prenantes, entre énergéticiens, développeurs et experts. Tous sont unanimes à penser que le positionnement stratégique dont jouit le Maroc risque d’être vain en raison de retards injustifiés. Car entretemps, ses concurrents l’ont déjà devancé, conformément au principe du «premier arrivé, premier servi».
«Des pays comme l’Égypte, l’Arabie Saoudite et Oman ont pris une longueur d’avance en signant des partenariats internationaux et en lançant de gros projets. Cependant, ces projets en sont souvent à des étapes préliminaires, et la compétition se joue également sur la capacité à développer des écosystèmes durables, au-delà des annonces initiales», affirme le dirigeant d’une firme européenne ayant soumissionné à l’«Offre Maroc».
Pour autant, poursuit-il, un retard prolongé pourrait entraîner un risque de perte du positionnement stratégique en tant que hub énergétique régional, dans un contexte où la course à l’hydrogène vert s’intensifie au niveau mondial. «Les impacts pourraient se mesurer en termes de compétitivité économique, d’attractivité des investisseurs et de création d’emplois dans ce secteur clé», enchaîne-t-il.
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Ce retard risque aussi de saper tous les efforts entrepris par les acteurs de l’écosystème de l’hydrogène vert, bien avant la sortie en février 2024 de la circulaire de mise en œuvre de l’«Offre Maroc». «Après l’adoption de la loi de finances 2024, qui promettait un cadre incitatif et des opportunités uniques, plusieurs développeurs nationaux et internationaux ont soumis leurs propositions au gouvernement, via l’Agence marocaine pour l’énergie durable (Masen)», souligne cet expert énergéticien qui a pris part au développement d’un projet d’hydrogène vert dans le Sahara marocain.
Longue phase de latence
Ces demandes incluaient notamment des projets pilotes exploitant l’énergie solaire et éolienne dans des régions stratégiques comme Ouarzazate, Tarfaya et Laâyoune, ainsi que des plans d’infrastructure pour produire et exporter de l’hydrogène vert et ses dérivés (ammoniac vert, méthanol vert), détaille-t-il. Il s’agit aussi de solutions intégrées incluant des partenariats internationaux avec des acteurs européens et asiatiques.
«Mais après cet enthousiasme de départ, les développeurs ont été confrontés à une phase de latence prolongée, le gouvernement n’ayant toujours pas finalisé la sélection des projets ni donné un calendrier clair et précis pour leur mise en œuvre», regrette notre interlocuteur.
«Ces retards peuvent s’expliquer par le souci d’assurer une structuration solide des projets, de garantir leur compétitivité économique et d’intégrer une approche inclusive avec les parties prenantes locales», tente de justifier ce haut fonctionnaire, fin connaisseur des rouages de l’investissement dans les énergies renouvelables.
Selon lui, Masen, chargé d’examiner et de valider les projets, semble adopter une approche prudente et méthodique pour sélectionner les propositions. Cela dit, «bien que cette stratégie vise à garantir la viabilité des projets retenus, elle entraîne des retards importants qui frustrent les investisseurs», reconnaît-il.
Une bureaucratie trop lourde
Parmi les griefs évoqués, un chef d’entreprise pointe une «bureaucratie trop lourde», notamment en ce qui concerne les autorisations administratives, ainsi qu’un flou persistant concernant les incitations fiscales et les garanties sur les contrats d’achat d’énergie (PPA). «Ces incertitudes freinent les engagements financiers nécessaires pour démarrer les travaux», déplore-t-il, se disant déçu par «la complexité» de la coordination, autour de Masen, de plusieurs parties prenantes, dont les ministères, les autorités locales et les partenaires internationaux. Cette collaboration complexe, appuie-t-il, ralentit la validation et la mise en œuvre des projets.
Les conséquences de ce climat d’attentisme pourraient être désastreuses. «Les développeurs ayant mobilisé des fonds significatifs pour concevoir leurs propositions commencent à s’impatienter. Cette incertitude prolongée pourrait pousser certains investisseurs à se retirer ou à rediriger leurs efforts vers d’autres marchés plus réactifs, comme l’Arabie Saoudite ou la Namibie», met en garde, sous le couvert de l’anonymat, cet universitaire membre du Cluster marocain de l’hydrogène vert Green H2.
Et d’ajouter: «Les ambitions marocaines de devenir un leader de l’hydrogène vert reposent sur une mise en œuvre rapide des projets pour capitaliser sur la demande croissante, notamment en Europe. Chaque mois de retard réduit les chances du Maroc de se positionner comme un acteur clé sur ce marché compétitif». L’attente prolongée pourrait ainsi entacher la réputation du Maroc en tant que destination d’investissement, dissuadant de futurs projets dans d’autres secteurs liés aux énergies renouvelables.
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Pour remédier à cette situation et éviter que l’«Offre Maroc» ne pâtisse de la nonchalance de l’exécutif, nos interlocuteurs appellent le gouvernement à définir un calendrier clair et précis pour la validation des propositions, garantissant transparence et visibilité pour les développeurs.
Dans le même ordre d’idées, afin de rassurer les investisseurs, nombre de nos interlocuteurs appellent le gouvernement à finaliser, dans les plus brefs délais, les textes régissant les contrats d’achat, les incitations fiscales et les règles d’exportation. Et côté financement, ajoute-t-on, des mécanismes hybrides, associant fonds publics marocains et investissements privés internationaux, doivent être activés pour soutenir les projets en attente.
À qui profite le retard?
Bien que l’«Offre Maroc» ait suscité un fort intérêt et des propositions ambitieuses de la part des investisseurs, l’attente prolongée des développeurs met en lumière des failles dans la gestion et la coordination du projet.
Le Maroc dispose des ressources naturelles et des partenariats nécessaires pour devenir un acteur clé de l’hydrogène vert. C’est au gouvernement de prouver sa capacité à transformer cette ambition en réalité. Car sans une réponse claire et des décisions rapides, le Royaume risque de perdre de sa crédibilité et de voir lui échapper des opportunités majeures. En un mot comme en mille, la balle est désormais dans le camp du gouvernement pour relancer cette initiative stratégique.
Malheureusement, les propos récemment tenus par la ministre de la Transition énergétique devant le parlement sont tout sauf rassurants. «Si l’offre marocaine en hydrogène vert ne répond pas aux standards de compétitivité d’ici 2030, nous cesserons sa production (…) Cela ne vaudrait pas la peine d’engager l’argent des contribuables, surtout si cette production est destinée à l’export», a-t-elle déclaré le 21 janvier devant la commission des infrastructures et de l’énergie de la Chambre des représentants.
Vingt-six mois après le discours royal appelant à la mise en œuvre rapide de l’«Offre Maroc», la ministre de tutelle semble envoyer un message décourageant aux acteurs de la filière, affirmant clairement que la priorité sera accordée aux projets liés à l’infrastructure gazière. Un rétropédalage qui ne dit pas son nom et qui ne manquera surtout pas de raviver les soupçons de conflits d’intérêts qui pèsent sur le chef du gouvernement. Car, ne l’oublions pas, Afriquia Gaz, filiale d’Akwa, la holding fondée par Aziz Akhannouch, n’est autre que le distributeur exclusif du gaz issu des gisements de Tendrara.