La réouverture de l’école de formation, l’alignement de la couverture médicale du personnel de RAM Express à celle offerte à la RAM, un repos de 4 jours tous les mois, etc. La liste des revendications des membres de l’Association marocaine des pilotes de ligne (AMPL) est longue. Mais le cœur du conflit, il ne faut pas s’y tromper, c’est sans conteste la revalorisation salariale. On l’aura compris, sans augmentation, point de paix sociale.
Ils ont beau le nier, prétextant avoir suffisamment donné de temps au temps, le timing est minutieusement choisi pour enclencher le mouvement. La haute saison touristique est propice à mettre la pression et forcer le management de l’entreprise publique à céder sur le dossier des salaires.
Au moment où le gouvernement s’apprête à planifier la Loi de finances 2019, un budget aux allures de casse-tête au vu des incertitudes qui pèsent sur la conjoncture économique, les pilotes de la RAM décident de suspendre la flexibilité dont ils ont toujours fait preuve dans le choix des horaires de travail, quitte à ce que leur comportement entraîne des annulations de vols en cascade, empêchant des milliers de clients, nationaux et étrangers, de jouir de leurs vacances annuelles. Tout cela pour une histoire de revalorisation salariale.
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«La revalorisation salariale, nous y tenons. Car, depuis plus d’une décennie, nous n’avons bénéficié d’aucune augmentation. Si nos salaires ont pu augmenter en valeur absolue, c’est parce que notre productivité a explosé et que nous avons travaillé plus d’heures. Le contrat-programme avec l’Etat a fixé une limite de 64 heures de vols bruts par mois. Nous l’avons porté à une moyenne de 73 heures», explique le président de l’AMPL, Amine Mkinsi, qui estime le gain de productivité issu de cet effort fourni par les pilotes à environ 200 millions de dirhams.
Les 540 pilotes que compte la RAM sont-ils sous-payés? Sont-ils dans le besoin pour en arriver à ce stade, au point de prendre en otage des milliers d’usagers d’une compagnie qui commence à peine à sortir de la zone des turbulences financières. L’augmentation de salaire est-elle une question vitale? Ces interrogations amènent à une question plus directe que beaucoup de Marocains se posent en ces temps de «grève déguisée» observée par les membres de l’AMPL: combien perçoivent les pilotes de la RAM et à quoi ressemble au juste leur fiche de paie?
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Interpellé à ce sujet, le bureau de l’AMPL fait une réponse qui relève de l’enfumage et passe à côté des vrais chiffres. Lors d’un point de presse organisé lundi 23 juillet à Casablanca, les journalistes sont restés sur leur faim. C'eut été plus intéressant de détailler les éléments constitutifs du salaire d’un pilote, de tracer l’évolution de ce salaire dans le temps, de présenter un benchmark avec d’autres compagnies et, pourquoi pas, pour plus de transparence, d'afficher la fiche de paie du président de l’AMPL à titre d’illustration. Rien de tout cela n’aura été possible face à l’omerta qui entoure les salaires des pilotes marocains.
Lors dudit point de presse, les journalistes ont eu droit à une réponse toute préparée, manquant surtout de précision: «Le salaire d’un pilote peut aller de 48.000 à 52.000 dirhams… Les pilotes étrangers recrutés par la RAM perçoivent 6.700 euros». Tous les moyens sont bons pour montrer des signes de «précarité relative». Or, les membres de l’AMPL le savent très bien, ces montants communiqués sont loin de refléter le niveau réel de la rémunération du personnel navigant à la RAM.
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Le360 a réussi à obtenir la grille des salaires des pilotes de la RAM, grâce à l’appui d’un ancien haut cadre de la compagnie publique, longtemps engagé dans la cuisine interne de la direction des ressources humaines. En voici les principaux éléments:
Pour un copilote: le salaire varie de 45.000 à 70.000 dirhams par mois.
Pour un commandant de bord: le salaire varie de 90.000 à 135.000 dirhams.
Cela montre que la rémunération d’un pilote reste très variable et dépend de plusieurs facteurs:
- Le nombre de touchés et de posés (nombre d’atterrissages)- Le lieu du déplacement: chaque destination a son propre taux. L’indemnisation peut ainsi varier d’un aéroport à un autre. Exemple: 500 dirhams pour Tanger, 800 dirhams pour Amsterdam, 1.000 dirhams pour Kinshasa, etc.- Le niveau de pénibilité du vol: la prime associée à un vol de nuit est plus importante que celle lors d’un vol de jour.- La prime de panier comprenant les frais de restauration à midi et à minuit (une partie des salaires des pilotes est virée à l’étranger).- La grille se compose de plusieurs classes de salaires- Le chèque de Paris (950 euros)- La cotisation retraite à la CIMR: 6% à la charge du salarié et 12% à la charge de la RAM.
En admettant que les pilotes de la RAM assurent une moyenne de 70 heures de vol tous les mois (l’AMPL indique de son côté une moyenne de 73 heures), on en déduit que:- Les copilotes de la RAM perçoivent en moyenne un salaire net 60.000 dirhams.- Les commandants de bord touchent en moyenne un salaire net de 120.000 dirhams.
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Le 360 a cherché à vérifier la véracité de cette grille auprès de l’AMPL. Résultat: ces chiffres ne sont ni confirmés ni infirmés par l'association. «Le salaire peut descendre en deçà de 48.000 dirhams en période congé, de formation ou de maladie. Comme il peut dépasser 52.000 dirhams en haute saison où nous sommes tout le temps en déplacement», reconnaît un pilote membre du bureau de l’AMPL. Ce dernier soulève au passage «une aberration» concernant la rémunération réservée aux copilotes étrangers auxquels la compagnie a fait appel pour combler le sous-effectif. Sur les 86 postes recherchés, la RAM a pu recruter 26 pilotes étrangers, bénéficiant de contrats à durée déterminée (CDD), avec un salaire fixe mensuel de 6.700 euros, et ce, quel que soit le nombre d’heures de vols, tient-on à préciser du côté de l’AMPL. Les pilotes marocains laissent ainsi entendre que même si leur rémunération peut paraître proche à celle observée chez d’autres prestigieuses compagnies internationales, ce serait en lien avec le nombre d’heures travaillées. Selon l’AMPL, l’indicateur «Cockpit Cost per Block Hour», mesurant le coût horaire d’un pilote de ligne, se situerait à un niveau relativement bas à la RAM.
Travailler moins en gagnant plus. C’est ainsi que se résume ce nouveau mouvement de protestation qui dure depuis plus de dix jours, entraînant plus de 80 vols annulés. Aux dernières nouvelles, une semaine après la reprise du dialogue, la direction de la RAM aurait déjà cédé sur la question des salaires. Ceux-ci seront augmentés de 15.000 dirhams pour les commandants de bord et de 10.000 dirhams pour les copilotes, selon un échéancier de 5 ans réparti sur trois tranches. «Les montants sont tranchés, mais le dialogue bute encore sur les modalités annexes», nous confie un pilote, sans préciser la nature du motif à l’origine du blocage frappant ce énième round de négociation entre l'AMPL et la RAM.