Dans un contexte de fortes tensions inflationnistes, Bank Al-Maghrib relèvera-t-elle, ou non, son taux directeur? La question taraude, depuis plusieurs semaines, les professionnels du marché, et plusieurs départements recherche de banques d’affaires marocaines ont tenté d'y répondre.
Cette semaine, les départements dédiés à la recherche de trois banques d’affaires ont privilégié le maintien du taux directeur à son niveau actuel, de 1,5%: il s’agit de CDG Capital Insight, de BMCE Capital Global Research et de Valoris Securities, qui ont toutes tablé sur un statu quo de la politique monétaire.
Par ailleurs, un sondage réalisé par Attijari Global Research, montre que les investisseurs financiers sont favorables à une stabilité du taux directeur de Bank Al-Maghrib (BAM).
Une inflation «importée» et une croissance à soutenirPour l’équipe recherche de CDG Capital, au moins deux éléments militent pour le maintien du taux directeur à son niveau actuel: il y a d’abord l’origine des tensions inflationnistes, qui seraient essentiellement importées, «limitant ainsi, l’effet d’une action restrictive de la politique monétaire sur la maîtrise de l’inflation». Ainsi, l’inflation constatée actuellement n'est pas d’origine «monétaire» et n’émane pas, par conséquent, d’un accroissement de la demande des ménages, estiment les analystes de CDG Capital Insight.
Dans ce contexte, une hausse du taux directeur n’aurait qu’un impact marginal sur la hausse des prix.
Lire aussi : Taux directeur, inflation, croissance... Les enjeux du prochain Conseil de Bank Al-Maghrib
Il y a ensuite la nécessité de continuer à soutenir la croissance, par une politique monétaire accommodante, dans un contexte où «les conditions de relance post-crise Covid-19 restent fragiles et entourées d’incertitudes».
Même avis, en ce qui concerne les équipes de BMCE Capital Global Research (BKGR) lesquelles, dans une note récente, privilégient le maintien, en juin par Bank Al-Maghrib (BAM), des conditions de sa politique monétaire, avec un taux directeur et une réserve obligatoire à 1,5% et 0% respectivement.
En ce qui concerne la croissance proprement dite, les analystes de BKGR soulignent que l’élan de 2021 se retrouve malencontreusement freiné en 2022 par «la survenance d’une rude sécheresse ayant affecté la production agricole, et par les effets induits à l’international par la déclaration des hostilités de guerre entre la Russie et l’Ukraine».
En ce qui concerne les prix, la reprise de l’activité économique et l’accommodation des conditions monétaires n’ont pas pu freiner l’inflation importée qui reste à des niveaux record depuis le début de l’année. «Pour le moment, il est clair que cette hausse des prix n’est aucunement d’origine monétaire», explique BKGR.
Maintenir la cadence du crédit bancaireLa banque d’affaires indépendante Valoris Securities privilégie elle aussi un statu quo de la politique monétaire de BAM. Dans une note diffusée cette semaine, Valoris Securities fait valoir la nécessité de continuer à soutenir la distribution de crédit bancaire, principale source de financement de l’économie au Maroc.
La banque d’affaires estime par conséquent qu’une hausse du taux directeur lors de la prochaine réunion du Conseil de Bank Al-Maghrib semble peu probable, compte tenu de plusieurs éléments, dont le poids significatif du financement bancaire pour l'économie, «rendant toute décision de rehaussement des taux pénalisante pour l'ensemble des agents économiques».
Lire aussi : Entretien avec l’économiste Yasser Tamsamani: faut-il s’inquiéter de l'inflation galopante au Maroc?
Une hausse du taux directeur, estime les analystes de Valoris Securities, serait de nature à freiner la distribution de crédits et à accentuer le poids des impayés dans le secteur bancaire. «Toute hausse des impayés devrait être suivie d'un resserrement des banques en terme de distribution des crédits, ce qui amplifierait la dégradation de la situation économique et sociale du pays: hausse du chômage et faillite des entreprises...», indique-t-on.
Valoris Securities évoque également le bon comportement des transferts en devises des MRE, qui limite pour l’instant toute détérioration du dirham, allégeant ainsi la pression sur la Banque centrale.
Sondage: 63% des investisseurs anticipent un statu quoLes prévisions de ces banques d’affaires en faveur d’un statu quo sont corroborées par un sondage réalisé cette semaine par Attijari Global Research (AGR) auprès d’un échantillon de 35 investisseurs, considérés parmi «les plus influents du marché financier marocain».
«Au terme de cet exercice, le consensus des investisseurs financiers plaide pour une stabilité du taux directeur de BAM», affirment les experts d’AGR . Toutefois, nuancent-ils, «les anticipations de la hausse du taux directeur sont de plus en plus visibles au niveau des réponses obtenues».
Ainsi, 63% des investisseurs sondés anticipent un statu quo du taux directeur de BAM au terme de son prochain conseil, contre 88% précédemment.
Lire aussi : Abdelghani Youmni, économiste: «Public et privé doivent s’associer pour amortir les effets de l’inflation»
A l'analyse des réponses obtenues par catégories d'investisseurs, les analystes d'AGR relèvent des avis «divergents», entre, d’une part, les institutionnels locaux, et, d’autre part, les investisseurs étrangers, faisant observer que la part des institutionnels locaux anticipant un statu quo du taux directeur ressort à 94%. La part des investisseurs étrangers anticipant une hausse du taux directeur ressort, quant à elle, à 83%.
Rappelons que la politique monétaire accommodante actuellement à l’œuvre au Maroc avait été décidée lors du déclenchement de la crise sanitaire début 2020 et ses impacts dévastateurs sur la croissance économique. Il s’agissait alors de soutenir, quoi qu’il en coûte, l’activité économique, puis sa relance, en abaissant le coût de l’argent, pour, in fine, encourager la consommation et l’investissement.
En 2020, BAM avait ainsi baissé à deux reprises le taux directeur, en mars, puis en juin, en le ramenant de 2,25% à 1,5%, soit son taux le plus bas encore jamais enregistré dans le Royaume.