Comparaison n’est pas raison, mais les autorisations d’effectuer les tests PCR ont tourné à la new-wave des «grimates» de l’ère post-coronavirus. Du moins, la gestion du processus et de la tarification appliquée à ces tests constituent un des baromètres pour mesurer l’incompétence de Khalid Aït Taleb, le ministre de la Santé, qui n’a pas su suivre le chamboulement du marché de la santé, suite au cataclysme provoqué par la pandémie du Covid-19. Le médecin-en-chef qui s’apprête à rendre sa blouse avec la fin de cette législature, fait d’ailleurs toujours l’objet d’une enquête parlementaire sur les irrégularités de certains marchés publics octroyés dans la hâte suite à l’instauration de l’état d’urgence. Et là, c’est le Conseil de la concurrence qui l’épingle sur la gestion du circuit des tests.
Les conclusions de l’avis tout récemment rendu par cette institution constitutionnelle donnent une idée sur l’ampleur du gâchis: «une pénurie artificielle au niveau de l'offre» des tests PCR a été créée par la gestion calamiteuse du département de la Santé, alors que la demande «n’a cessé d’augmenter (…) ce qui a engendré des dysfonctionnements au niveau du marché des tests Covid-19» , soutient le Conseil présidé depuis mars dernier par Ahmed Rahhou. «Les prix des tests RT-PCR du Covid 19 n'ont connu aucune baisse depuis le début de la pandémie, malgré l’évolution de l'offre sur le marché et la baisse des coûts aux niveaux national et international», explique-t-on encore dans cet avis 2-21 du Conseil de la concurrence, rendu public.
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Cette instance a été sollicitée par le ministère des Finances qui a décidé de réglementer le prix des tests PCR fin août, et qui devait par la force de la loi avoir l’aval du Conseil de la concurrence. L’institution a ainsi été saisie en date du 31 août et devait rendre son verdict dans un délai réduit, puisqu’il s’agissait là d’une urgence. L’étude menée en moins d’une semaine a néanmoins permis de révéler bien des vérités.
Un an pour fixer un tarif publicUne situation oligopolistique a été créée par des exigences surdimensionnées du ministère de la Santé, qui a permis à des laboratoires de biologie de tirer profit d’une sur-marge que l’on peut estimer à 2 milliards de dirhams. Et pour cause, les 8,6 millions de tests PCR effectués depuis le déclenchement de la pandémie (jusqu’au 20 septembre) ont coûté en moyenne dans les 700 dirhams, soit environ un chiffre d’affaires global de 6 milliards de dirhams. Ce tarif unitaire supposé n’est pas anodin: il correspond au prix estimé par le Conseil de la concurrence qui souligne qu’il représente «un surprix de 35,7% par rapport au prix de référence négocié».
En effet, l’Agence Nationale d’Assurance Maladie, et les caisses de prévoyance et de protection sociale (CNOPS et CNSS) ont déployé un effort considérable afin de déterminer, de concert avec les professionnels du secteur, une tarification nationale de référence. Celle-ci devait servir de base de remboursement des dépenses relatives aux tests de Covid-19, au profit des assurés de l’Assurance Maladie Obligatoire (AMO). Ce processus de négociation a certes abouti, le 28 octobre 2020, à un accord pour réduire le prix du test RT-PCR dans le secteur privé de 750 à 450 DH. Sauf qu’il a connu «des perturbations et difficultés administratives qui ont fait que cet accord n’a pas été mis en œuvre à ce jour», souligne le Conseil de la concurrence.
«La situation épidémiologique et les contraintes de déplacement faisaient de ces tests une nécessité, alors les quelques laboratoires agréés se retrouvaient en position de force lors de ces négociations», nous confie une source de la CNOPS. «Nous n’avons pas été suffisamment soutenu par le ministère de la Santé pour arrêter ce prix de référence, alors que le gouvernement aurait pu se montrer ferme et réglementer plus tôt ces prix comme il l’avait fait pour les gels hydro-alcooliques», poursuit cette même source.
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Même si elle ne concerne que les bénéficiaires du régime de l’Assurance Maladie Obligatoire (AMO), cette tarification de référence aurait pu servir d’indicateur aux laboratoires privés d’analyse biomédicale pour aligner leurs prix publics. Sa non-application a du moins «contribué au maintien du niveau élevé des prix appliqués par les laboratoires privés», comme elle «a porté atteinte au pouvoir d’achat des consommateurs», a engendré des surcoûts pour les entreprises «qui affecte leur compétitivité», sans parler du «fait que le caractère élevé de ces prix a privé une grande partie des citoyens d'accéder à ces services», énumère le Conseil de la concurrence.
Contraintes incohérentesL’accès au marché des tests du Covid-19 est resté, pendant les 10 premières semaines de la pandémie, exclusivement réservé aux laboratoires publics. Ce n’est que le 4 juin 2020 que des laboratoires privés d'analyses biomédicales sont autorisés à effectuer des dépistages, sous conditions d’un cahier des charges détaillé, établi par le ministère de la Santé. La barre des exigences techniques, logistiques et humaines requises, a été placé assez haut, et de manière disproportionnée.
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«Pourquoi fixer des contraintes aux laboratoires agréés, comme avoir une entrée et sortie séparée, alors que partout dans le monde, les personnes voulant se faire tester patientent dans des salles d’attentes normales. Le comble de l’incohérence, c’est qu’après avoir été diagnostiqué positif, le patient est envoyé pour effectuer un scanner thoracique pour lequel il n’y avait aucun dispositif particulier de prévention prévu alors qu’il y a, du coup, plus de risque de contamination», se demande un connaisseur du secteur. «Nous avons dû subir plusieurs visites de commissions qui duraient des heures avant d’obtenir l’agrément. N’étaient les investissements que j’ai déjà engagés, j’aurais abandonné le processus», confirme le propriétaire d’un laboratoire qui soutient avoir dépensé dans les 500.000 dirhams pour les équipements nécessaires à ce genre de tests.
Marché verrouilléCes contraintes jugées disproportionnées ont eu pour effet d’exclure un grand nombre de laboratoires privés de ce marché. C’est ainsi qu’entre juin et septembre 2020, une dizaine de laboratoires seulement ont été autorisés, soit à peine 1.6% du total des laboratoires privés d’analyses biomédicales. Ce nombre va progresser timidement, même après le 12 septembre 2020, quand la version initiale du cahier des charges a été revue et modifiée, par une nouvelle circulaire du ministre de la Santé. Ce n’est qu’un an plus tard, le 23 août dernier, qu’une nouvelle révision des exigences a permis d’ouvrir davantage le marché. On compte depuis cette date quelque 171 laboratoires autorisés, un chiffre qui représente 28% du nombre de laboratoires que compte le Royaume.
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Pour le Conseil de la concurrence, le constat est sans appel: «il apparaît évident que la demande croissante sur les tests de dépistage, due à l'augmentation constante des cas enregistrés des personnes atteintes par le Covid-19, ne s'est pas accompagnée d'un élargissement suffisant et soutenu de l’offre sur le marché concerné». Autrement dit, les restrictions n'ont pas permis de mobiliser toutes les capacités et potentialités disponibles dont dispose le secteur privé des laboratoires d’analyses biomédicales. Et surtout de faire jouer la concurrence.
Cette situation de pénurie artificielle s’est traduite par l’augmentation des prix pratiqués par les laboratoires privés d’analyses biomédicales, ou du moins l’absence de leur baisse, malgré la baisse des prix des intrants, notamment les réactifs et consommables, en plus de la diminution des coûts liés à l’amortissement des équipements, qui n’ont pas été répercutés par certains laboratoires. Aujourd’hui, la main sur le cœur, ils affirment que leurs marges étaient des plus correctes. Pourtant, ils vont bien devoir appliquer le tarif du test PCR, désormais réglementé à 400 dirhams.