L’inflation a rarement une cause unique, elle est souvent la combinaison de facteurs multiples qui s’alimentent et se renforcent mutuellement. On est probablement en présence d’une inflation à la fois importée, par les coûts, par la demande et par l’excès de masse monétaire. Toutefois, les effets du dérèglement climatique et leur impact sur l’économie la rendent singulière.
En effet, la récurrence des désastres naturels et la sécheresse qui s’installe dans nos contrées et s’étend désormais à des pays du Nord ont un coût de plus en plus exorbitant pour les économies en alimentant l’inflation et en obérant les budgets des Etats.
Mais l’inflation peut se révéler une aubaine pour les Etats endettés puisqu’elle dévalorise le stock et le service de la dette. Elle peut aussi nous encourager et nous pousser à revoir nos habitudes de consommation, d’aller vers plus de sobriété et de frugalité, vers plus de qualité. Cependant, elle devient très vite un fardeau pour les ménages et les populations vulnérables, notamment quand elle renchérit les denrées alimentaires et les produits agricoles, même si la solidarité, forte dans notre société, permet d’en atténuer les effets. Dans ce cas précis, l’augmentation des prix risque de durer. La sécheresse, qui n’est plus un phénomène cyclique, est en grande partie la cause de l’augmentation des prix des produits agricoles. En plus, en aggravant le stress hydrique, elle menace l’agriculture et la sécurité alimentaire et peut, à terme, favoriser l’exode rural.
Au-delà des mesures prises par les pouvoirs publics pour endiguer les effets de l’augmentation des prix, une réflexion s’impose pour examiner les moyens d’assurer la sécurité alimentaire. Le Maroc dispose d’une longue expérience dans le domaine agricole et peut envisager d’exporter son expertise dans des pays alliés où la pluviométrie est généreuse et les terres arables disponibles. Ainsi, le Maroc peut s’assurer à moyen et long terme un flux régulier et prévisible d’importation de produits agricoles à des prix abordables. De même, les efforts déployés pour le dessalement de l’eau de mer et le traitement des eaux usées devraient être poursuivis avec des investissements substantiels et ciblés sur des technologies innovantes. En effet, les eaux usées, une fois traitées, peuvent répondre aux besoins industriels ou alimenter les nappes phréatiques ou encore couvrir les besoins en eau potable. Singapour couvre 40% de ses besoins en eau potable grâce au traitement de ses eaux usées.
Dans ce contexte inflationniste, l’économie circulaire, peu développée au Maroc mais une tradition ancienne dans les pays de l’Europe du Nord, est même devenue une des priorités du Pacte vert de la Commission européenne. Elle est une source de création d’emplois et de richesses et peut contribuer à réduire la pression sur le budget des ménages en fournissant des biens à bas prix. Un des volets de cette économie est l’allongement de la durée de vie des produits par la réparation, la réutilisation et le réemploi. En Europe, la plupart des grandes enseignes de la distribution des secteurs de l’habillement, de l’électroménager ou encore de l’électronique grand public proposent désormais des vêtements de seconde main et des produits reconditionnés. De grandes plateformes privées européennes prospèrent également dans ce domaine.
La crise actuelle constitue peut-être un moment de rupture non seulement du paradigme néo-libéral mais aussi de notre façon de vivre et d’interagir avec la nature. Elle nous invite à plus de sobriété, de frugalité et surtout de solidarité. La croissance économique basée sur la consommation à outrance n’est plus possible au regard de l’épuisement des ressources et du dérèglement climatique. Les jeunes doivent apprendre à l’école et tout au long de leur scolarisation de nouvelles manières de consommer et d’interagir avec le milieu naturel. Ainsi, ils seront plus disposés à opter pour une consommation plus mesurée et responsable que de se voir imposer plus tard des sacrifices douloureux.
* Mohamed Bouassami est docteur en économétrie (Université de Paris I Sorbonne), cumulant 30 années d’expérience aux Nations unies dans le domaine du développement.