Il y a d'abord eu cette augmentation du taux de droit de douane à l'importation sur les produits finis, relevé de 25% à 30% dans la loi de finances 2020, puis de 30 à 40% dans le projet de loi rectificative. La mesure est passée comme un "passager clandestin", les représentants de la Nation ne l'ont même pas débattue. Il faut dire que l'argument du ministre des Finances a bien convaincu: "il faut protéger la production nationale pour garantir la relance de pans entiers de l'économie".
Il y a eu, ensuite, cet amendement sur la déductibilité des dons effectués par les entreprises au fond Covid-19 que les représentants de la première Chambre ont unanimement rejeté. Cette fois, c'est leur argument à eux qui a su convaincre le ministre des Finances, bien que cette exonération ait été précédemment promise par la Direction Générale des Impôts (DGI), dans une circulaire diffusée en mars dernier.
Les parlementaires ont laissé entendre, en creux, que ce rejet était motivé par le fait que ce sont ces mêmes entreprises donatrices qui sont à l'origine de 90% des recettes de l'IS (Impôt sur les Sociétés). Leur accorder l'exonération reviendrait à priver l'Etat de recettes conséquentes sur les cinq prochaines années, ce qui risque ainsi d'exacerber la pression fiscale sur d'autres pans de l'économie plus durement frappés et sérieusement fragilisés par la crise sanitaire.
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Le ministre des Finances s'est alors ressaisi, avec cet argument massue, et n'a pas voulu montrer de résistance pour les convaincre du contraire. Le patronat (représenté au sein de la deuxième Chambre) est alors monté au créneau pour y remédier. Mais sans grand succès. Il a réussi à n'obtenir que la déductibilité fiscale sur les futurs dons à accorder au fond Covid-19.
Ainsi, d'ici la fin de l'année 2020, les mesures adaptatives prises pour faire face la crise -endettement extérieur, hausse des droits de douane et non déductibilité fiscale des dons versés- conjuguées à l'intervention du fonds Covid-19 devront limiter la casse en soulageant la pression sur le budget et maintenir le creusement du déficit à 7,5%.
Ce niveau est déjà élevé, selon le dernier rapport sur le suivi de la situation économique du Maroc, diffusé vendredi 17 juillet dernier par la Banque Mondiale. Le Covid-19 a effacé huit ans d'orthodoxie budgétaire amorcée par le Maroc dès 2013, pour ramener le déficit budgétaire en dessous des 3% conventionnellement admissibles pour, notamment, relâcher la pression fiscale sur l'économie.
Les vents ont ainsi tourné et le creusement du déficit budgétaire sera diffcilement tenable. L'Etat risque en effet de se financer en augmentant les impôts. Les économistes de la Banque Mondiale le prédisent, en tout cas, à l'instar de nombreux pays de la planète ramant pour contenir les différents impacts de la crise.
Ils soulignent ainsi dans leur rapport que "comme dans de nombreux pays, au Maroc l'épidémie entraînera des pressions fiscales importantes et augmentera la dette publique". Ce dernier point est en cours. Le Maroc a d'ores et déjà épuisé sa LPL (Ligne de Précaution et de Liquidités -ligne d'appui du FMI, de l'ordre de 3 milliards de dollars) et a levé jusqu'alors quelques 2 milliards de dollars supplémentaires auprès de bailleurs de fonds internationaux.
La Banque Mondiale souligne que "ces dernières années, malgré ses progrès réalisés en matière de viabilité budgétaire, le Maroc n'a pas atteint son objectif de déficit budgétaire (3% du PIB). Il sera encore plus difficile à réaliser, en raison du choc de la Covid-19 et ses conséquences, car la diminution des recettes fiscales, due à la baisse de la croissance économique, et les dépenses supplémentaires liées à la crise sanitaire réduiront la marge de manoeuvre budgétaire". Pour équilibrer son budget, l'Etat s'orientera, entre autres, vers une augmentation de ses impôts, soit en relevant le taux, soit en accélérant les réformes pour élargir l'assiette fiscale.
Le déficit budgétaire se creusera donc sensiblement en 2020 et en 2021, selon la Banque Mondiale. Et sera très difficilement rattrapable en raison de la faiblesse des sources de revenus de l'Etat. Ce risque budgétaire sera également exacerbé par d'autres facteurs exogènes.
La Banque Mondiale souligne que "que les risques budgétaires sont également en hausse, car les entreprises publiques commerciales (qui détenaient 15,8% du PIB en dette extérieur à la mi-2019, dont la majorité était garantie par l'Etat) sont confrontées à d'importantes baisses de recettes et pourraient nécessiter le soutien de l'Etat".
C'est le cas aujourd'hui de Royal Air Maroc. L'Etat lui apporte sa garantie pour lever sur le marché bancaire national et international jusqu'à 50% des 6 milliards de dirhams promises dans le plan d'appui annoncé récemment. D'autres entreprises étatiques sont également sur liste d'attente des programmes d'appui financiers et devront, elles aussi, bénéficier de la garantie des crédits de l'Etat.
La capacité d'endettement de l'Etat s'en trouvera ainsi fragilisée. Et le coût d'endettement, jusqu'ici favorable, s'envolera conséquemment.
A cela, se rajoutent quelques autres secteurs sinistrés qui attendent le concours de l'Etat. Mais qui devront, toutes choses égales par ailleurs, ne bénéficier que de mécanismes de garantie déjà mis en place via la Caisse Centrale de Garantie (CCG). La probabilité qu'ils reçoivent un appui financier direct sous forme de subventions est très minime.
Et pour cause, venir tout de suite en aide diretement à ces entreprises publiques et secteurs durement frappés par la crise, reviendra à creuser davantage le déficit, dont le niveau est déjà élevé. Le signal a déjà été envoyé par l'Etat dans ce sens. Royal Air Maroc ne bénéficiera du reliquat des 6 milliards de dirhams d'aides que sur plusieurs années, et seulement à partir de l'exercice 2021.
L'Etat devra, pour remédier au déficit, s'endetter lourdement et/ou augmenter ses impôts. Une spirale infernale, qui risque de freiner la consommation et l'investissement. Ce sont pourtant là deux paramètres économiques autour desquels s'organise notamment toute la stratégie de relance de l'Etat, surtout s'il lui arrive d'acter une quelqconque hausse des impôts.
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Déjà que la situation n'est pas si reluisante, selon la Banque Mondiale qui prévoit un creusement beaucoup plus prononcé du déficit et une augmentation de la dette: "l'épidémie creusera le déficit budgétaire et aggravera la dette publique tant en 2020 qu'en 2021".
Il faudra au Royaume plusieurs années, selon la Banque Mondiale, pour redresser la barre. "A moyen terme, le déficit budgétaire se réduira progressivement pour se situer en moyenne à 4,1% du PIB sur la période 2020-2024, contre les 3,3% prévus avant l'épidémie Covid-19".
L'institution de Bretton Woods indique en outre que les recettes fiscales, en particulier celles tirées des biens et des services, des taxes douanières et des revenus et bénéfices des établisements publics, seront inférieures aux prévisions pour 2020 et 2021. C'est pour cette raison que ses économistes prévoient "des augmentations considérables (en taxes et impôts, Ndlr) en 2020 en raison des dépenses supplémentaires de santé, de protection sociale, mais aussi de récupération à effectuer par l'Etat". Espérons donc que l'Etat aura d'autres choix que celui de flirter avec la mal-aimée des agents économiques.