Lahcen Haddad est co-président de la Commission parlementaire mixte Maroc-Union européenne. Il est également consultant international en développement social. Membre du Conseil national du parti de l’Istiqlal et ancien ministre du Tourisme entre 2012 et 2016, il a été vice-président de la Société pour le développement international de 2017 à 2022, vice-président du réseau parlementaire sur la Banque mondiale et le FMI jusqu’à 2021. Lahcen Haddad est professeur de négociation internationale à Toulouse Business School et d’entrepreneuriat et d’innovation à l’African Business School de l’Université Polytechnique de Benguerir.
Des «inexactitudes» il y en a à la pelle dans ce dossier du magazine français Marianne étrangement intitulé «Comment le Maroc nous tient» (15-22 février 2023). Le titre en soi est conçu pour créer le buzz, mais ce qui est plus étrange, ce sont également les quelques bonnes analyses que ce même titre-choc ne reflète aucunement. Des dissimulations exhibées sur un fond de couleur rouge, rappelant le temps de la Guerre froide et le fameux «danger rouge».
Dans ce dossier, pas besoin de lire entre les lignes ou aller trop loin. Les contre-vérités apparaissent dès les premières phrases, voire même quelques fourberies disséminées ici et là.
La journaliste Vanessa Ratignier a avancé que «le royaume revendique la souveraineté sur les terres (du Sahara marocain, ndlr) riches en phosphates (70% des ressources mondiales) et sur les mers poissonneuses de cette région», mais a omis ou négligé de clarifier que ces 70% de ressources en phosphates se trouvent dans les régions de Khouribga, Benguerir et Youssoufia, et appartiennent à l’ensemble régional des plateaux et massifs du Maroc Atlantique appelé «le plateau des phosphates», situé à l’ouest du Maroc. Ce volume n’a donc rien à voir avec la région sud du Sahara marocain qui ne représente que 8% des ressources en phosphates du Royaume.
L’exploitation de ces 8% au Sahara marocain ne représente pas un volume conséquent en termes économiques pour le pays. Ces extractions sont maintenues pour un seul objectif, assurer des activités génératrices de revenus à des milliers de Sahraouis. Par conséquent, l’aspect social en est la seule priorité.
Quant à la Cour de justice internationale sur la question du Sahara (1975), Vanessa Ratignier verse dans l’inexact. Elle dit que le verdict a spécifié que «le Maroc et les Sahraouis (représentés par le Front Polisario) constituent deux peuples distincts et qu’un processus d’auto-détermination est nécessaire. En clair: un référendum». Ce qui est fondamentalement incorrect.
La conclusion, la vraie, à laquelle est parvenue la Cour de justice internationale est que des liens d’allégeance existent entre les Rois du Maroc et les populations sahraouies –la Cour ne les a pas qualifiées de «peuple» comme nous le fait croire la journaliste--pour dire ensuite qu’il est important de consulter la population sahraouie pour confirmer la souveraineté qui peut découler de cette allégeance.
Comment peut-on parler du Polisario, en tant qu’acteur, alors qu’il venait d’être créé à cette même époque... sous la houlette de Mouammar Kadhafi qui cherchait à tout prix à exporter sa révolution dégénérée pour déstabiliser le soi-disant «régime réactionnaire de Hassan II»?
L’affaire portée à La Haye se jouait exclusivement entre l’Espagne, pays colonisateur, et le Maroc, pays libérateur agissant dans un cadre légitime de parachèvement de son intégrité territoriale.
La question de la représentativité de la population sahraouie, et non du «peuple sahraoui», n’a jamais concerné le Polisario qui cherche par tous les moyens à s’approprier ce titre, et les seules populations qu’il représente sont les Sahraouis séquestrés à Tindouf sur le sol algérien. Dans ces rangs, on dénombre des nomades sahéliens de plusieurs nationalités et d’autres issus du Sud algérien. Cette population sahraouie séquestrée dans les camps de Tindouf représente moins de 20% des Sahraouis vivant au Maroc et que le Haut-Commissariat aux Réfugiés n’a pas encore été autorisé par l’Algérie à recenser et ce, depuis 1975.
Durant les pourparlers organisés sous l’égide de l’ONU à Manhasset aux USA de 2008 à 2012, et à Genève entre 2018 et 2019, les représentants des élus sahraouis originaires du Sahara marocain ainsi que les représentants du Polisario ont siégé à plusieurs reprises autour des mêmes tables.
Sur un autre volet, la même Vanessa Ratignier, a écrit: «Le jour du vote de la résolution (du Parlement européen contre le Maroc, ndlr) à Bruxelles, le Maroc a rappelé son ambassadeur en France. Officiellement, le diplomate est appelé à de hautes fonctions dans son pays. Le symbole est néanmoins évident». Ici, quelques précisions s’imposent. La résolution a été votée à Strasbourg et non à Bruxelles et pour être plus précis, c’est la résolution 2023/2506 (RSP) portant sur la situation des journalistes au Maroc. Autre précision: le Maroc n’a pas rappelé son ambassadeur en France à l’issue de cette résolution comme elle souhaitait le faire croire. La résolution a été votée le 19 janvier 2023 et l’ambassadeur du Maroc à Paris a été officiellement nommé le 18 octobre 2022 à la tête du Fonds Mohammed VI pour l’investissement, nomination publiée au Bulletin Officiel le 19 Janvier, date du vote de la résolution au Parlement européen. Vanessa Ratignier en conclut à une «glaciation» des relations entre le Maroc et la France, mais aucunement à une coïncidence.
Ce que je n’arrive pas à saisir dans son analyse: s’agit-il d’un signe de perte de contrôle du Maroc sur la France ou le contraire? Ce qui est important dans son article, ce n’est pas la vérité, mais le tissage rhétorique, la toile de conspiration inaltérée.
Pour l’article de Rachel Binhas sur l’immigration, je suis désolé de dire que la journaliste n’a pas fait son devoir. Lisons un peu ce qu’elle a voulu dire: le Maroc joue un rôle important sur le dossier de la migration. En dépit de la réduction de 23% du nombre de migrants venant du Maroc, les migrants continuent à venir. Bien sûr, il y a plus d’Algériens que de Marocains. Mais «notre ami le roi» ne fléchit pas. Sur quoi? Par rapport à quoi? Elle ne dit pas. Un billet sans rime ni raison.
Sans la vérité, nous en sommes réduits soit à n’avoir aucune opinion sur les choses, soit à nourrir une opinion erronée. C’est justement ce que Vanessa Ratignier essaye de développer sur un autre dossier, celui du cannabis, où elle cite un douanier (anonyme selon elle) et qui apparemment ne connait même pas la région géographique où se trouve le cannabis, mentionnant la «Vallée du Rif», alors qu’il s’agit d’un massif montagneux à plusieurs vallées qu’il qualifie de la plus pauvre région du Maroc.
Le Rif n’est pas une région pauvre du Maroc selon les statistiques officielles du Haut-Commissariat au Plan. Les données inexactes que Ratignier avance démontrent des failles dans la construction de l’argument, pour ne pas dire plus.
Si le nombre de saisies augmente, cela veut dire que le Maroc joue pleinement son rôle. Durant la présentation du budget sectoriel du ministère marocain de l’Intérieur devant le Parlement, le ministre avait déclaré, le 1er novembre 2022, que les autorités marocaines ont saisi, à fin août 2022, plus de 260 tonnes de résine de cannabis, plus de 66 tonnes de kif en tiges et 225 kilogrammes de cocaïne, en plus de 557.985 comprimés de psychotropes. Ces drogues représentent un risque comme pour tous les autres pays du monde et le Maroc joue son rôle et parfaitement bien. Pourquoi cette journaliste le qualifie de «sujet sensible pour Paris et pour Rabat» demeure un mystère.
Par ailleurs, Stéphane Aubouard écrit à son tour sur les relations franco-marocaines compliquées par la donne algérienne, et tout en restant dans un semblant d’impartialité, omet sciemment de préciser que l’Algérie a rompu unilatéralement ses relations diplomatiques avec le Maroc, cessé l’exportation du gaz naturel vers le Maroc, cessé d’approvisionner l’Espagne via le gazoduc Maghreb Europe, fermé son espace aérien à tous les avions marocains. Ces actes belliqueux sont restés sans aucune réponse du côté marocain. Idem pour la «rente mémorielle» qui n’existe pas du côté marocain. La colonisation de l’Algérie, qui a duré plus de 130 ans, est totalement différente du protectorat français au Maroc qui n’a duré que 44 ans.
Plus loin, Stéphane Aubouard ajoute: le Maroc tient la France en otage parce que l’Espagne est paralysée! La thèse n’est pas claire! La logique ne suit pas.
Cependant, la réalité est toute autre: l’alignement de l’Espagne sur la position marocaine est une bonne chose pour en finir avec le conflit au Sahara. Les séquestrés de Tindouf reviendront chez eux, une autonomie sera mise en place et la souveraineté marocaine assurée. En plus, la migration envers l’Espagne à partir du Maroc poursuit sa tendance baissière. L’Espagne continue d’être le premier partenaire commercial du Royaume avec plus de mille entreprises ibériques installées chez le voisin du Sud. Le tourisme, dans les deux sens, est porteur de richesses et d’emplois. La coopération en matière de sécurité ne s’est jamais arrêtée même en temps de crise. De quoi veut-on parler, si ce n’est que d’un camouflet, d’une déception du côté du Polisario et de l’Algérie?
Par ailleurs, la vérité exigeait de Laurent Valdiguié de dire que la société NSO israélienne avait déclaré à la commission Pegasus du Parlement européen que le Maroc, contrairement à des pays européens, n’est pas un client, et qu’Amnesty et Forbidden Stories n’ont pas pu fournir de preuves justifiant leurs accusations contre le Maroc, et qu’il est techniquement impossible, selon les experts, de savoir qui espionne qui à travers Pegasus, et qu’il y a des doutes de falsification des tests «légistes», pour accuser gratuitement mais intentionnellement le Maroc.
À l’envers de la médaille, d’autres journalistes bien informés des contours et non-contours qu’ils dressent sur différents sujets appréhendent des enjeux réels, à l’instar de Vladimir de Gmeline qui prend appui sur la panne de réseaux pro-marocains, ou de Alain Léauthier sur l’importance du Maroc en Afrique et en tant que terre qui accueille les «gens qui comptent», ou encore de Ahmed Ben Nasser sur la défiance croissante des Marocains à l’égard de la France.
On relève, certes, dans ce dossier des articles plus pertinents et plus utiles, alors que d’autres ont un effet inexact et inattendu, avec toutefois un titre qui ne rime ni avec les analyses justes de sujets sensibles, ni avec les thèses incomplètes sur la migration, le Sahara, le cannabis...