Libération de Boualem Sansal: pour Pascal Bruckner, «l’Algérie a cédé parce qu’elle a tout perdu»

Pascal Bruckner, invité sur le plateau de l'émission «Points de Vue», diffusée le 13 novembre sur la chaîne Youtube du Figaro.

Pascal Bruckner, invité sur le plateau de l'émission «Points de Vue», diffusée le 13 novembre sur la chaîne Youtube du Figaro.

Pascal Bruckner, écrivain et fervent soutien de Boualem Sansal, était l’invité de Vincent Roux dans l’émission «Points de Vue», diffusée le 13 novembre sur la chaîne Youtube du Figaro. À cette occasion, celui-ci est longuement revenu sur la libération de l’écrivain et essayiste franco-algérien, survenue la veille, pour mieux en analyser les coulisses et les enjeux politiques.

Le 15/11/2025 à 08h42

Un an après son arrestation arbitraire et son incarcération dans les geôles algériennes pour «atteinte à l’unité nationale», un an après avoir subi quantité d’humiliations et d’acharnements, Boualem Sansal a enfin été libéré par le régime algérien. Contraint, Abdelmadjid Tebboune a accepté de relâcher son prisonnier, ou plutôt son otage, à la demande du président allemand, Frank-Walter Steinmeier, formulée dans un communiqué officiel.

S’il va sans dire que la nouvelle a été accueillie avec enthousiasme par ses proches et ses très nombreux soutiens en France et de par le monde, le timing de cette annonce interroge et n’a pas échappé à Pascal Bruckner.

Le régime algérien acculé par les victoires du Maroc

Car si les avocats de Boualem Sansal ont salué le fait que l’humanité a prévalu sur toute autre considération, Pascal Bruckner n’en omet pas moins «le bras de fer» qui a accompagné cette démarche. Ainsi, rappelle-t-il, «si l’Algérie a cédé, c’est parce qu’elle avait tout perdu». L’écrivain et philosophe établit un lien de causalité direct entre la libération de Boualem Sansal et la situation politique internationale actuelle, au premier plan de laquelle se situe le Maroc.

Ainsi, poursuit Bruckner, l’Algérie a perdu «dans les négociations sur le Sahara occidental. Elle a été désavouée à l’ONU même par les Russes et les Chinois qui sont les alliés traditionnels du régime algérien. Et puis je pense que la pression de Donald Trump pour réconcilier le Maroc et l’Algérie passe aussi par la reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental. Et donc Tebboune s’est retrouvé isolé». Ironique retournement de situation que celui-ci, car si Boualem Sansal a été emprisonné pour avoir rappelé dans l’émission Frontières l’appartenance historique du Sahara oriental au Maroc, c’est cette fois-ci la reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental qui a permis de le faire libérer.

Brandir les beaux sentiments et un accès subit d’humanité pour expliquer cette libération ne convainc donc pas Pascal Bruckner. «C’est l’isolement absolu d’Alger sur la scène internationale qui a fait que le président Tebboune a réfléchi», martèle-t-il, considérant par ailleurs que «le grand vainqueur de cette joute, c’est évidemment le Maroc».

La position décriée de la France

Pour Pascal Bruckner, il s’agit là d’un «échec sanglant» pour Abdelmadjid Tebboune, pour un régime «qui n’est jamais sorti de la colonisation» face à une France qui «a choisi d’emblée la voie de la diplomatie». Un choix décrié alors que l’otage de ce «kidnapping d’Etat» doit sa libération à la médiation allemande, rappelle Bruckner, la qualifiant de «tiers de confiance qui a permis aux Algériens et à Macron de ne pas perdre la face».

Le membre du comité de soutien de Boualem Sansal explique en effet que le président français se serait montré «trop accommodant» dans un premier temps, préconisant de ne pas monter au créneau afin de ne pas «entrer en disgrâce auprès du président Tebboune». Un choix que Bruckner ne consent pas à faire. «Il est absurde d’opposer la diplomatie et la force», lesquelles doivent marcher de pair. Et de préconiser à la France de recourir aux moyens de pression dont elle dispose, seuls «arguments que les Algériens comprennent». Il rappelle au passage qu’un membre de l’ambassade algérienne à Paris et un agent consulaire sont toujours en prison en France pour des affaires de barbouzeries sur le territoire français.

Autre objet de l’indignation de Pascal Bruckner, les députés de La France Insoumise ou d’Europe Ecologie/Les Verts qui se sont réjouis de la libération de l’écrivain franco-algérien. Car rappelle-t-il, ni Sandrine Rousseau, ni Mathilde Panot n’ont apporté leur soutien à Boualem Sansal lors de son emprisonnement. Quant à Rima Hassan, elle s’était réjouie qu’il soit en prison. «Tout cela n’est pas très reluisant pour une certaine gauche», juge-t-il.

Quid des rapports franco-algériens de demain?

Certes, Pascal Bruckner préfèrerait «des relations neutres, un partenariat à égalité» avec l’Algérie mais la chose lui paraît impossible face à un pays qui prend «prétexte de l’occupation française pour expliquer (ses) échecs et surtout pour expliquer ce qu’il y a eu de pire dans l’histoire algérienne récente, la guerre civile dont on n’a pas le droit de parler». S’il fallait poser un diagnostic sur ce mal, Bruckner pronostique «une schizophrénie en Algérie qu’il n’y a pas en France», où «personne ne regrette l’Algérie française».

Pour l’écrivain, il convient désormais de «remettre les relations à plat» et d’établir «une nouvelle donne diplomatique avec tous les pays du Maghreb», consentant toutefois qu’avec «l’Algérie, ça va être très dur» et qu’il reviendra au prochain président français d’«assainir cette relation», notamment en parlant un «langage de la fermeté».

Et de conseiller en attendant «aux touristes français de ne pas se rendre en Algérie tout de suite. C’est un voyage dont on ne reviendra peut-être qu’au bout d’un an ou deux si on a le malheur d’être comme Boualem Sansal ou Christophe Gleizes, qui lui n’est toujours pas rentré».

Par Zineb Ibnouzahir
Le 15/11/2025 à 08h42