Le procédé des sorties médiatiques des diplomates algériens mécontents contre leur hiérarchie est devenu récurrent. Ainsi un groupe de fonctionnaires du ministère algérien des Affaires étrangères a publié, en milieu de semaine dernière, sous le sceau de l’anonymat, un article de presse intitulé «Affaires étrangères: devoir d’inventaire et exigence de redevabilité».
Dans cette tribune, ils s’en prennent à Sabri Boukadoum, ancien ministre algérien des Affaires étrangères (2019-2021), dont le «favoritisme» dans les nominations aux postes de diplomates est proverbial, son épouse étant consule générale d’Algérie à New York. Ces nominations, ajoutées aux «sorties médiatiques burlesques» de Boukadoum à l’étranger, seraient les principales causes de l’actuelle déliquescence avancée de la diplomatie algérienne, selon les auteurs de cette «contribution».
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Selon ceux-ci, Boukadoum «a donné une triste image de la diplomatie algérienne, comme l’illustrent les cortèges de railleries qui accompagnaient régulièrement ses sorties médiatiques burlesques, hésitantes, approximatives et parfois indignes comme le fait de demander à la MAE espagnole de s’exprimer au nom de l’Algérie souveraine et de son gouvernement, ou le fait de répondre aux journalistes tunisiens qui l’interrogeaient par un étonnant et lapidaire ‘’comme il a dit lui’’ en se référant aux propos de son collègue tunisien».
Dans cet article collectif, ces cadres du ministère algérien des Affaires étrangères reconnaissent que leur pays n’a plus voix au chapitre dans les tribunes internationales. Que ce soit à la Ligue arabe, à l’Union africaine, à l’ONU ou au sein du Mouvement des Non-alignés… La voix de l’Algérie n’est plus audible, selon eux.
Le plus étonnant, c’est que la première réaction à cette lettre collective et anonyme est venue de là où on l’attendait le moins. C’est en effet le Franco-Algérien Abdallah Zekri, actuel président de l’Observatoire des actes islamophobes, dépendant du Conseil français du culte musulman (CFCM), une «personnalité» n’ayant rien à voir avec la diplomatie algérienne, qui a été appelé en renfort dans les colonnes d’un média proche des généraux algériens pour traiter cette sortie anonyme de «brûlot» et son auteur de «lâche».
Quelques heures plus tard, et dans les colonnes du même site, une «source proche de Boukadoum», mais qui n’est autre en réalité que lui-même, «dénonce une manœuvre visant à porter atteinte à la diplomatie algérienne, et y voit une “suspecte coïncidence“ avec les événements que traverse le pays actuellement et les combats sur plusieurs fronts que mène avec brio le département de Ramtane Lamamra».
Soigneusement masqué, Sabri Boukadoum se vante même d’avoir été qualifié de «ministre le plus entreprenant du gouvernement Djerad», limogé le 7 juillet dernier, et c’est, en fait, «la situation générale du pays», se défend-il, qui est à l'origine de son manque d’efficacité. Une réponse à ses détracteurs qui le qualifient de «MEC» (Monsieur erreur de casting), et d’adepte «de procrastination, de dilettantisme et de désintérêt pour le département ministériel stratégique dont il a la lourde charge».
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Mais au-delà de la course aux strapontins qui transpire de cette «contribution», dont les auteurs affirment que «cette période de léthargie» sous Boukadoum a profité au Maroc, Ramtane Lamamra doit aussi se sentir visé. Son passage au même poste (2013-2017), sous l’ère de Bouteflika, a été un véritable fiasco. Sans oublier aussi que Boukadoum n’est autre que l’élève assidu de son prédécesseur, puis remplaçant. En tout cas, au cours des 45 premiers jours qui ont suivi sa reprise en main des rênes de la diplomatie algérienne, Lamamra a fait montre d’une frénésie stérile, qui ne fait que confirmer l’amateurisme et le déclin continu de la diplomatie algérienne.
Ces critiques «internes» de la gestion de la diplomatie algérienne ne sont pas une première. Un journal algérois, lui aussi très proche des généraux locaux, avait demandé la tête de Sabri Boukadoum au début de cette année, mettant en cause ses innombrables déboires en Libye, au Mali, au Sahara, et le qualifiant même de «chef d'orchestre» qui «ne semble pas diriger la symphonie», voire une «erreur de casting».
De même, de nombreux diplomates algériens en fin de mission dans des représentations à l’étranger avaient, il y a juste une année, mis à nu les graves dysfonctionnements qui entravent la diplomatie de leur pays. Ils ont ainsi publié une longue missive sur les réseaux sociaux où ils dénoncent leur abandon par leur pays, en pleine pandémie, lequel pays ne les a pas rapatriés ni eux et leurs familles, ni ne les a affectés vers d’autres pays, ni même n'a payé leurs salaires.
Cette semaine encore, ce sont de hauts diplomates algériens qui fustigent l’incurie de leur département de tutelle. A leur tête, on retrouve l’ancien ambassadeur algérien à Islamabad, au Caire et auprès de la Ligue arabe, Nadir Larbaoui, que Boukadoum semble désigner, sans le nommer, comme étant le «corbeau» de cette énième fronde des diplomates algériens.
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La fronde et la prévarication qui règnent au sein du ministère algérien des Affaires n’est pas sans rappeler la situation de l’armée algérienne, où les purges à répétition ont été particulièrement violentes. Le dernier épisode en date de la grave crise que traverse l’ANP est le désaccord de plus en plus affiché par le commandant des forces terrestres, le général-major Amar Atamnia, avec le chef d’état-major, Saïd Chengriha. Amar Atamnia avait fait part de ses réserves vis-à-vis du soutien de l’ANP au Polisario, tenté, selon lui, d’enliser l’armée algérienne dans une confrontation avec le Maroc.
Atamnia a également fait part de profonds désaccords avec Chengriha dont il critique la mauvaise gestion de l’institution militaire, lui reprochant tout particulièrement de prendre des décisions sur la base d’informations qu’il ne vérifie pas. Les désaccords entre le commandant des forces terrestres et son supérieur hiérarchique sont devenus tellement profonds que le général-major Atamnia aurait demandé à être démis de ses fonctions, au motif qu’il souffrirait d’une grave maladie.
Avec une diplomatie au bord de la mutinerie, une armée agitée par de profondes dissensions et un président impopulaire et inapte à s’élever à la fonction qu’il occupe, l’Algérie se trouve à la croisée des chemins. Et rien ne laisse présager qu’elle empruntera la bonne voie.