Ils s’appellent Saïd Bouteflika, jusque-là omnipotent frère et conseiller de l’ancien président, Mohamed Mediène, dit «Toufik», puissant ex-général de corps d’armée et ancien patron du Département de renseignement et de sécurité et Athmane Tartag, dit «Bachir», général à la retraite, ancien coordinateur des services secrets et conseiller à la sécurité du président déchu.
Hier encore, ils étaient les maîtres absolus de l’Algérie, faisant et défaisant tous les centres du pouvoir. Aujourd’hui, ils sont derrière les barreaux et dorment dans une prison. Les charges retenues contre eux sont lourdes. Moins de 24 heures après leur arrestation, ils sont désormais accusés, excusez du peu, de «complot et atteinte à l’autorité de l’armée et de l’Etat». C’était hier, dimanche, et les charges ont été prononcées contre eux par le tribunal militaire de Blida.
Les peines qu’ils encourent? Jusqu’à la peine de mort. La loi stipule 5 à 10 ans de réclusion criminelle, dans le cas où ils seraient reconnus coupables. «L’article 284 du code de justice militaire précise que ‘’Tout individu coupable de complot ayant pour but de porter atteinte à l’autorité du commandant d’une formation militaire, d’un bâtiment ou d’un aéronef militaire, ou à la discipline ou à la sécurité de la formation, du bâtiment ou de l’aéronef, est puni de la réclusion criminelle de cinq (5) à dix (10) ans’’», peut-on ainsi lire dans les colonnes d’El Watan.
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«Le maximum de la peine est appliqué aux militaires les plus élevés en grade et aux instigateurs dudit complot. Si le complot a lieu en temps de guerre, ou sur un territoire en état de siège ou d’urgence, ou dans toutes circonstances pouvant mettre en péril la sécurité de la formation, du bâtiment ou de l’aéronef, ou a pour but de peser sur la décision du chef militaire responsable, le coupable est puni de mort», lit-on encore. C’est dire que l’interprétation de la gravité du délit qui peut conduire jusqu'à la peine capitale est laissée à l'appréciation des juges.
Ironie du sort, c’est par des éléments de la Direction de la sécurité intérieure, celle-là même que dirigeaient tour à tour Toufik et Tartag, que les trois hommes ont été arrêtés à leurs domiciles respectifs et conduits depuis Alger à Blida, entre-temps passée sous l’autorité exclusive de Ahmed Gaïd Salah, désormais chef absolu de l’armée. Le tout, devant les caméras de la télévision publique, dont les images se sont propagées comme une traînée de poudre sur la Toile, ainsi qu’à travers les chaînes internationales d’information en continu.
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Le spectacle mis de côté, que faut-il donc conclure de cette énième démonstration de force de Gaïd Salah?
Les récents évènements voudraient que ce soit techniquement une réponse à la sortie d’un certain Khaled Nezzar. Le 30 avril dernier, l’ancien ministre algérien de la Défense descendait en flammes le frère du président. Citant deux conversations supposées qu’il aurait eues avec lui depuis les événements enclenchés le 22 février dernier, il l’a accusé, une première fois, d’avoir voulu maintenir le pouvoir en place, quitte à enclencher un état d’urgence ou un état de siège. Une seconde fois, c’est la tête de chef de l’armée, Gaïd Salah, qu’il aurait réclamé. Il aurait voulu destituer le chef d’état-major qui avait entre-temps lâché la candidature de Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat, dixit Nezzar.
Des propos sur-mesure dont l’objectif, comme Le360 a pu le décrypter voici quelques jours, n’est autre que de justifier une action à venir contre les «comploteurs». En échange, Nezzar pourrait obtenir pour lui et ses enfants la grâce du chef d’état-major qui terrorise par sa brutalité tous ceux qui se croyaient intouchables en Algérie.
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L’arrestation de Saïd Bouteflika et des généraux Toufik et Tartag n’est que la suite d’une longue purge qui s’est cristallisée depuis le début des soulèvements populaires contre le système, il y a de cela 11 semaines. Jusqu’ici, seul l’entourage immédiat des Bouteflika avait fait l’objet d’une purge massive, et des proches comme l’ex-Premier ministre Ahmed Ouyahia ou encore les hommes d’affaires Kouninef et Ali Haddad, font aujourd’hui l’objet de poursuites. Que l’étau se resserre autour du chef de la «bande», selon les termes employés par Ahmed Gaïd Salah lui-même, et de ses supposés complices, ce n’était qu’une question de temps. Le général a tranché dans le vif en ordonnant l’arrestation simultanée de trois hommes, considérés il y a encore à peine trois mois comme des rouages indéboulonnables du système. Il a voulu frapper les esprits et faire peur. Il a sans doute réussi.
Mais il y a plus surprenant dans les purges ordonnées par Gaid Salah. Pourquoi s’en prendre aux détracteurs mêmes du clan Bouteflika? Exemple: Issad Rebrab, PDG du premier groupe privé d'Algérie, première fortune du Maghreb et grand opposant au clan Bouteflika, incarcéré dans la nuit de lundi à mardi 23 avril dernier au prétexte d’une enquête anti-corruption. Homme d’affaires de renommée internationale, Issad Rebrab incarnait une voix différente des oligarques proches des Bouteflika. Pourtant, il n’a pas été épargné. Pourquoi? Est-ce pour adresser un message en direction des chancelleries étrangères? Est-ce pour faire taire toutes les voix qui oseraient critiquer les choix de Gaid Salah? Est-ce pour dire que personne, absolument personne, n’est à l’abri de la main lourde du chef d’état-major? En tout cas, toutes ces hypothèses ont un seul dénominateur commun: faire peur.
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En panne d’apporter une réponse politique ou de superviser une réelle transition démocratique qui répond aux revendications du peuple, Ahmed Gaïd Salah est en train de diffuser la terreur pour neutraliser toutes les voies qui s’opposeraient à ses choix. Bien avant les événements du 22 février, nous avons diagnostiqué les ambitions présidentielles du chef d’état-major.
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C’est un homme ambitieux qui veut diriger le pays sans partage. Aujourd’hui, les Algériens prennent la mesure de l’immodération de l’homme qui –il faut bien le reconnaître– cumule tous les pouvoirs aujourd’hui en Algérie. Gaid Salah fait régner la terreur à la fois pour dissuader toute opposition à sa personne, mais aussi dans le but de briser la résistance de la population. Il cherche à contraindre les Algériens à rester chez eux.
Le peuple algérien n’est pas dupe des ambitions du chef d’état-major, un pur produit d’Abdelaziz Bouteflika. A mesure que Gaïd Salah coupe des têtes, les revendications de la rue le ciblent plus ouvertement. En témoignent les pancartes et les slogans levés à travers tout le pays, vendredi 3 mai dernier, appelant à son départ.
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Pendant combien de temps, ce dernier pourrait-il rester sourd à cette demande, de plus en plus spécifique, nommément formulée? Jusqu’où l’ivresse d’un pouvoir désormais absolu pourra-t-elle le mener? La brutalité dont fait preuve Gaïd Salah n’augure de rien de bon pour les jours à venir. La seule logique dans laquelle il montre de la constance consiste à dissuader par la terreur.