L’un est (toujours) le représentant d’un régime algérien qui a fait son temps. En fuite et passible de condamnations au pénal à l’international pour «crimes de guerre» du temps où il était ministre de la Défense lors de la décennie noire, Khaled Nezzar ne lâche rien et veut à tout prix faire son come-back, après avoir longtemps été lâché par les siens. Il profite en cela de ses relais en Algérie, et du support médiatique de son fils Lotfi, le mal-nommé Algérie patriotique.
L’autre, quant à lui, est une pure invention de l’actuel pouvoir algérien, incarné par le généralissime Ahmed Gaïd Salah, véritable homme fort du pays voisin. «Promu» secrétaire général par intérim de la puissante, et jadis respectable, Organisation nationale des Moujahidine (ONM), l’équivalent de l’Armée de libération du temps de la présence française, il joue désormais au fidèle serviteur de ses bienfaiteurs, en défendant aveuglément le régime militaire actuel.
Entre les deux, il est donc tout à fait naturel que la guerre éclate. Et c’est par médias interposés que celle-ci a lieu. Il s’agit là d’un étalage sans précédent de linge sale, qui en dit long sur la prévarication qui règne en Algérie. Quand les Algériens crient à cor et à cri qu’ils doivent «tous» dégager, c’est décidément en parfaite connaissance de cause.
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Tout a commencé quand, sans crier gare, un article critiquant l’appel de l’ONM au ministre de la Justice pour libérer Lakhdar Bouregâa, une icône de la guerre de libération, jeté en prison par Gaïd Salah, a été publié dans Algérie patriotique. Aussitôt, le secrétaire général intérimaire de ONM, un certain Mohand Ouamar Benelhadj, y voit la main de Khaled Nezzar et se lance dans un torrent de critiques accusatrices.
Et c’est à ce moment précis que cette affaire devient intéressante. Alors que Khaled Nezzar se présente comme un Moujahid lui-même, ami, qui plus est, de Lakhdar Bouregâa, Mohand Ouamar Benelhadj lui dénie complètement cette légitimité. «Depuis quand Lakhdar Bouregâa est ton ami alors que tu l’as combattu en 1962 à ton retour de la Tunisie?», dénonce le patron temporaire de l’ONM, qui ajoute ensuite: «à l'époque où [Lakhdar Bouregâa, Ndlr] était le responsable de la wilaya 4, tu lui as fait face avec les armes que la Russie a données à la Révolution algérienne», peut-on ainsi lire dans la presse algérienne, qui reprend les propos de Mohand Ouamar Benelhadj. «Mon parcours est jonché d’exploits. Renseigne-toi sur la bataille d’Iferhounen, le 11 août 1956. J’ai été touché par 35 balles. J‘ai survécu», se justifie encore ce dernier. «Demande aux Français si j’étais vil, alors que toi tu étais dans l’armée française», a-t-il aussi asséné.
Dans une tentative tout aussi maladroite de répondre, Khaled Nezzar formule une réponse écrite, allègrement reproduite dans le support médiatique de son fils. Se détachant de l’article incriminant l’ONM, il se lâche de nouveau sur Gaïd Salah, son ennemi juré. Il n’aurait ainsi fait qu’attirer l’attention des militaires sur le fait «d’avoir à se débarrasser du volet politique dans lequel les a embarqués l’actuel vice-ministre de la Défense [Gaïd Salah, Ndlr]» et de se défaire du «nœud gordien qui les enserrait».
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Pour Khaled Nezzar, le secrétaire général par intérim de l’ONM, ayant fait une mauvaise lecture de son intervention, a jugé qu’elle était «dangereuse» et «susceptible de diviser les rangs de l’armée».
«Que M. Benelhadj sache, ne lui en déplaise, que je suis un ancien moudjahid, un vrai! Allez donc vous en assurer, si vous en ressentez le besoin, auprès de mes anciens compagnons d’armes! Votre aveuglement vous accable-t-il au point d’oublier que je suis porté sur vos tablettes? Vous auriez dû consulter mon dossier avant; vous auriez remarqué que j’ai été condamné à dix années de prison, que toutes mes actions –je dis bien actions– de l’époque, au sortir de l’Ecole d’officiers jusqu’à ma désertion, sont consignées dans un document de la justice française», affirme encore Nezzar.
Quant à ces événements de 1962 évoqués par Mohand Ouamar Benelhadj, le général à la retraite en fait une lecture toute personnelle. Et il tente d’expliquer: «vous soulevez ce sujet comme si cela ne vous concernait pas. Si mes souvenirs sont bons, après la dislocation de l’ALN-FLN et les dissensions qui s’en étaient suivies en 1962 –le CNRA de cette époque portant l’entière responsabilité de cette issue malheureuse– deux clans s’étaient formés, celui de Tizi Ouzou et celui de Tlemcen. Les 3e et 4e Wilayas historiques avaient rejoint celui de Tizi Ouzou, tandis que les 1re, 2e et 5e ainsi que l’armée des frontières celui de Tlemcen. Dans lequel des deux étiez-vous, M. Benelhadj? Ou bien avez-vous tranché à la place des historiens? Sachez, encore une fois, que des conflits de ce genre, il y en a eu beaucoup à cette époque. Certains étaient bien plus sévères, en Wilaya 3 et en Wilaya 1! Alors, arrêtez cette surenchère!».
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On l’aura donc bien compris, à l’évidence, Khaled Nezzar n’est vraiment pas en odeur de sainteté auprès de Gaïd Salah. En conséquence, l’homme fort d’Alger lâche sur lui ses appuis, à charge pour eux de dénoncer l’imposture de l’intéressé et un CV de moudjahid fabriqué de toutes pièces, ainsi que les méfaits, nombreux et indignes, qui jalonnent son parcours.
Une chose est sûre: avec Gaïd Salah au moins, les langues se délient et le bloc est fissuré, ce qui donne un spectacle désolant de ceux qui ont dirigé le régime en Algérie, et que l’appétit pour le pouvoir a poussés à se façonner une figure de héros de la guerre de l’indépendance, alors que la réalité en est bien loin. Le spectacle ne fait que commencer, le feuilleton de révélations «croustillantes» n’étant qu’à ses débuts.