Après quelque quatre années passées au poste stratégique de secrétaire général du ministère de la Défense (2018-2021), fonction dont il a été relevé le lundi 15 mars 2021 et remplacé par le général-major Mohamed Salah Benbicha à titre d’intérim, le général Abdelhamid Ghriss a finalement rejoint la longue cohorte de généraux envoyés en prison par l’actuel chef d’état-major de l’armée, Said Chengriha.
En réalité le sort qui vient d’être réservé à Abdelhamid Ghriss, le dernier des Mohicans du clan de feu le général Ahmed Gaïd Salah, était attendu de longue date. Mais vu la sensibilité du poste qu’il occupait, et son rattachement administratif à la présidence et au gouvernement plutôt qu’à l’armée, il a fallu attendre la bonne occasion pour le coincer. C’est finalement la fuite d’un document estampillé secret, portant l’en-tête du ministère de la Défense et la signature d’Abdelhamid Ghriss, qui va précipiter la perte de ce dernier.
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Dans ce document, daté du 20 décembre 2020, largement relayé sur les réseaux sociaux un mois et demi plus tard, on apprend que les fréquentes réunions que le haut commandement de l’armée tenait régulièrement en novembre et décembre de la même année, avaient pour objectif, non pas de plancher sur le sort à réserver à Abdelmadjid Tebboune, à l’époque gravement malade et toujours hospitalisé en Allemagne, mais d’aborder une question plus grave, qui minait de l’intérieur l’armée elle-même. Il s’agissait en fait de trouver une solution rapide à l’hémorragie qui était en train de saigner le gros des troupes de l’armée, dont les soldats et sous-officiers auraient massivement présenté des demandes de désengagement en vue de quitter un corps qu’ils estiment trop gangrené par la corruption et qui les laissait en rade.
Cependant dans la liste des chefs d’inculpation qui ont été signifiés à Abdelhamid Ghriss, le tribunal de Blida a fait l’impasse sur le document terrible qui décrit des troupes démotivées et a retenu contre lui les accusations habituelles de corruption qui font généralement tomber en disgrâce les généraux algériens, majoritairement véreux: enrichissement illicite, détournement de deniers publics, abus de fonction… D'autant que Ghriss a été directeur du département de l’organisation et de la logistique au sein du MDN, ce qui faisait de lui le premier responsable des plus gros marchés et commandes de l’armée sous Gaïd Salah.
Il est vrai que l’accusation de corruption, toujours avérée par ailleurs, est une épée de Damoclès qui peut s’abattre à tout moment sur la tête de la majorité des généraux algériens, mais n’est jamais actionnée que dans le cadre de règlements de comptes permanents entre ces derniers.
Par le passé, les généraux corrompus faisaient l’objet de sanctions plus soft de la part du président de la République, qui, sur la base de rapports les mettant en cause, les affectait dans des régions lointaines, les mutait à des fonctions peu importantes ou les mettait tout simplement au placard en attendant la retraite. Aujourd’hui, et c’est ce qui explique aussi le «retard» dans l’emprisonnement de Ghriss, Said Chengriha a adopté une nouvelle stratégie. Il ne sévit contre les généraux ripoux que par doses homéopathiques à travers des emprisonnements et procès espacés dans le temps, en vue d’entretenir chez l’opinion publique l’idée qu’il est en train de mener une lutte continue et sans merci contre la corruption au sein de l’armée.
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Des dizaines de brebis galeuses de l’armée peuplent aujourd’hui ses geôles, qui regorgent de généraux, et pas des moindres: Wassini Bouazza ex-patron de la sécurité intérieure, Abdelkader Lachkhem (transmission et systèmes de guerre électronique) qui aurait détourné à lui seul plus de deux milliards de dollars, Ali Akroum (ex-directeur de l’organisation et de la logistique), sans oublier les généraux Nabil Benazzouz et Kamel Belmiloud, tous deux ex-patrons de la direction centrale de la sécurité de l’armée (DCSA)…, en plus de dizaines d’autres hauts gradés de l’armée, jetés en prison par Gaïd Salah: Saïd Bey…
L’arrestation de Ghriss est également révélatrice de la faiblesse de l’actuel président algérien, Abdelmadjid Tebboune. Ce n’est en effet pas un hasard si Ghriss, en restant longtemps secrétaire général du ministère de la Défense, s’est érigé en adjoint direct du président de la République, lui-même ministre de la Défense et chef suprême des forces armées. Tebboune protégeait de son mieux ce général, qui l’a ouvertement soutenu lors de la campagne présidentielle de 2019. Mais c’est paradoxalement un décret attribué au Président qui a mis fin aux fonctions de Ghriss, le mettant ainsi à la merci de Chengriha.
Cela apporte la preuve supplémentaire que, malgré l’absence de toute légitimité constitutionnelle ou historique, l’actuel chef d’état-major de l’armée est en fait l’homme fort du pays. Le slogan-phare du Hirak : «un Etat civil et pas militaire» est plus que jamais d’actualité.