«L’entité sioniste», c’est ainsi que dans l’armée, la classe politique et dans les médias algériens, on désigne Israël. Or, si par l’emploi de cette expression, doté d’un coefficient à la fois péjoratif et haineux, l’Etat algérien prétend revendiquer son soutien à la cause palestinienne, il convient de ne pas s’y tromper.
Les attaques linguistiques récurrentes contre cette «entité sioniste», qui serait co-responsable avec le Maroc de tous les maux qui frappent l’Algérie, sont en fait l’expression d’un antisémitisme notoire, érigé en doctrine d’Etat, bien enraciné dans le pays, et dont on use aujourd’hui d’une façon totalement décomplexée pour dénoncer les Accords d’Abraham, signés entre le Royaume du Maroc, l’Etat d’Israël et les Etats-Unis d'Amérique, le 22 décembre 2020 à Rabat.
«L’entité sioniste à nos portes»L’antisémitisme du régime algérien s’est exacerbé au lendemain de la reconnaissance de la marocanité du Sahara par les Etats-Unis –véritable camouflet infligé aux ambitions séparatistes du Polisario, soutenu par la junte militaire au pouvoir en Algérie– et de la reprise des relations entre le Maroc et Israël. Jouant sur les mêmes codes que l’idéologie nazie, qui reposait sur l’idée que les judéo-bolchéviques tenteraient de prendre le pouvoir en imposant le communisme ou l’anarchie à travers le monde, le Premier ministre algérien, Abdelaziz Djerad, évoque le 12 décembre 2020 des «opérations étrangères visant la déstabilisation de l’Algérie», ajoutant que «les indicateurs [étaient] aujourd’hui clairs au vu de ce qui se pass[ait aux] frontières». Il existerait selon lui «une réelle volonté d’attenter à l’Algérie», comme le confirmerait, expliquait-il, toute honte bue, « l’arrivée à présent de l’entité sioniste à nos portes».
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Cette menace brandie pour affoler l’opinion publique sera également reprise dans la revue publiée par l’armée algérienne, El Djeich, coutumière d’une ligne éditoriale pétrie d’un antisémitisme primaire, et laquelle, au même moment, appelle les Algériens à «se préparer» pour défendre leur pays.
Quelques mois plus tard, le 15 août 2021, au lendemain du lynchage de Djamel Bensmail, faussement accusé d’être l’un des auteurs des incendies qui ont ravagé la Kabylie, c’est cette fois-ci Ramtane Lamamra, chef de la diplomatie algérienne, qui va surfer sur la vague antisémite en se servant des déclarations tenues en marge de sa visite officielle au Maroc par le ministre israélien des Affaires étrangères, Yaïr Lapid.
Cette fameuse déclaration a été prononcée au cours d'une conférence de presse que Yaïr Lapid a animé, seul, à Casablanca, et non à Rabat en présence de Nasser Bourita, comme s’évertue à l’insinuer de façon mensongère Ramtane Lamamra. Le ministre des Affaires étrangères israélien avait alors exprimé, devant un partenaire de journaux internationaux, son inquiétude quant au rôle «joué par l’Algérie dans la région, son rapprochement avec l’Iran et la campagne qu’elle a menée contre l’admission d’Israël en tant que membre observateur de l’Union africaine». Cette vérité crue a fait pousser des glapissements à Lamamra dans un communiqué daté du 15 août dernier.
Le troisième acte de cette mauvaise pièce intervient le 18 août, lorsque Abdelmadjid Tebboune va se faire la voix de cette même idéologie antisémite, lors d’une réunion extraordinaire du Haut Conseil de Sécurité qu’il préside, «consacrée à la situation générale dans le pays suite aux récents évènements douloureux et aux actes hostiles incessants perpétrés par le Maroc et son allié, l'entité sioniste, contre l'Algérie», indique un communiqué officiel. Encore une fois, la menace de «l’entité sioniste » est brandie comme un épouvantail pour faire alimenter le sentiment antisémite, bien enraciné dans la société algérienne par les outils de propagande du régime.
D’ailleurs, pour l’historien français et spécialiste du Maghreb Pierre Vermeren, l’origine de la décision du régime algérien de rompre ses relations diplomatiques avec Rabat est justement à rechercher dans ce fameux mois de décembre 2020. «C'est la réponse différée aux accords d'Abraham et au rapprochement du Maroc avec Israël», a-t-il estimé, dans une déclaration à l’AFP, ce mercredi 25 août 2021.
L’antisionisme, le nouveau déguisement d’un régime antisémiteL’antisémitisme en Algérie ne date toutefois pas des accords d’Abraham. En 2011 déjà, à la veille d'une venue en Algérie de l’ancien président de la République française Nicolas Sarkozy, un dérapage antisémite d’un ministre algérien avait jeté un coup de froid entre Paris et Alger. En cause, une interview accordée par Mohamed Chérif Abbas, à l’époque ministre algérien des Anciens combattants, dans les colonnes du quotidien El Khabar, au cours de laquelle celui-ci tient des propos d’une rare virulence. Accusant Nicolas Sarkozy d’être à la solde d’Israël, celui-ci avait alors déclaré, «vous connaissez les origines du président français et les parties qui l'ont amené au pouvoir. Ceci était le résultat d'un mouvement qui reflète l'avis des véritables architectes de l'arrivée de Sarkozy au pouvoir, le lobby juif qui a le monopole de l'industrie en France».
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Dans ce même entretien, qui a, depuis, été supprimé du site du journal, le ministre s’attaque ensuite à une autre personnalité issue de la communauté juive, le chanteur français d’origine algérienne Enrico Macias, qui devait faire partie de la délégation française accompagnant le président Sarkozy en Algérie. Jugeant que «la venue d’Enrico Macias est une provocation», Mohammed Chérif Abbas n'a pas hésité à exprimer, haut et fort, l’antisémitisme du pouvoir en place, lequel a par la suite brillé par l’absence totale d'une réaction officielle ou de rappel à l’ordre suite à ces déclarations.
Quatre ans plus tard, le 1er novembre 2015, c’est cette fois-ci une vidéo glaçante qui fait son apparition sur le web, une vidéo qui témoigne de l’antisémitisme décomplexé qui sévit au sein même de l’armée algérienne. Pour galvaniser les troupes lors d’un exercice de marche ordonnée de la gendarmerie nationale algérienne, on chante à tue-tête… Un appel à massacrer les juifs.
«Oh arabes, fils d’arabes. Marchez et pointez vos armes vers les Juifs. Pour les tuer. Les abattre. Les écorcher. Les égorger…». Chanté en arabe, cet hymne emploie une sémantique spécifique à l’antisémitisme et non à l’antisionisme. En effet, c’est le terme alyahoud, qui signifie en arabe les juifs, qui est ici employé, et non pas al israiliyine, les Israéliens en arabe, ou encore assahayina, les sionistes en langue arabe. On parle bien ici des juifs, en général, et sans aucun lien avec la cause palestinienne.
Dans cette expression totalement décomplexée de l’antisémitisme de l'armée algérienne, de surcroît filmée à l’occasion d’une fête nationale commémorant la libération de ce pays, à laquelle ont pourtant pris part de nombreux juifs algériens, se dévoile le visage hideux d’un régime prêt à renier l’histoire du territoire qu’il gouverne et à désavouer ceux qui se sont battus pour sa liberté.
Enfin, plus récemment encore, cette haine des juifs a également été exprimée, le plus officiellement du monde, dans une dépêche de l’Agence de presse algérienne, l'APS, le 19 mai 2020, dans laquelle sept députés européens sont qualifiés de «sionistes marocains» et accusés d’être manipulés par un lobby maroco-sioniste...
Des propos jugés à juste titre comme étant antisémites par des experts internationaux, et notamment par David Pollock, chercheur au Washington Institute for Near East Policy, ainsi que par JD Gordon, ancien porte-parole du Pentagone, qui ont ainsi relevé que le recours aux mensonges et à l’antisémitisme des médias algériens, et à leur tête l’agence de presse officielle, a pour objectif d’exporter les tensions internes vers les pays voisins, d’autant plus que l’Algérie fait face à une crise sans précédent, ces experts soulignant que cette guerre des déclarations menée par Alger émane d’une position de faiblesse et non de force.
L’hystérie provoquée en Algérie par le rétablissement des relations entre le Royaume du Maroc et l'Etat d'Israël s’explique donc aussi par cet antisémitisme, érigé en doctrine d’Etat par la junte au pouvoir.