Votera, votera pas? Telle est la question qui se pose aujourd’hui en Algérie où, malgré la réticence de plus de 77% des électeurs inscrits à aller aux urnes, le troisième scrutin en moins d’une année et demie est prévu pour le 12 juin prochain.
Depuis le lancement, jeudi dernier, de la campagne électorale de ces législatives, voulues et défendues par Abdelmadjid Tebboune, les Algériens ont été surpris par la prolifération de candidats novices, souvent indépendants, sans envergure politique et n’ayant pout tout programme électoral que des slogans creux tournant autour de l’hypothétique «Algérie nouvelle», servie à toutes les sauces par le Président. Nombre de ces candidats sont moqués par les réseaux sociaux. Ce qui augure d’un taux d’abstention record.
Cependant, avant même que la campagne ne soit lancée, l’aile des généraux, représentée par l’ex-taulard Mohamed Mediène, dit Toufik, et le fugitif Khalid Nezzar, avait mis en branle, via ses porte-voix médiatiques, une entreprise de sabordage des élections législatives, voulues par Tebboune.
Selon certains médias proches de ce clan, la crise politique que traverse le pays depuis plusieurs années risque d’aller de mal en pis si les élections du 12 juin prochain n’étaient pas différées, le temps de restructurer le paysage politique algérien, si tant est que ce paysage ait jamais existé.
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Arguant de la nécessité de sauver le pays de la catastrophe politique, l’aile Nezzar/Toufiq s’est exprimée médiatiquement sous forme de «sources concordantes» pour appeler à arrêter l’actuelle mascarade et opérer un «changement de cap». Il s’agit, selon elle, d’organiser d’abord une «conférence nationale» pour sortir le pays de la crise, avec le retour sur la scène d’«hommes politiques chevronnés». S’agirait-il là d’une tentative de réhabilitation d’anciens dinosaures actuellement en prison comme Ahmed Ouyahia, Abdelmalek Sellal, Djamel Ould Abbès…, sous les ordres desquels Abdelmadjid Tebboune a déjà servi?
Il est vrai que dans le contexte actuel, marqué par une violente répression de la contestation populaire pacifique du Hirak, dont des dizaines de militants sont en prison, les prochaines législatives battraient incontestablement un record d’abstention.
Déjà que le pays est dirigé par un Président qui n’a été élu, en 2019, que par moins de 5 millions de votants sur les 24 millions inscrits sur les listes électorales, et est régi par une constitution qui n’a été votée, en novembre 2020, que par 20,53% des citoyens inscrits (sur 24.466.618 inscrits, on ne compte que 5.024.239 votes exprimés et un taux de participation de seulement 23,84%, selon les chiffres officiels). Pire, la chambre des députés qui a activement participé à l’adoption de la mouture finale de l’actuelle constitution a été dissoute plus tard sous prétexte que ses membres sont corrompus et auraient pour la plupart acheté leur siège au Parlement.
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Or, cet achat des sièges revient à nouveau au grand jour puisque c’est l’Etat lui-même qui «corrompt» cette fois-ci avec une enveloppe de 300.000 dinars (environ 1.835 euros) octroyée à tout jeune de moins de 40 ans qui présente sa candidature aux prochaines législatives. Une pratique qui vise non pas à lutter contre le caractère structurellement gérontocratique des détenteurs du pouvoir en Algérie, dont l’âge varie entre 75 et plus de 90 ans, mais à colmater la désaffection sans précédent des candidatures.
A ce sujet, pour la première fois en Algérie, le délai de dépôt des candidatures a été prolongé de quelques jours face au peu d’engouement pour briguer un siège de député. De même, les principaux partis de l’opposition (Front des forces sociales, Rassemblement pour la culture et la démocratie, Parti des travailleurs…) ont boycotté cette élection, alors que deux autres partis sont menacés de dissolution pour avoir refusé d’y participer, à savoir l’Union pour le changement et le progrès (UCP) et le Parti socialiste des travailleurs (communiste), sans parler de la nouvelle loi qui menace de 20 ans de prison tous ceux qui «perturbent le déroulement des élections».
Ce sont donc tous ces excès à répétition du gouvernement Tebboune qui font peur aux généraux et expliquent leur hésitation à laisser se dérouler les législatives. Pourtant, lors de la dernière réunion, mardi 18 mai, du Haut conseil de sécurité, dont est membre le général Said Chengriha, Abdelmadjid Tebboune «s’est dit satisfait des efforts consentis par les institutions de l'Etat pour assurer le déroulement du rendez-vous électoral dans de bonnes conditions», selon un communiqué de la présidence algérienne.
Le président algérien tente ainsi d’aller aux élections législatives, coûte que coûte, afin de se doter d’un semblant de légitimité, quitte à se retrouver avec un parlement sans majorité ni couleur politique claires. Il cultive aussi l’espoir de composer un parlement hybride, non encadré par les partis classiques, et donc échappant à l’emprise des généraux.
Jusqu’où ira une aile des généraux dans son bras de fer avec Tebboune pour le pousser à reporter ses législatives?