S’il y a un avis sur lequel les observateurs politiques, algériens surtout, sont unanimes, c’est que le président algérien Abdelmadjid Tebboune a complètement raté le remaniement gouvernemental auquel il a procédé le dimanche 21 février dernier. Un échec d’autant plus cinglant qu’il l’avait "triomphalement" annoncé trois jours auparavant, lors de son premier discours à la nation.
Non seulement, ce rafistolage de dernière minute, opéré par Tebboune, a été vu comme un "non-évènement" ou un "remaniement cosmétique", mais a aussi été jugé humiliant pour ce président, décrié par la rue et désavoué par les urnes. "On reprend les mêmes et on recommence": c'est qui définit le mieux le gouvernement Djerad III. Quelles sont donc les raisons qui ont empêché le président algérien de compter dans son exécutif des hommes de poids?
Le gouvernement que Abdelmadjid Tebboune a nommé, dès sa prise de pouvoir, en janvier 2020, a fait montre d’une fragilité et d’une instabilité sans précédent, il est donc peu attrayant. En plus d’avoir été remanié une première fois dès juin 2020, le gouvernement actuellement dirigé par Abdelaziz Djerad a donc encore subi un deuxième changement, le 21 février dernier. Sans parler de certains ministres, qui ont été débarqués sans ménagement en cours de route, comme celui du Travail, Chawki Fouad Acheuk, limogé par Tebboune en juillet dernier.
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Placé par le défunt Ahmed Gaïd Salah à la tête de l’Algérie, Abdelmadjid Tebboune a donc pris le pari de redorer son blason par les urnes en faisant du référendum de la révision de la Constitution son cheval de bataille. Avec un taux de participation le plus faible à un scrutin depuis l’indépendance de l’Algérie (officiellement de l'ordre de 23%), la conquête de la légitimité a tourné à la débâcle, et à une vraie humiliation pour Tebboune. Ce désaveu a fragilisé Tebboune, à la fois à l’égard des généraux et d’hommes politiques à l’affût de la moindre occasion pour sortir du bois et se positionner comme une alternative.
Si l’on ajoute au caractère illégitime de Tebboune, le sort réservé par le régime à d’anciens Premiers ministres et ministres, embastillés comme des bandits, le fait d'occuper aujourd’hui un poste de responsabilité au sein de l’exécutif, en Algérie, est un métier très risqué. Cela peut tout simplement conduire derrière les barreaux, l’Algérie étant devenu le pays qui détient le record mondial de la plus importante population «ministérielle» incarcérée dans ses différentes prisons.
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A l’heure actuelle, deux anciens Premiers ministres, Abdelmalek Sellal et Ahmed Ouyahia, sont embastillés depuis la mi-2019, et ont été déjà condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement. Plusieurs autres ministres, dont certains occupaient des postes régaliens, croupissent également dans les geôles du régime algérien. C’est le cas par exemple de Tayeb Louh (ex-ministre de la Justice), Djamel ould Abbès (ancien secrétaire général du FLN), Said Barkat (ex-ministre de la Solidarité), Mohamed Ghazi (ancien ministre du Travail), Moussa Benhamada (ex-ministre des Télécommunications, mort en prison en juillet dernier), Amara Benyounès et Youcef Yousfi (ex-ministres de l’Industrie)…
Même des femmes, ministres, n’ont pas été épargnées, comme Houda Feraoun (Télécoms) et Djamila Tamazirt (ex-ministre de l’Industrie).
D’autres anciens hauts responsables algériens, dont Noureddine Bedoui, Premier ministre de la transition post-Bouteflika, dirigée par Abdelkader Bensalah, sont également sous le coup de poursuites judiciaires; qui pourraient les amener à aller grossir les rangs des ministres "emprisonnables".
Par ailleurs, l’image humiliante de l'ex-Premier ministre Ahmed Ouyahia, dévalant un sentier dans un cimetière, menotté et escorté par une dizaine de gorilles cagoulés, au moment de se recueillir sur la tombe de son frère qui venait de décéder, a eu des effets traumatisants et dissuasifs sur les compétences en Algérie.
C’est dire que dans l’élite algérienne, personne n’a plus grande envie de s’impliquer dans un régime qu’ils savent parfaitement en fin de vie. C’est ce qui explique que le remaniement ministériel, annoncé en grande pompe par Tebboune, a finalement tourné à la Bérézina.